L’année nouvelle débute, et il faudra trouver de sacrés fleuves pour nettoyer certaines écuries qui n’ont rien à envier à Augias. Ou un Hercule, c’est selon. La lecture publique, qui sera notamment à l’honneur durant la Nuit de la Lecture ce 20 janvier, affrontera l’ubuesque comportement de la SCELF. Et déjà on sent le grondement venir.
Bibliothèques de Nancy, CC BY SA 2.0
Faire payer aux bibliothèques des lectures gratuites, voici qui faisait désordre : pourtant, la législation derrière laquelle se réfugie la SCELF, Société civile des éditeurs de langue française, le permettrait bel et bien. Depuis octobre 2016, l’organisation a en effet averti charitablement les établissements : médiathèques et bibliothèques, dans le cadre de la lecture publique, s’acquitteraient d’une taxe, liée au droit de représentation.
Quasi immédiatement, une levée de boucliers des auteurs, des bibliothécaires : le projet était économiquement intenable pour les seconds, totalement déplacé pour les premiers. On parlait d’une « démarche maximaliste », qui en fin de compte « pénalise la rémunération des auteurs qui lisent leurs propres textes, tout en confortant la position des détracteurs du droit d’auteur ».
La directrice, Nathalie Piakowski, avait vivement réagi auprès de ActuaLitté, tentant de justifier l’incompréhensible. Il fallait en réalité comprendre que deux sujets coexistaient : la lecture d’œuvres par leurs auteurs et les lectures par les bibliothèques. Pour le premier un modèle de redevance serait appliqué, pour l’autre, on réfléchissait à la manière de le faire appliquer.
Le fait est que la lecture publique d’une œuvre par son auteur n’avait jamais donné lieu à un versement de droit. Dans l’absolu, explique-t-on, la SCELF ne serait pas opposée à une exonération, mais resterait alors à trouver une solution pour les manifestations payantes.
« La SCELF n’est pas claire, dans sa démarche même : toutes les bibliothèques ne seraient pas assujetties, seulement les grandes. Et les sommes perçues ne seraient pas reversées aux éditeurs ni aux auteurs », indique un proche du dossier. L’argent servirait à des actions, qui restent à inventer : « La SCELF assure qu’elle ne cherche pas à s’enrichir. »
Mais de même, la SCELF est suffisamment peu claire pour ne pas avoir voulu apporter d’éclaircissement à ActuaLitté, qui a sollicité sa directrice. « On nous parle même d’une somme forfaitaire de 100 € — dont on ignore d’où elle vient. Or, 100 € aujourd’hui, d’accord, mais quid, si demain cela augmente tout aussi arbitrairement que le montant a pu être défini ? »
On le comprend, à vouloir exercer un droit pour éviter qu’il ne meure — argument authentiquement avancé par la SCELF — on arrive à des cabrioles saugrenues.
Quant à la lecture effectuée par un tiers, qui ne serait pas l’auteur, la SCELF instaurerait un forfait annuel, pour les grandes bibliothèques, consciente que tous les établissements ne peuvent pas s’en acquitter. Cette discrimination conviendra certainement à l’ensemble de la profession.
« Le problème, c’est que durant des années, personne n’a demandé quoi que ce soit à la SCELF, et même la SACD ne s’était pas préoccupée du sujet. Le développement de la lecture, c’est l’un des rôles des bibliothèques : sachant qu’il n’y a, avec un montant forfaitaire de 100 €, aucun enjeu d’un côté comme de l’autre, pourquoi ajouter de la confusion », s’interroge le directeur de la SGDL, Geoffroy Pelletier.
Le risque serait qu’une directive tout droit venue de la Commission européenne ne vienne mettre de l’ordre dans cela. « Politquement, c’est un mauvais message, adressé à tous, bibliothèques comme public », poursuit-il. Trouver un accord allait devenir l’un des enjeux de 2018 : les librairies ne sont pas concernées par cette redevance, pourquoi s’en prendre aux bibliothèques ?
Problème, ce 5 janvier, la SCELF a accompagné ses vœux 2018 d’un petit lien : « Rendez-vous directement sur le portail en ligne, la nouvelle tarification 2018 de droits d’auteur en matière de lectures à voix haute que nous vous invitons à consulter », explique-t-on.
Et en effet, toute forme de lecture, même dans son plus simple appareil, doit faire l’objet d’un paiement de redevance « quels que soient le cadre (possiblement sur scène) et la nature du dispositif (accessoires, lumière, etc.) mis en œuvre ». En outre, il faudra effectuer des demandes en bonne et due forme, pour obtenir les autorisations ad hoc.
La réaction est immédiate, et des auteurs s’en étranglent : « Non seulement le principe de faire payer des lectures gratuites reste, mais l’auteur devra payer pour lire son propre texte au bout d’un an, et les associations reconnues d’intérêt général se voient généreusement accorder une réduction de 5 %. Dans ma langue on dit foutage de gueule ! »
Pour exemple, les lectures de rues, qui peuvent constituer l’une des grandes attractions dans le cadre du Printemps des poètes, sont taxées forfaitairement à 30 €.
L’exonération tant attendue et réclamée par l’Association des Bibliothécaires de France n’est dans tous les cas pas au programme des meilleurs vœux de la SCELF pour 2018. « On va devoir se battre pour revenir à ce qui se faisait avant que la SCELF ne décide de faire de l’excès de zèle : tant d’énergie perdue », déplore une auteure…
En effet, l’unique exonération proposée concerne l’exploitation par des associations, pour des groupements caritatifs. Toutefois, trois cas sont pointés, pour lesquels les lectures d’œuvres protégées ne font pas l’objet d’une perception :
Et de même, si la lecture est organisée par l’éditeur, à son initiative. C’est en revanche pour le cas des œuvres traduites que l’on a envie de rire : pour toute demande concernant ce type d’ouvrage, « l’autorisation de représentation devra être accordée à la fois par l’éditeur français et par le titulaire des droits de l’œuvre d’origine (éditeur d’origine, agent, etc.) ». On attend donc qu’une bibliothèque contacte l’agent de Salman Rushdie, le très réputé Wylie Andrew, pour obtenir l’autorisation d’une lecture. 2018, on va rire, définitivement…
Selon nos informations, La Nuit de la Lecture pourrait alors donner l’occasion d’une prise de parole et d’une contestation publique, pour sensibiliser à cette question.
« Le Ministère de la Culture présente cet événement comme une célébration de la lecture en public. Ce qui ne manque pas de provoquer une sensation assez désagréable quand on juxtapose ce discours avec les intentions de la SCELF... », souligne le blogueur Calimaq, juriste, bibliothécaire et cofondateur du collectif SavoirsCom1.
Et de rappeler que certains bibliothécaires se sont demandé s’il ne fallait pas lancer un appel au boycott de cet événement. « Ce n’est sans doute pas une bonne idée, car beaucoup de bibliothécaires, de libraires et d’auteurs ont travaillé fort pour proposer des spectacles et des activités au public. »
En revanche, profiter de l’occasion qu’offre cette Nuit « constituerait une excellente tribune pour informer le public de ce qui est en train de se tramer et piquer au vif le Ministère », indique-t-il à ActuaLitté.
« Sur ce sujet, c’est la parole des auteurs qui est la plus importante et il me semble qu’une action qui pourrait avoir de l’impact serait que les organisations représentant les auteurs proposent un texte que les bibliothécaires pourraient lire ou faire lire pendant cette Nuit. » Tout l'enjeu restera alors de parvenir à mobiliser suffisamment lecteurs et professionnels autour de cette question, pour s'assurer de faire reculer la SCELF, manifestement entêtée.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Méry
17/01/2018 à 10:53
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méry
17/01/2018 à 10:56
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