La question de la rémunération à la présence en festivals est soulevée depuis 2017 par le SNAC BD. Une approche qu'ont déjà instaurée les salons en littérature jeunesse. Or, l’année de la BD en France s’annonce comme le catalyseur de nombreuses questions sur les conditions de création des auteurs et autrices. La romancière Samantha Bailly apporte un témoignage personnel sur un sujet qui sera incontournable en 2020.
ActuaLitté reproduit ici, avec son autorisation, l’intégralité de son message.
Mars 2018. #Payetonauteur bat son plein.
Ce mouvement profond a surpris tout le monde. Les auteurs et autrices se sont réveillés. Se sont fédérés, tous secteurs confondus. Et ils l’ont fait publiquement. Une solidarité collective convergeant vers un même but : qu’enfin notre valeur soit reconnue, et non plus niée sous couvert de « visibilité ».
Durant #Payetonauteur, nous avons, toutes et tous, revendiqué avec créativité et humour, faisant finalement le récit public de nos conditions quotidiennes. Le public de Livre Paris, les lecteurs et lectrices, étaient sidérés de découvrir que les auteurs et autrices n’étaient pas rémunérés durant le salon — dont, rappelons-le, l’entrée est payante.
Pourtant, dans les couloirs des différences organisations du secteur du livre, cela chuchotait. « Tu sais Samantha, tout le monde SAIT que Livre Paris ne paye pas les auteurs, mais bon… il faut laisser. On ne peut rien faire. »
L’histoire en aura voulu autrement. On peut agir, bien au contraire. Il faut agir, et non plus se taire.
Dans notre secteur, nombreux sont les auteurs et autrices qui ressentent de la peur. Je crois que c’est l’une des premières choses qui m’a frappée lorsque j’ai démarré mon mandat à la Charte. La peur qu’ont les auteurs et autrices de dire la vérité. La vérité sur leurs conditions de création, la vérité sur leur vie. Mais la vérité se fraye toujours un chemin. Les États généraux de la BD, par leur travail de statistiques et de sociologie, ont posé un constat sans appel sur la précarité et la pauvreté de la majorité des auteurs de BD. La réalité a été dite, et elle sera répétée.
Aujourd’hui encore, au détour d’une discussion, d’un salon ou d’une réunion, les sourires fleurissent lorsque l’on se remémore l'histoire des plantes vertes. Car il y avait un budget plantes vertes à Livre Paris, quand il n’y en avait pas pour les auteurs et autrices, présentés pourtant comme le cœur de l’événement.
Venez. Venez rencontrer des auteurs et autrices. Échanger, parler, écouter, faire dédicacer votre ouvrage.
Selon les tarifs en vigueur
Lorsque les festivals, salons et autres manifestations littéraires et artistiques, cherchent des financements pour convaincre de la vitalité de leurs événements, qu’est-ce qui est mis en avant ? L’importance des auteurs et des artistes pour le rayonnement de notre culture française. Mais aussi les retombées économiques qu’un tel événement génère pour tout le monde.
À La Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse, la question de la rémunération à la présence ne se pose même pas. Les tarifs de la Charte, dont une partie est entérinée par le CNL et la SOFIA, se composent en deux parties : les tarifs pour les interventions et rencontres, mais aussi les tarifs pour les signatures. Comprendre : pour le temps de présence passé lorsqu’auteurs et autrices dédicacent. Les auteurs et autrices jeunesse en ont l’habitude.
Nous sillonnons la France dans des festivals ou salons qui ont d’ailleurs souvent peu de budgets comparé à de grandes manifestations, mais qui ont mis un point d’honneur à respecter les auteurs et autrices. C’est une question de bon sens, mais aussi d’éthique. Payer des individus qui travaillent et qui sont la raison d’être de l’événement.
Pour chaque événement, il y a des coûts fixes : la location d’un lieu, l’équipement, la communication… et donc, parmi ces coûts fixes, il y a ceux alloués aux créateurs. Quand ils interviennent dans les classes, bien entendu, mais aussi quand ils dédicacent. Parfois, si l’auteur le souhaite, il peut aussi décider d’offrir une demi-journée ou une journée de signatures. C’est son choix. Être présent gratuitement relève d'un choix personnel, et non d'une obligation.
Du bénévolat à l'acte de présence
Aujourd’hui, en BD, soyons clairs : dédicacer bénévolement n’est pas un choix, c’est imposé aux auteurs par le fonctionnement actuel de la majorité des festivals, comme l’a bien montrée l’étude dévoilée au festival BD d’Amiens en 2018.
Dans l’industrie du livre, nous vivons dans une pyramide inversée. Les auteurs et autrices, à l’origine des œuvres qui font le rayonnement culturel de notre pays, sont la variable d’ajustement permanente. Les éternels bénévoles d’un système qui pourtant n’existe que par leurs créations. Nous avons créé la Ligue des auteurs professionnels conjointement avec la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, les États Généraux de la Bande Dessinée et le Groupement des Auteurs de Bande dessinée (SNAC) pour une chose : sauver nos métiers. Et surtout, reconstruire et consolider ce qui est une profession gravement menacée.
Car quand on parle de profession, on ne peut plus sans cesse nous opposer que ce que nous faisons n’est qu’une vocation. Écrire, dessiner, traduire, bref, créer est une vocation ET un métier.
Depuis 2017, le SNAC BD demande la rémunération à la présence pour les auteurs et autrices de BD. En vain. Pourtant, jamais la crise sociale n’a été aussi forte. C’est maintenant qu’il faut mettre en place des mesures concrètes pour améliorer les conditions de vie des auteurs et autrices.
Qui paye qui pour quoi ?
Nous connaissons toutes et tous les conditions de dédicaces des auteurs de BD : de longues heures passées à dessiner à un rythme effréné. Très souvent, le lecteur va tendre le billet à l’auteur au moment où il va récupérer son livre agrémenté d’un dessin. « Ah, non, ce n’est pas pour moi vous savez… »
Cette phrase, auteurs et autrices, nous l’avons tous prononcée un millier de fois. Le public pense que l’on vient derrière un stand, que l’on empoche la totalité du prix du livre. Non, ça ne marche pas comme ça, il y a un écosystème. Quant à l’illusion de toucher des droits proportionnels sur les livres vendus lors de ces événements…
L’à-valoir étant un système de rémunération amortissable, le chemin est long avant de toucher potentiellement un centime sur l’exploitation de son ouvrage. Pour beaucoup, cela n’arrive jamais. Autant dire que le temps passé en festivals est donc un temps actuellement purement bénévole pour une grande majorité d’auteurs et d’autrices. Sans parler de l’opacité sur les chiffres de vente, de toute façon, qui nous empêche d’avoir une vision et un contrôle de ce qui est réellement écoulé.
J’ai entendu beaucoup de choses sur les « craintes » de rémunérer les auteurs et autrices à la présence. Des craintes que ceux et celles qui ne veulent pas nous payer agitent très souvent pour faire peur aux auteurs eux-mêmes. Le fameux « il y aura moins d’auteurs invités ».
Et derrière cette sanction, on veut dire à l’auteur, déjà parti faible dans un milieu extrêmement dur « toi, tu ne seras plus invité. Tu seras oublié. Ta carrière sera terminée ». Ou encore le fameux « Il n’y aura plus que les auteurs de best-sellers invités ». Ne jamais sous-estimer à quel point auteurs et autrices peuvent être victimes d’intimidation, de façon plus ou moins subtile, par ceux et celles qui veulent les faire travailler gratuitement.
Le changement de paradigme
Calmons immédiatement ces craintes. Car nous avons en réalité une expérience sur laquelle nous appuyer : celle de la littérature jeunesse. En littérature jeunesse, donc, les tarifs de la Charte, pour les interventions et les signatures, ont fait leur chemin. Nous avons l’habitude d’être rémunérés pour notre présence. Alors oui, nous sommes en général une vingtaine lors par exemple d’un salon à taille humaine dans le sud de la France.
Et vous savez quoi ? Il y a des jeunes qui publient leur premier livre. Des auteurs installés depuis un moment. Quelques auteurs de best-sellers.
Nous en faisons plusieurs par an. En amont de ces festivals ou salons, un travail est effectué sur nos ouvrages. Des rencontres scolaires (rémunérées), des échanges avec les institutions, des rencontres en médiathèques, bref, un long travail de tissage est amorcé autour de nos livres.
Qui dit travail, temps, dit une éducation artistique et culturelle de qualité. Cela signifie aussi que nous avons donc de la visibilité. Une visibilité réelle, pas fantasmée : il y a de l’énergie autour de ce que nous avons créé. Il y a un public dans ces festivals ou salons qui ainsi connait nos ouvrages. On dédicace, beaucoup, que l’on soit connu ou pas par ailleurs, on parle, on échange, on effectue des animations très variées, bref, on fait vivre nos livres dans le réel. On donne goût à la lecture, par nos livres et par notre présence.
Ce n’est pas « réservé aux auteurs de best-sellers », loin de là ! Les auteurs de best-sellers, très demandés, déclinent très souvent des propositions. De la place, il y en a. C’est simplement le devoir et la responsabilité de nos éditeurs et éditrices d’accompagner les ouvrages, d’en faire la promotion, mais aussi de tisser des liens avec des salons, festivals, etc. pour que les auteurs et autrices soient invités dans de bonnes conditions.
De l'économie de soi comme une vertu
Aussi, qu’on ne vienne pas opposer ceux et celles qui écrivent ou dessinent. Bien sûr, oui, l’exercice de la dédicace est différent selon qu’on soit dessinateur de BD ou auteur d’un roman. Le résultat n’est pas le même, certaines dédicaces en BD étant même des œuvres à part entière ! Mais dans les deux cas, nos ouvrages se retrouvent très rapidement vendus sur des sites d’occasion à des prix prohibitifs, parce qu’ils sont « signés » de la main de l’auteur.
Le public estime que cet acte a une valeur. Nous avons besoin que notre temps, que l’on écrive ou l’on dessine, soit tout simplement rémunéré.
À titre individuel, j’ai fait beaucoup, beaucoup de salons et festivals de façon bénévole dans ma carrière. Après 10 ans, j’en ai fait le bilan. Et j’ai pris la décision de souscrire pleinement aux recommandations de la Charte, c’est-à-dire de ne plus faire que des manifestations littéraires ou artistiques rémunérées, et pour mes interventions quand il y en a, et pour ma présence.
Résultat ? Moins de fatigue. Moins de précarité.
Nous sommes nombreux à avoir accepté toutes les invitations, à avoir fait des tournées partout dans la France, dans des événements comprenant 100, 200, auteurs invités, voire plus. Nous avons toutes et tous été derrière une table à attendre. Puis à repartir chez nous, après avoir passé sur notre temps personnel, sur notre vie de famille, deux, trois jours, parfois plus, agglutinés les uns à côté des autres, à avoir été le propre ambassadeur de nos ouvrages. Parfois dans l’attente du lecteur et de la lectrice qui s’approchera, parfois dans des tentatives de ventes dynamiques — ce qui, rappelons-le, n’est pas supposé être notre métier.
Nous l’avons tous vécu, au début de notre carrière, ou tout simplement lorsque nous arrivons dans un festival ou un salon où aucun travail n’a été effectué autour de nos ouvrages.
Parce que n’est-ce pas la clef ?
Nos livres.
Ce que nous avons à dire.
À transmettre.
La rencontre.
Faire moins de festivals ou de salons dans l’année, mais en étant correctement rétribué pour ceux que nous effectuons, c’est mettre en place un cercle vertueux. C’est reconstruire la professionnalisation des auteurs et autrices. C’est nous respecter. C’est dire notre valeur, la valeur de notre temps et de notre présence. C’est moins s’épuiser à faire notre propre promotion et passer plus de temps à créer. C’est remettre chacun face à son rôle et ses responsabilités. C’est créer de véritables espaces de rencontres, de dialogues et de transmission autour de la lecture.
Dans son rapport remis au ministre, Pierre Lungheretti le préconisait. Ce rapport, pour l’univers du livre, est l’un des premiers qui porte la réalité des auteurs et autrices. C’est un document brillant, un modèle.
Il y a urgence.
Il est essentiel que les auteurs et autrices soient remis à leur juste place. Il faut construire des garde-fous pour faire en sorte que nous ne soyons pas systématiquement la variable d’ajustement.
Cela passe par des décisions des pouvoirs publics, bien sûr, mais aussi de la responsabilisation des festivals et des éditeurs. Cela passe également par nous, auteurs et autrices. Par une prise de conscience et une affirmation de notre valeur.
Parce que pas d’auteur, pas de livre.
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
2 Commentaires
Natacha Weiss
29/06/2019 à 15:28
Rien à ajouter, tout est dit, excellent article ! merci. Battons nous pour nos droits et nous gagnerons !!!
koinsky
30/06/2019 à 08:40
Moi, poil à gratter, je trouve cet article doux, gentil, candide, contre-productif. Quand j'apprenais la sculpture en bronze auprès de mon "Maître", celui-ce disait volontiers qu'il nous fallait vivre de notre art, donc exposer pour vendre. Cet excellent professionnel avait mille fois raison. Si nous ne nous considérons pas comme le maillon fort d'une chaîne économique, qui nous considèrera comme tel ? Dix pour cent de droits d'auteur frise la correctionnelle, tous les maillons de la chaîne du livre le savent bien. Il faut donc gagner du terrain, âprement, tranquillement mais avec ténacité, avec notre volonté chevillée au corps, sinon pas la peine de se lamenter. Mais pour ça, il faut aussi faire preuve de courage et arrêter d'être dans le déni, cad considérer l'"impact" réel de nos oeuvres. Pour être en mesure de négocier il faut être en mesure de créer et de produire des livres d'"exception" qui "impactent" le lecteur au coeur. L'art c'est l'efficacité. Si une oeuvre ne brise pas en nous la mer gelée (Kafka), si elle ne prend pas le lecteur en otage, alors à quoi pouvons-nous prétendre ? Combien de bouquins qui polissent la mer gelée en nous encombrent les étals des librairies et étouffent les livres d'"exception"... Un livre c'est une hache. Nous sommes des bûcherons, pas des midinettes effarouchées.