Jonathan Fabreguettes et Muriel Villard, du Centre technique régional pour la déficience visuelle (CTRDV) ont mené une étude, avec l’ambition d’être « le plus complet possible », sur le très mal connu paysage français de l’édition en grands caractères. Les deux auteurs en ont tiré une liste structurée qui constituera « une aide précieuse pour les familles et professionnels ». Ils mettent en évidence une typologie des lecteurs ciblés, des choix de police de texte, et « surtout », la croissance de ce secteur éditorial. Et un bilan : il mérite « d’être mieux connu et valorisé par les professionnels des bibliothèques ».
Le 21/09/2023 à 17:36 par Hocine Bouhadjera
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Les deux signataires de l’étude partent du constat qu’il est compliqué pour les familles et les professionnels de maintenir une vue globale d’un secteur en constante évolution. De ce fait, « le risque est grand de passer à côté d’un éditeur ou d’une collection relativement récente ou de taille modeste ».
Ces derniers ont recensé 30 acteurs (22 éditeurs en grands caractères et 8 en bigraphisme [braille et/ou grands caractères]), dans la production et la vente de titres en corps 16 ou supérieur, dont certains entretiennent des liens réguliers avec le CTRDV. Ont ainsi été exclus les organisations médico-sociales, les centres de transcription et les associations, qui adaptent bien des livres en grands caractères, mais sans intention de les vendre sur le marché. Ces organisations répondent généralement aux besoins spécifiques d’un individu en particulier, « à la demande d’un bénéficiaire précis ».
Une exception a été faite pour des structures, « peu nombreuses », qui produisent et vendent des ouvrages en bigraphisme (braille et/ou grands caractères), sans avoir le statut d’éditeur à part entière.
Jonathan Fabreguettes et Muriel Villard ont construit leur base de données d’abord de manière empirique, « au fil de plusieurs années de travail ». Des listes qui recensent des éditeurs en grands caractères, souvent concentrées sur un genre ou un type d’ouvrage, des catalogues de bibliothèques, puis les sites web des éditeurs identifiés, ou encore des ouvrages imprimés, ont permis de compléter les différents critères de l’étude : lectorat, corps de lecture, typographie.
Les principales listes qui ont servi :
Le site des Bibliothèques de la ville de Paris, le site des Bibliothèques de Vendée, le Catalogue collectif de l’édition adaptée, le padlet Caractères agrandis du CTRDV, le site des Éditeurs atypiques, le site Édition jeunesse accessible, et le catalogue de la Librairie des grands caractères .
(À noter qu’il ne s’agit souvent pas de listes d’éditeurs en grands caractères, mais de listes d’éditeurs au sein desquelles nous avons pu appliquer le critère de recherche grands caractères.)
- Lecture et déficience visuelle en bibliothèque. Un tour d’horizon des éditeurs en grands caractères, de Jonathan Fabreguettes et Muriel Villard.
Les éditeurs ont été partagés en catégorie grands caractères et bigraphisme :
Les deux auteurs de l’étude constatent que sur les 22 éditeurs en grands caractères, 86 % sont « clairement orientés » vers un lectorat adulte : « Sans doute majoritairement un public dont la perte de vision est liée à l’avancée en âge, avec une pathologie de type dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) par exemple. » En revanche, les 8 éditeurs en bigraphisme proposent des catalogues « très majoritairement tournés vers le secteur jeunesse ». Autre constatation : l’importante diversité éditoriale, « du roman classique à l’édition de textes religieux, en passant par l’histoire du communisme ».
Entre autres, 63 % présentent un texte du corps 16, et 40 % des 22 éditeurs du corps 20 ou supérieur. Les ouvrages destinés aux enfants ont tendance à privilégier des tailles de police plus grandes, « étant moins contraints par les problématiques d’encombrement et de longueur du texte », décrit l’étude.
La majorité des éditeurs (63%) opte pour des polices de caractères sans empattement, une tendance également observée dans les centres de transcription. Parmi ces éditeurs, 68% utilisent au moins occasionnellement la police Luciole, qui a été spécialement conçue pour les personnes ayant une déficience visuelle.
Au sujet de l’offre des bibliothèques de ces ouvrages à destination des malvoyants, l’étude rappelle une loi de 2021, qui dispose : « Les bibliothèques [...] ont pour missions de garantir l’égal accès de tous à la culture [...] Elles en facilitent l’accès aux personnes en situation de handicap [...] elles garantissent [...] la diversification des publics et l’exercice de leurs droits culturels. »
Et d’affirmer sans ambages : « Il semble aujourd’hui difficile de parler d’inclusion pour les 1,5 million de lecteurs déficients visuels en France sans être en capacité effective de proposer quelque chose d’aussi évident… qu’un livre imprimé. » En cause principalement : « La méconnaissance, par les professionnels des bibliothèques, de la diversité des éditeurs en grands caractères : diversité formelle (taille de caractères, etc.) et diversité éditoriale. » Les deux auteurs s’appuient sur un cas concret : La médiathèque du Rize à Villeurbanne, à découvrir dans l’étude complète.
La loi de 2006 concernant le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, communément appelée loi Dadvsi, a créé une exception au droit d’auteur au bénéfice des personnes handicapées. Cette exception autorise certains établissements spécialisés à adapter des livres en versions imprimées accessibles, que ce soit en grands caractères ou en braille, spécifiquement pour les personnes ayant une déficience visuelle.
Cependant, cet accès adapté à la littérature est assujetti à plusieurs conditions préalables, rapportées par l’étude : « Il ne doit pas exister d’édition commerciale répondant au besoin précis du bénéficiaire ; la consultation de l’œuvre adaptée est strictement réservée au bénéficiaire de l’exception ; le bénéficiaire doit se rapprocher d’une structure en capacité de répondre à sa demande. On le voit, la démarche n’est pas si évidente, et l’adaptation réalisée en grands caractères souvent très éloignée des standards de l’édition. »
Le Centre Technique Régional pour la Déficience Visuelle (CTRDV) est une institution spécialisée qui vise à faciliter la vie des personnes atteintes de déficiences visuelles. Il sert de point de référence en matière de technologies, de ressources et de méthodologies adaptées, offrant une gamme complète de services allant de l’évaluation des besoins individuels à la fourniture d’outils et de formations spécialisés. Il travaille souvent en étroite collaboration avec des professionnels de la santé, des éducateurs et des organismes publics pour créer un environnement plus accessible.
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L’une des principales missions du CTRDV est d’innover et de standardiser les meilleures pratiques. Cela inclut la mise au point de supports pédagogiques adaptés, comme des livres en braille ou en grands caractères, ainsi que des logiciels et des dispositifs de lecture assistée. Le centre contribue également à la recherche et au développement de nouvelles technologies et méthodes pour améliorer la qualité de vie et l’autonomie des personnes déficientes visuelles.
Crédits photo : Le sens du toucher, de José de Ribera (Domaine public)
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