Après la publication de son premier essai en 2017, Les Recettes d’une connasse (Hachette), suivi de L'Amour après #MeToo (Hachette, 2018), Lâchez-nous l’utérus : en finir avec la charge maternelle (Hachette, 2020), Comment ne pas devenir une marâtre, guide féministe de la famille recomposée (Hachette, 2021), Fiona Schmidt revient avec Vieille peau : les femmes, leur corps, leur âge (Belfond). L’occasion pour ActuaLitté de rencontrer cette autrice aux réflexions des plus stimulantes…
Le 29/08/2023 à 09:23 par Julie Mahé
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29/08/2023 à 09:23
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Née en 1981, Fiona Schmidt est une journaliste et essayiste française connue du public pour ses chroniques et billets d’humour publiées dans la presse féminine, comme Grazia, Cosmopolitan, Biba et Cheek Magazine, ou les médias Slate et Le HuffPost. En 2009, elle a contribué à la création de Be, un magazine féminin hebdomadaire puis mensuel dont elle sera la rédactrice en chef puis l’éditorialiste jusqu’en 2014.
ActuaLitté : La thématique de l’âge, de l’âgisme est un sujet que vous avez déjà traité en tant que journaliste. Le dernier article il me semble a été publié au Huffington post (HuffPost) en juin 2015, il s’intitule « Sexisme : Quoi mon âge ? Qu’est-ce qu’il a mon âge ? ». Vous soulignez alors d’or est déjà une sorte de tradition, un phénomène des sociétés contemporaines — notamment en France, mais aussi aux États-Unis — qui vise à transmettre de femme en femme la peur de vieillir. Pourquoi avez-vous eu l’envie d’approfondir ce sujet et d’en écrire un livre ?
Fiona Schmidt : Mon envie d’aborder le sujet du vieillissement est bien antérieure à cet article. J’ai toujours été obsédée par mon âge, depuis mon adolescence, ce qui signifie que j’ai déjà passé près des deux tiers de ma vie à avoir peur de vieillir, alors que j’ai tout juste entamé la quarantaine et que j’ai la chance d’être en pleine forme ! C’est d’ailleurs ce qui m’a dissuadée d’aborder le sujet plus tôt : on n’est pas censée évoquer la peur du temps qui passe avant que celui-ci ne soit effectivement passé, ça passe pour une névrose et/ou une coquetterie.
Le sujet a donc infusé dans mon esprit pendant longtemps avant que je trouve un angle par lequel l’aborder, et que je ne me sente enfin légitime pour l’aborder : 40 ans, c’est un cap symbolique pour une femme. La fin officielle de la récré, alors que celle des hommes n’a pas encore sonné : ils sont toujours assez jeunes pour devenir papa pour la première fois, pour faire « des erreurs de jeunesse »… Mais pour nous, c’est terminé.
Tout comme dans votre essai Lâchez-nous l’utérus — en finir avec la charge maternelle (2019), vous employez la première personne de façon régulière. Aborder un sujet de société de la sorte, est-ce un ingrédient indispensable pour que ce sujet parle au lecteur/ou à la lectrice ?
Fiona Schmidt : Lâchez-nous l’utérus ! est surtout un essai choral, qui s’appuie sur les témoignages de milliers de femmes, mères ou pas, recueillis sur le compte Instagram @bordel.de.meres, qui a été l’un des tout premiers à politiser la maternité. Dans ce livre, j’évoque mon expérience et mon choix de ne pas avoir d’enfant, mais la question de la nulliparité volontaire ne constitue qu’un seul chapitre sur les 8 que contient le livre — et mon témoignage se mêle à des dizaines d’autres. Vieille peau est un essai beaucoup plus intimiste, introspectif, alors qu’au départ, je voulais écrire un essai participatif, comme Lâchez-nous l’utérus !
Et puis mon père a eu un AVC, l’année de ses 70 ans et de mes 40 ans, qui l’a brutalement privé de son indépendance et de son autonomie. Ça a complètement changé les perspectives de mon livre. Pour la première fois de ma vie, j’ai été confrontée intimement à la vieillesse dans ce qu’elle a de plus terrifiant, pour la personne concernée comme pour son entourage. J’ai constaté et expérimenté l’impact de la dépendance sur les femmes, qui constituent à la fois la majorité des personnes âgées, et de celles qui s’en occupent : 63 % des aidants familiaux, la quasi totalité des aides-soignant.e.s, des infirmières, des aides à domicile etc. sont des femmes.
C’est donc un livre très intime, où je fais des allers-retours entre mon enfance, mon adolescence, ma prime jeunesse et la vieillesse de mes proches, pour dire en gros que (alerte spoiler !) l’âgisme est un continuum de violences de genre qui commence très tôt et ne s’arrête jamais.
À la fin de votre livre, vous dites « Je n’ai pas dompté ma peur de vieillir, mais je l’ai apprivoisée. J’ai réussi à sortir du déni pour faire de mon vieillissement un projet de vie parmi d’autres. » L’écriture de ce livre a-t-elle participé à cela ? De quelles manières ?
Fiona Schmidt : Oui, bien sûr. Ça reste compliqué de vieillir dans une société qui n’aime pas les vieux, et encore moins les vieilles, et où « vieux » est un terme explicitement péjoratif. Mais comprendre d’où vient cette peur de vieillir, constater qu’elle n’est pas le symptôme d’un problème personnel mais de l’âgisme et du sexisme m’a permis de mettre ces peurs à distance, et surtout d’avoir un rapport plus sain au vieillissement. Je n’ai pas le choix de vieillir, mais je préfère choisir la façon dont je souhaite vieillir, plutôt qu’on me l’impose.
Ça nécessite de redéfinir le « bien vieillir » : « bien vieillir » ne doit plus consister à résister au temps le plus longtemps possible, donc rester jeune jusqu’à la mort, mais se laisser le droit d’évoluer, mentalement et physiquement.
Vieille peau vise-t-il à combler un manque d’information à l’heure actuelle sur les conséquences du vieillissement aujourd’hui ?
Fiona Schmidt : En tout cas, il vise à sortir le sujet de l’omerta, et à le rendre accessible au plus grand nombre. C’était fondamental pour moi d’écrire un livre sur l’âgisme qui soit lu par plusieurs générations de femmes, et pas uniquement par les femmes de mon âge et plus. On est toutes concernées, dès le plus jeune âge et jusqu’à la mort, par les conséquences du double standard sexiste du vieillissement. La peur de vieillir, la peur de la vieillesse ne s’attrapent pas brusquement à la retraite, ou même à la ménopause, considérée comme le seuil de la vieillesse des femmes.
On grandit toutes et tous avec des représentations négatives du vieillissement, et surtout du vieillissement féminin, ce qui influence nos représentations et nos comportements, vis-à-vis des autres comme de nous-mêmes. J’ai voulu écrire un livre qui permette à chacun(e), quel que soit son âge, d’interroger son propre rapport à l’âge et au vieillissement.
Comment expliquez-vous ces œillères sur la question des effets de l’âge sur les femmes ?
Fiona Schmidt : La vieillesse en général, et la vieillesse des femmes en particulier reste très tabou : le marketing incite d’ailleurs à « corriger » ou « lutter contre les signes du vieillissement », comme s’ils étaient un problème ou une maladie ! Et d’autre part, l’âgisme est une discrimination invisible en France, contrairement aux pays anglo-saxons où les mouvements anti-âgistes ont émergé dès les années 70, dans le sillage des mouvements anti-racistes et féministes dont ils étaient très proches.
J’ai été frappée de constater que même les personnes engagées, culturellement privilégiées ne savent pas toujours ce que c’est que l’âgisme — un ami croyait que c’était le contraire du jeunisme, par exemple. La problématique n’existe pas dans l’espace public, alors que les discriminations vis-à-vis des personnes âgées existent bel et bien, et que les inégalités de genre se renforcent avec l’âge.
Quels sont les auteur(e)s qui vous ont particulièrement marqué, aidés, lors de vos recherches ? Simone de Beauvoir a une place toute particulière…
Fiona Schmidt : Elle a été la première au monde à avoir politisé la question de l’âge dans son essai La Vieillesse, publié en 1970, dans lequel elle évoque déjà le double standard du vieillissement. L’article de Susan Sontag publié en 1972, « The double standard of aging », a lui aussi été déterminant, et ce qui est frappant, c’est que ces deux publications datent de plus de 50 ans. Or si j’osais, je dirais qu’elles n’ont pas pris une ride… A quelques nuances près, les mêmes causes produisent toujours les mêmes conséquences en occident.
Un monde où la vieillesse serait considérée de la même manière par les hommes et les femmes, est-il possible ?
Fiona Schmidt : Il faudrait que les signes du vieillissement soit perçus de la même façon, or on en est encore très loin : les rides et les cheveux blancs restent des défauts chez les femmes, que les plus « courageuses » — souvent privilégiées — « assument », alors que les hommes n’ont jamais eu à les assumer, puisqu’ils n’ont jamais été problématiques. Ils peuvent même être des atouts de séduction pour certains, ce qui n’est jamais le cas chez les femmes.
Cette maturité à deux vitesses a des conséquences sur l’estime de soi, bien entendu, la vie sociale, conjugale, sexuelle, mais aussi professionnelle, donc économique : le fait d’être perçue comme « senior » avant un homme du même âge est un obstacle qui s’ajoute à tous les obstacles que rencontrent les femmes dans leur carrière, quel que soit leur métier.
À la page 276, vous dites que la vieillesse désirée « n’adviendra pas si je l’ai pas d’abord imaginée ». Estimez-vous que notre imaginaire est conditionné à nier ou dénigrer la vieillesse ? Comment est-il possible de l’affranchir de ce conditionnement ?
Fiona Schmidt : Jusqu’à une époque très, très récente, les représentations de la vieillesse des femmes étaient rares, et stéréotypées. Encore aujourd’hui, les femmes de plus de 50 ans sont trois fois moins nombreuses à l’écran que dans l’espace public, alors que la proportion des hommes de plus de 50 ans est sensiblement la même.
Non seulement les femmes dites « mûres » sont nettement moins représentées, mais leur temps de parole est inférieur à celui des hommes, et elles jouent des rôles qui se cantonnent le plus souvent à la sphère domestique : elles sont plus souvent définies par leur statut de mère et/ou d’épouse que de professionnelle ou d’amie, par exemple. Heureusement, les choses évoluent peu à peu, de plus en plus de femmes de tout âge créent leurs propres récits et leurs propres images, ce qui contribue à diversifier les représentations, donc à nourrir les imaginaires.
Les séries dont les héroïnes ont plus de 50 ans ne devraient plus être une exception mais une nouvelle norme : ça permet aux femmes de se projeter vers l’avenir, et plus seulement de revivre des situations et problématiques correspondant à des étapes de la vie qu’elles ont déjà vécues. C’est important que la maturité et la vieillesse des femmes soient de plus en plus représentées à l’écran - après tout, elle concerne de plus en plus de monde, puisque la population vieillit -, et qu’elle ne soit plus systématiquement associée à la déchéance.
Ce sont des étapes de la vie comme les autres, ni moins riches, ni moins passionnantes que l’adolescence ou la jeunesse.
Avez-vous été marqué par un ou plusieurs romans qui évoquaient la vieillesse ?
Fiona Schmidt : J’ai été très marquée par les premières lignes de L’Amant, de Marguerite Duras, que j’ai dû lire vers 14-15 ans. Ce n’est pas un roman sur la vieillesse, au contraire, mais il commence comme ça : « A dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai pas demandé. Il me semble qu’on m’a parlé parfois de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal, je l’ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire des yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassure profonde. »
L’autrice se réjouit de ce vieillissement, moi ça m’avait horrifiée et fascinée en même temps. Je me souviens avoir relu ce passage jusqu’à le connaître presque par coeur ! J’ai lu Les Mandarins, de Beauvoir, à 39 ans, l’âge où son héroïne, le double de l’autrice, se regarde dans le miroir et se décrit avec une cruauté typiquement féminine. Les Années, d’Annie Ernaux, m’a aussi beaucoup marqué car c’est l’un des livres qui évoque le temps qui passe avec le plus de lucidité et d’acuité. De manière générale, l’autrice a un rapport très singulier à l’âge, au sien comme à celui des autres.
Elle évoque d’ailleurs très bien la différence d’âge entre son amant et elle dans son dernier livre, Le jeune homme. Maintenant que j’y pense, la plupart des livres que j’ai lus évoquant la vieillesse des femmes ne donne pas du tout envie de vieillir, hormis peut-être Best Love Rosie, de Nuala O’Faolain, une autrice que j’aime beaucoup, et qui suit les tribulations d’une quinquagénaire joyeuse mais tourmentée et d’une vieille dame acariâtre en Irlande et aux États-Unis. Ca n’est pas complètement optimiste, mais pas complètement désespéré ni désespérant non plus.
Pour éviter que l’âge devienne une névrose chez les femmes, devons-nous en parler le plus tôt possible aux jeunes générations ?
Fiona Schmidt : Pour éviter que l'âge ne devienne une névrose chez les femmes, il faudrait cesser de leur vendre des produits « anti-âge » dès leur adolescence, comme si l'avancée en âge était susceptible de leur retirer quelque chose de vital. Or les insécurités physiques et morales représentent une manne financière telle que je doute hélas qu'on leur lâche les rides de sitôt. D'où la nécessité de déconstruire l'âgisme le plus possible, en effet. Il n'y a pas d'âge minimum pour déconstruire les discriminations et construire l'égalité, et cela vaut aussi bien pour le sexisme, le racisme, les LGBTphobies... que pour l'âgisme. Encore faudrait-il que l'on prenne conscience collectivement que l'âgisme est une discrimination comme les autres, qui doit être combattue au même titre que les autres.
Avez-vous eu des retours suite à la publication de votre livre, de la part de femmes, mais aussi celle d’hommes ?
Fiona Schmidt : J'en ai eu beaucoup ! Ca me réjouit d'autant plus qu'ils émanent de femmes de toutes les générations. La plus jeune lectrice à s'être manifestée a 15 ans, la plus âgée, 82. Évidemment, elles n'ont pas la même lecture selon que les étapes décrites dans le livre soient devant ou derrière elle, mais je suis heureuse d'avoir participé à les faire réfléchir à la façon dont ces étapes sont codées socialement, et influent sur l'existence de chaque femme, quels que soient son âge et son milieu social.
L'un de mes principaux objectifs avec Vieille peau était d'établir un dialogue féministe intergénérationnel, comme Audre Lorde l'appelait de ses vœux dès 1980 : « Si les jeunes membres d'une communauté considèrent les plus âgés comme méprisables, suspects ou superflus, ils ne pourront jamais se donner la main et examiner les souvenirs vivants de la communauté. Cette amnésie historique nous conduit constamment à réinventer la roue. » Il faut en finir avec le mythe de la « guerre des générations » qui ne profite à aucune.
En juillet dernier, la proposition de loi de la majorité présidentielle consacrée au « bien vieillir » à été reportée. En quoi cette action est-elle symptomatique du rapport de l'exécutif avec les questions liées à la vieillesse ?
Fiona Schmidt : C’est symptomatique de l’indifférence que suscitent les personnes âgées, depuis toujours, alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses. Tous les ans, on fait mine de découvrir qu’elles sont maltraitées dans les Ehpad, alors que tous les ans, le personnel des Ehpad dénonce ses conditions de travail par le biais de grèves largement médiatisées. Le retentissement qu’a eu le livre de Victor Castenet, Les Fossoyeurs, aurait dû faire enfin bouger les choses, mais il n’en est rien. Au même titre que les femmes et toutes les personnes minorisées, les vieux ne sont toujours pas prioritaires dans l’agenda politique.
Crédits photo : © Chloé Vollmer-Lo.
Par Julie Mahé
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Paru le 17/05/2023
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2 Commentaires
NAUWELAERS
30/08/2023 à 00:32
Je crains que la guerre des générations n'ait rien d'un mythe, hélas.
Voir l'animosité extrême que suscitent les rescapés des Trente Glorieuses auprès de foules de jeunes qui rament...
Qui pensent que les aînés ont pu bouffer au banquet de la vie lors d'une période exceptionnellement favorable alors que seules des miettes leur sont réservées en ces temps pénibles.
Les jeunes qui reprochent en outre à la génération des Trente Glorieuses d'avoir saccagé la planète avec leur absence de conscience écologique et leur croyance au progrès technique infini...
Tout cela étant certes injuste et caricatural.
De nombreuses personnes âgées ont des retraites minuscules et/ou croupissent dans des mouroirs.
De Gaulle, pas le plus mal loti sur un plan personnel, s'est écrié, loin de toute considération politique et médiatique: «La vieillesse, quel naufrage !»
On peut encore mentionner la façon ignoble avec laquelle un virus a empêché des vieux de revoir une dernière fois leurs proches -dans les mouroirs -avant de s'en aller.
Un crime impardonnable du gouvernement Macron.
Un scandale nauséabond.
Le combat anti-âgisme de cette autrice est pleinement justifié.
Avec le soutien de l'octogénaire Drucker de retour à l'écran (là, bof tout de même) et le pied de nez d'anthologie au vieillissement, de ce bon nonagénaire de choc Hugues Aufray...
Qui se marie ces jours-ci, avec une femme bien entendu bien plus jeune que lui !
On attend les innombrables volées de bois vert de la part des petits justiciers frustrés des réseaux sociaux.
Classement vertical, et vive la vie jusqu'au bout.
Si des gens s'aiment, ils ont raison et se foutent du jugement social.
La jeunesse, et la liberté, c'est cela, depuis toujours.
CHRISTIAN NAUWELAERS
ANNE
30/08/2023 à 09:54
" J'ai vieilli" : début de Beauvoir/fin de Zazie...
+/- même époque
(Raymond Queneau, "Zazie dans le métro")