Trois mois après l'ouverture d'une procédure, Gérald Darmanin a annoncé la dissolution du mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre (SLT) en Conseil des ministres. Dans son décret, il avance notamment que SLT se fonde sur les « idées véhiculées » par l’ouvrage de Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, paru en 2020 aux éditions La Fabrique. La maison met en garde contre une « nouvelle forme de censure » qui menace la liberté de s’exprimer et de publier…
Le 23/06/2023 à 15:09 par Zoé Picard
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23/06/2023 à 15:09
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Le mouvement des Soulèvements de la Terre rassemble des organisations aux stratégies diverses telles que le syndicat agricole La Confédération paysanne, l’initiative citoyenne Alternatiba ou l’association Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne).
SLT est également porté par des fermiers, des chercheurs et diverses personnalités, comme l’auteur de science-fiction Alain Damasio. Il a notamment participé à la rédaction d’un ouvrage collectif pour défendre les SLT, intitulé On ne dissout pas un soulèvement. 40 voix pour les Soulèvements de la Terre, paru au Seuil en juin 2023. Ce dernier est aussi cosigné par Isabelle Cambourakis, Philippe Descola, Virginie Despentes, Baptiste Morizot, Kristin Ross, Françoise Vergès et tant d'autres.
Selon le décret de dissolution, « [s]ous couvert de défendre la préservation de l’environnement », les Soulèvements de la Terre « incitent à la commission de sabotages et dégradations matérielles, y compris par la violence [...], en se fondant sur des idées véhiculées par des théoriciens, prônant l’action directe et justifiant les actions extrêmes allant jusqu’à la confrontation avec les forces de l’ordre ». Et le ministre de l'Intérieur de citer Comment saboter un pipeline d’Andreas Malm, publié aux éditions La Fabrique en 2020.
Andreas Malm, penseur et activiste suédois, se revendique du « léninisme écologique ». Dans un entretien donné au média Révolution Permanente, il revient sur les prémisses de son parcours militant : « J’ai fait mes débuts en matière d’action pour le climat en 1995, pendant la COP1 à Berlin, qui a ouvert l’interminable bal des conférences des Nations Unies sur le climat [...]. »
Il a notamment écrit L’anthropocène contre l’histoire —Le réchauffement climatique à l’ère du capital (trad. Étienne Dobenesque), sous la houlette des éditions La Fabrique. Dans cet ouvrage, il développe une critique marxiste de la théorie de l’anthropocène et évoque les origines du capitalisme, système qu'il juge profondément lié à l’utilisation d’énergies fossiles polluantes. Son dernier ouvrage, Avis de tempête, paraîtra en octobre au sein de la même maison, dans une traduction de Nathan Legrand.
Dans son essai Saboter un pipeline, également traduit par Étienne Dobenesque et publié par La Fabrique, il distingue les différentes formes de violence. Dans une tribune qu’il a donnée au Monde le lendemain de la publication du décret, il précise : « Mon propos est simplement d’ouvrir un débat exigeant sur la légitimité d’actions de désobéissance, notamment sur des sites-clés de l’infrastructure et de la logistique du capitalisme fossile. Et soyons clairs ici, je parle de propriété, d’objets matériels, pas de personnes — je n’ai jamais prôné la violence contre des individus ou des groupes. »
Un discours donc bien éloigné de celui que Darmanin qualifie vaguement de justification « d’actions extrêmes »... ActuaLitté a contacté les éditions La Fabrique, qui n’ont pas souhaité apporter de commentaires supplémentaires.
Le militant met en évidence l'analyse erronée du “premier flic de France” : « Par ailleurs, si je respecte et admire Les Soulèvements de la Terre — comme je respecte, par exemple, les militants allemands d’Ende Gelände —, nous ne sommes pas particulièrement liés et nous ne sommes même pas d’accord sur de nombreux points d’analyse ou de perspectives. » Et d’ajouter : « L’idée que mon livre serait une bible pour eux est donc, pour être très honnête, une ânerie et une marque de mépris. »
« De façon flatteuse mais grotesque, il semblerait que le pouvoir ait jeté son dévolu sur un universitaire suédois qui, contrairement à Ted Kaczynski, ne vit pas dans une cabane isolée pour fabriquer des bombes artisanales. Voilà qui manque cruellement d’imagination…Tout observateur raisonnable pourra juger combien cette démarche est maladroite et grossière. »
- Andreas Malm, auteur de Comment saboter un pipeline
Enfin, il s’accorde avec sa maison d’édition française pour dénoncer cette mise en cause. L’ouvrage paru il y a trois ans, traduit en plus de 5 langues et adapté au cinéma sous la forme d'un thriller hollywoodien, Sabotage de Daniel Goldhaber (en salles en juillet 2023), n’a jamais fait l'objet d'une action en justice.
« Je suis venu à plusieurs reprises discuter du livre en France autour d’événements de lancement, d’interviews, etc. Dans cette période, ni moi ni mon éditeur n’avons été soupçonnés ou accusés de quoi que ce soit d’illégal », précise-t-il.
Selon lui, « [p]our donner l’impression que ce réseau militant est en réalité un groupement de dangereux terroristes, l’État français a dû inventer un gourou, un maître à penser qui aurait par avance théorisé leur passage à l’acte ».
Dans son communiqué, la maison d'édition La Fabrique déclare que ce décret constitue « une attaque détournée contre les libertés d’expression, de la presse et de l’édition et contre les lois qui les régissent. » Ils ajoutent : « Voilà donc les nouvelles formes de censure, d’atteintes aux libertés et de mesures d’intimidation qui pèsent sur les maisons d’édition. »
Malgré ce climat hostile, les éditions La Fabrique réitèrent leurs prises de position : « Un jour, nous serons tous et toutes des soulèvements de la terre. » Elles annoncent également travailler avec le mouvement SLT sur un projet de livre.
Comme La Fabrique le rappelle, ce n’est pas la première fois qu’un texte qu’elle publie est cité par le gouvernement dans le cadre d’une procédure judiciaire. Lors de l’affaire Tarnac, qui a débuté en 2008 et qui concerne un groupe d’anarchistes soupçonnés d’avoir saboté des lignes ferroviaires, l’intégralité de l’essai L’insurrection qui vient a été « versé au dossier d’une procédure antiterroriste comme élément à charge », alors que l’écrit n’avait jamais fait l’objet, ici aussi, d'une quelconque procédure judiciaire.
Ce texte signé par le Comité Invisible, un collectif d’auteurs anonyme, a influencé certaines franges du mouvement altermondialiste et de l’extrême gauche. Mais, selon la maison d’édition, la citation du livre n'aura pas apporté plus de substance à la procédure, qui « s’est soldé[e] par un camouflet pour le pouvoir et une relaxe collective pour les personnes mises en cause ».
Rappelons aussi qu’en avril dernier, un collaborateur de la maison d'édition La Fabrique avait été quelque peu secoué, à l'occasion de son passage à Londres, pour la Foire du Livre. L'agent littéraire Ernest M. avait été arrêté par la police britannique à la gare de Saint-Pancras, pour ensuite voir son téléphone et son ordinateur saisis et subir un interrogatoire de 6 heures.
« Nous considérons ces agissements comme des violations scandaleuses et injustifiables de la liberté d’expression et comme un nouvel exemple de l’arbitraire des lois antiterroristes », assuraient alors les éditions La Fabrique et Verso Books, qui travaillent toutes deux avec ce professionnel.
Gérald Darmanin et le ministère de l'Intérieur ont déjà été accusés de censure. En décembre 2022, la librairie-café Les Parleuses à Nice a ainsi arboré des collages féministes pour accueillir le responsable politique, en visite dans la ville. Deux policiers en civil et une dizaine de CRS en uniforme ont rapidement décollé les messages, avant de recouvrir les vitrines du commerce de bâches noires.
À LIRE - Une libraire incarcérée et placée en garde à vue... pour avoir manifesté
Qualifiée de « détournement de pouvoir » par les libraires et leur avocate, l'intervention des forces de l'ordre fait désormais l'objet d'une procédure auprès du tribunal administratif de Nice, dont la décision doit être rendue prochainement.
Crédits photo : Code Rood (CC BY-SA 2.0)
Par Zoé Picard
Contact : zp@actualitte.com
Paru le 04/02/2021
944 pages
Editions Gallimard
12,40 €
Paru le 10/04/2017
242 pages
La Fabrique Editions
15,00 €
Paru le 06/10/2023
229 pages
La Fabrique Editions
18,00 €
Paru le 05/03/2007
125 pages
La Fabrique éditions
7,00 €
10 Commentaires
Aurelien Terrassier
23/06/2023 à 20:59
Je soutiens les Soulèvements de la Terre à trois cents pour cents. L'eau est un bien essentiel. Les megabassines ne concerne seulement que six pour cents d'agriculteurs de l'agroindustrie. C'est surtout le syndicat qui représente cette agroindustrie à savoir la Fnsea dont les méthodes très violentes ne sont jamais réprimées par les forces de l'ordre qui a poussé le gouvernement à cette volonté de dissoudre un mouvement pacifiste, ecologiste et citoyen qui regroupe plusieurs syndicats et associations dont Alternatiba, Attac et la Confédération paysanne. Plusieurs personnalités comme Alain Damasio, Françoise Verges, Virginie Despentes mais aussi Camelia Jordana et Peter Gabriel mais aussi des élus Lfi et Eelv soutiennent les Soulèvements de la Terre. La politique répressive et autoritaire d'Emmanuel Macron et de Gérald Darmanin n'aura peut-être pas le dernier mot sur cette affaire. Le Conseil d'Etat tranchera dans quelques semaines. Si ce mouvement est dissoud, la lutte contre l'agroindustrie et ses dégâts sur le dérèglement climatique continuera sans aucun doute. Dans les années 2000, les Faucheurs d'Ogm ont eu gain de cause, ils ont réussi à s'imposer dans le débat puis les différents gouvernements de l'époque se sont emparés de ces questions. Là c'est un contexte différent, la lutte contre le réchauffement climatique est urgente et on le voit avec les débats récents sur l'aviation. Il faut agir au plus vite et même si les Soulèvements de la Terre sont dissous, il y aura un mouvement encore peut-être plus fédérateur avec les mêmes associations, syndicats, citoyens et élu. es Nupes pour faire en sorte que le gouvernement actuel réagisse face au réchauffement climatique au lieu d'être d'écouter la Fnsea et aussi la Coordination paysanne qui ne représente qu'une très faible minorité d'agriculteurs.
Rose
24/06/2023 à 11:02
Pourfendre l'inaction climatique n'est pas un délit. Un livre est sorti "On ne dissout pas un soulèvement" 40 voix pour les Soulèvements de la Terre aux éditions Seuil juin 2023.
À lire aussi : "Le Gang de la Clef à Molette" Edward Abbey aux éditions Totem, où la bataille a commencé.
Aurelien Terrassier
24/06/2023 à 14:18
@Rose A voir aussi l'excellent film documentaire de Fabien Mazzocco "De l'eau jaillit le feu" sur l'histoire du Marais poitevin et des gens qui vivent là-bas comme Julien Le Guet. Ce film sorti le 31 mai parle des Soulevements de la Terre et je le recommande vivement.
Rose
26/06/2023 à 06:45
Merci pour l'info.
Aradigme
24/06/2023 à 16:22
Des militants du groupe "Soulèvements de la Terre" se sont en effet livrés récemment à plusieurs reprises à des actions violentes contre les biens et les personnes (tentative de destruction d'une retenue d'eau à Sainte Soline et agression des gendarmes qui la protégeaient, destruction de serres expérimentales, agression du maire de Toulouse et de ses adjoints, etc...). Les méthodes brutales utilisées par ce groupe justifient sa dissolution.
Aurelien Terrassier
25/06/2023 à 20:28
Je précise aussi que ces megabassines sont financées à hauteur de 70% par l'état, soit un gaspillage de l'argent public honteux et scandaleux tout ça pour 7% d'agriculteurs qui représente le lobby de l'agro-industrie!
Rose
26/06/2023 à 06:59
Les actions du groupe Les Soulèvements de la Terre sont légitimes pour freiner les catastrophes naturelles qui arrivent. Certaines méthodes peuvent être maladroites et la violence semble être des deux côtés, d'ailleurs l'ONU condamne "l'usage excessif de la force" de la police suite à une plainte. Pour les actes excessifs, la justice est là pour pénaliser, une dissolution n'est pas nécessaire et fait trembler la démocratie. En parallèle, l'inquiétude de voir une menace sur les subventions de la Ligue des Droits humains et aussi l'annulation de l'agrément d'Anticor.
Aurelien Terrassier
26/06/2023 à 10:35
C'est cette loi contre le separatisme mise en vigueur depuis presque deux ans qui sous couvert de lutter contre le terrorisme et l'islamisme surtout permet au gouvernement de dissoudre des associations ou de leur enlever ou réduire des subventions publiques sous prétexte qu'elles seraient anti-republicaines. En plus de stigmatiser les musulmans, cette loi contre le séparatisme est un vrai danger pour la démocratie et la liberté d'expression des mouvements sociaux et des associations comme la LDH et Anticor. Le tournant autoritaire et répressif d'Emmanuel Macron et Gerald Darmanin n'est pas sans déplaire à l'extrême droite du RN car c'est un peu son programme qui est appliqué au plus sommet de l'Etat. Depuis le Régime de Vichy, aucun gouvernement ne s'en était pris ainsi à la Ldh c'est ainsi dire. Pour les Soulèvements de la Terre, on ne dissoud pas un mouvement!
Aurelien Terrassier
25/06/2023 à 10:27
Il y a beaucoup d'instrumentalisations aussi du côté de la violence de certains radicaux qui ne sont qu'une minorité dans le mouvement des Soulevement de la Terre. La Fnsea a commis des actes beaucoup plus violents mais jamais réprimés. Les responsables de la Fnsea sont souvent dans la culture de l'excuse voir cautionnent. Les différents gouvernements ne disent rien surtout celui-ci. C'est la Fnsea qui a commandité la dissolution. La Fnsea soit le lobby de l'agro-chimie et de la malbouffe. Quand des gens de la Fnsea commettent des actes de vandalisme ou menace de séquestrer un maire, ils ne vont pas garde à vue. Il y a là un deux poids deux mesures insupportable! Une grande partie de l'opinion publique est contre cette agriculture industrielle qui est nocive pour la planète et pour l'humain. Pourquoi il y a de la radicalite dans le mouvement écologiste? C'est bien parce-que le gouvernement n'écoute pas et est du côté de la Fnsea! Ce dont on parle le moins aussi, c'est qu'il y a eu cette année cinq megabassines interdites en Charente Maritime. C'est aussi un combat de longue haleine la lutte devant les tribunaux!
OGM
26/06/2023 à 19:34
Les technocrates chargés des basses oeuvres du ministre de l'Intérieur ont-il lu le livre avant d'écrire ? Y aura-t-il en appel une bataille d' éxégèse, texte en main ? En-a-t-on saisi chez les interpellés préventifs et autres détenus arbitraires des multiples opérations de police menées contre les SLT ? (la vingtaine de personnes arrêtées le 20 juin ont depuis été remises en liberté après une garde à vue de 4 jours, régime "antiterrorisme" et aucune de ces personnes n’a été présentée devant le magistrat instructeur). Ont-ils avoué l'avoir lu pendant leur garde à vue ?
Qu'est-ce que je risque pour l'avoir acheté ? Mon libraire ? Ma bibliothécaire ?
Un pas de plus vers l'illibéralisme, encore une criminalisation forcenée d'opposant, mais en même temps, espérons-le, une aubaine pour l'auteur et pour l'éditeur si la répression en fait un best-seller ! ça les aidera peut-être à préparer une base de repli en Suisse, en Belgique ou en Hollande pour échapper aux sbires du roi de France et continuer leur travail le jour venu.
Parallèlement, à ce jour, environ 150 000 personnes ont déjà rejoint en ligne la déclaration de soutien aux SLT. Qui est toujours ouverte, que vous trouverez sans peine, un rassemblement d'écoterroristes que je signale aussi à l'intention du Ministre des BRAV-M et des LBD, ils sont servis comme sur un plateau.
C'est du lourd, y'a Philippe Descola, le cannibale bien connu, des agents de l'étranger comme les Helvètes Jean Batou et Pierre Vanek, l'Allemande Luisa Neubauer, la pétroleuse Annie Ernaux et des indigènes islamo-gauchistes notoires qui n'en sont pas à leur coup d'essai quand il faut nuire à la FRANCE.
Bon citoyen élevé au glyphosate et au chlordécone, je dois aussi signaler l'existence de rassemblements de solidarité partout en France et en Europe le 28 juin, des fois que la police politique soit négligente.