La fusion Editis-Hachette menace “l’équilibre du marché”
Entrée dans le domaine du concret après l'offre publique d'achat réussie du groupe Lagardère par son rival Vivendi, la fusion entre Editis et Lagardère Publishing/Hachette n'en finit pas d'inquiéter l'édition, en particulier l'édition indépendante. Quatre fondatrices de maisons d'édition indépendantes pointent un « supergroupe » qui dévasterait tout sur son passage.
Le 20/06/2022 à 16:56 par Antoine Oury
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Publié le :
20/06/2022 à 16:56
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Avec 57,35 % du capital de Lagardère à l'issue de son OPA, le groupe Vivendi est en passe de devenir le propriétaire de son principal concurrent. La transaction reste toutefois encore soumise à l'approbation des autorités financières, notamment celle de la Commission européenne. Pour l'instant, seul le Conseil de la concurrence marocain a émis un bémol, indiquant prolonger son enquête en raison d’un « doute sérieux d’atteinte à la concurrence ».
Dans le secteur de l'édition, la fusion Edithachette soulève des doutes, voire des craintes, depuis plusieurs mois déjà. Antoine Gallimard, patron du groupe homonyme, ou Françoise Nyssen, du côté d'Actes Sud, se sont déjà exprimés sur le sujet, faisant état d'inquiétudes vis-à-vis du paysage éditorial français.
Ils sont désormais rejoints par quatre éditrices indépendantes, fondatrices d'autant de maisons d'édition : Liana Levi (Editions Liana Levi), Sabine Wespieser (Sabine Wespieser éditeur), Colette Olive (éditions Verdier) et Laure Leroy (Éditions Zulma) cosignent en effet une tribune dans Le Monde pour dire tout le mal qu'elles pensent de cette fusion-acquisition.
« Ce mégagroupe, tel qu’il se dessine aujourd’hui, romprait totalement l’équilibre du marché et mettrait en péril toute l’édition indépendante, car les répercussions d’une concentration jamais atteinte à ce jour, par sa taille et son ampleur, se feraient sentir sur l’ensemble de la chaîne du livre », affirment-elles.
D'après les éditrices, les sociétés de diffusion-distribution possédées par les deux groupes, et réunies, « représenteraient plus de 50 % du marché », limitant les capacités de négociation des plus petites structures pour faire vivre leurs catalogues en diffusant leurs livres. Signalons toutefois que l'une des conditions du feu vert de la Commission pourrait justement être le démantèlement partiel de Lagardère, afin d'éviter une distorsion de concurrence.
En librairie, avec 59 % de part de marché en littérature générale, 65 % en poche et 83 % en parascolaire d'après GfK, Edithachette pourrait faire pression sur les revendeurs, en limitant des remises moindres — même si le groupe Editis a lui-même augmenté sa remise aux libraires il y a quelques semaines. Un même mécanisme s'appliquerait auprès des imprimeurs, un grand groupe, avec d'importants volumes de commandes, se taillant généralement une place plus confortable auprès des fabricants.
Enfin, les éditrices indépendantes s'inquiètent des moyens médiatiques conséquents à disposition de ce mégagroupe, capables d'occuper largement différents canaux de promotion. D'après elles, au-delà des éditeurs indépendants et concurrents, les auteurs seraient victimes de cette fusion, Edithachette privilégiant « quelques rares » têtes d'affiche qui « se verraient offrir des conditions mirobolantes ».
À LIRE: Hémorragie chez Fayard : “la liberté éditoriale” des auteurs menacée ?
Dans leur tribune, où les éditrices indiquent avoir alerté la Commission européenne, elles préviennent d'« [u]ne édition où le lecteur se verrait considéré comme un consommateur d’œuvres standardisées et où pluralisme éditorial et la création littéraire seraient, peu à peu, appelés à disparaître ».
La tribune est accessible à cette adresse.
Photographie : illustration, Jeanne Menjoulet, CC BY 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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1 Commentaire
Kujawski
22/06/2022 à 18:23
On est ravi devant l'indignation de professionnel(le)s de cet acabit face à l'opération, toujours en cours, de Bolloré. Tout ce qu'ils/elles soulignent, rappelé ici par Antoine Oury, a de fortes chances d'arriver en cas de réussite de l'OPA, on pouvait donc légitimement attendre de ces ardent(e)s défenseurs(euses) de la loi Lang, et d'une économie du livre équilibrée, une réaction - qui a, tout de même, mis des mois à arriver.
Ce que cette tribune ne dit pas, c'est que M. Bolloré, pas assez fou pour cela, ne profiterait probablement pas d'une hypothétique position quasi-monopolistique pour se déchaîner contre ses fournisseurs et vendeurs, dont, au moins dans un premier temps, il a trop besoin. Dans sa ligne de mire, il y aurait plutôt un géant américain de la distribution...
Mais les conditions aux éditeurs/trices, aux enseignes, aux libraires, relèvent de plus en plus, et beaucoup trop, de bons vouloirs de groupes-mastodontes. Si Bolloré ne coupait pas les jambes de ses interlocuteurs, en tout cas pas tout de suite, ce serait parce qu'il ne le jugerait pas opportun, lui, le tycoon. Monseigneur serait seul qualifié pour distribuer ses amabilités. Aux autres producteurs, au marché du livre, de suivre, ou non.
Où est la boussole, publique en l'occurrence, qui permettrait de mesurer l'impact général, économique et social, des libéralités ou punitions du Maître ? Où sont les régulations publiques des conditions commerciales, au-delà de, ou avec la loi Lang ?
L'autre non-dit de cette tribune, c'est que certain(e)s de ses signataires ont laissé pendant des décennies la chaîne du livre prendre son tour hyper-concentré. Ils/elles ont misé sur la magie du marché pour qu'il garde ses jolis atours, auteur(e)s phares, piles en librairies, émission de télévision, et pour espérer un jour, au pire ne pas être mangés, au mieux faire jeu égal avec les mastodontes. Patatras. On sait ce qu'il en est. Quelles actions auprès de la puissance publique, dès les années 80 et 90, pour entraver la tentation concentrationnaire des grands groupes, et tous les déséquilibres qui en découlaient, jour après jour ? Quel soutien à des organisations politiques qui militent contre les concentrations dans l'édition (voir "L'avenir en commun") ?
On applaudit donc cette tribune, on lui espère des effets retentissants, mais on appelle surtout à des interventions publiques puissantes :
- Contre l'OPA de Vivendi, d'abord, et une large part va se jouer à Bruxelles - où diverses organisations tentent l'accompagnement de l'opération, quand la CGT entend la combattre, en particulier pour les conséquences désastreuses qu'elle fait peser sur les salarié(e)s,
- Au sein de la chaîne du livre, pour une régulation économique anti-concentrations et monopoles, pour la régulation des conditions économiques et sociales de la création, pour les conditions commerciales, en particulier à la petite et moyenne édition et aux libraires (que celles-ci ne dépendent pas uniquement des bons-vouloirs de gros acteurs boursouflés).
En bref, la contestation de l'OPA de Bolloré peut (et doit) s'accompagner de réflexions et décisions pour réguler le marché du livre dans son ensemble, 41 ans après la loi Lang. Avec cette OPA, on n'est pas loin d'un point de non-retour économique, créatif et social, quelle que soit la stratégie de M. Bolloré quant au découpage de son nouveau jouet, en cas de négociation avantageuses avec la Commission.
Il n'est pas trop tard pour dessiner un paysage éditorial nouveau, dans lequel la création et la transmission prendraient le pas sur les stratégies boursières.