ENTRETIEN – « Je suis devenu traducteur d’italien parce que c’est l’une des langues que je lisais et quand j’ai commencé, il y a 20 ans, fin 2001, bizarrement il n’y avait pas beaucoup de traducteurs de l’italien. Il y avait d’excellents traducteurs, mais ils n’étaient pas très nombreux », nous explique Vincent Raynaud, qui officie également en espagnol et en anglais. Un entretien croisé entre France et Italie, autour de la littérature et de ses auteurs.
Le 23/04/2021 à 14:10 par Federica Malinverno
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23/04/2021 à 14:10
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Federica Malinverno/ ActuaLItté : qu’est-ce qui vous a amené à devenir traducteur, et plus spécifiquement de l’italien ?
Vincent Raynaud : Le hasard. J’ai fait beaucoup d’autres choses avant de devenir traducteur. Quand j’ai commencé à traduire, je travaillais pour le ministère de la Culture et je faisais des lectures en anglais et en Italien pour Albin Michel. Un des premiers livres que j’ai lus était Non ti muovere de Margaret Mazzantini (Mondadori, 2001), que j’avais fortement recommandé. Albin Michel a perdu les enchères à Francfort et c’est Robert Laffont qui les a gagnées. J’aimais beaucoup le livre, donc j’ai proposé de faire un essai de traduction chez Robert Laffont.
Le livre n’était pas encore sorti en Italie et n’était pas encore l’énorme succès qu’il est devenu ; l’essai était concluant et la traduction m’a finalement été confiée. Ensuite le livre s’est très bien vendu en France aussi. C’était ma première traduction.
Avez-vous étudié l’italien à l’école ?
Vincent Raynaud : Non, j’ai appris l’italien adulte, j’avais 25 ans. Ma première langue c’est l’anglais, après vient l’espagnol et enfin l’italien. Mais l’italien m’a ouvert beaucoup de portes professionnellement. La langue italienne m’a donné beaucoup et j’y suis très attaché. Comme traducteur j’exerce depuis 20 ans, ma première traduction étant en automne 2001.
Pendant votre carrière quelles évolutions et tendances avez-vous observé dans la littérature italienne ? Et dans celle achetée en France ?
Vincent Raynaud : Après avoir été lecteur, j’ai été conseiller éditorial chez Gallimard, où je me suis occupé du domaine italien de 2005 à 2017. Je traduisais une petite partie des livres achetés. Par exemple, j’ai apporté Roberto Saviano, mais pas Elena Ferrante qui était déjà au catalogue de Gallimard quand je suis arrivé. Antoine Gallimard m’a fait confiance et m’a permis de faire des choses formidables, avec une vraie audace, de publier des auteurs comme Marco Mancassola, Alberto Garlini, Vitaliano Trevisan, Giorgio Vasta et même Roberto Saviano.
Quand les quatre livres de Elena Ferrante sont arrivés, le succès était tellement gigantesque que le marché du livre italien a beaucoup changé. La maison a concentré beaucoup d’énergie sur cette autrice, à juste titre, et cela a été payant. Il y a d’autres auteurs auxquels je suis très attaché comme Alessandro Baricco, qui continue à avoir du succès, mais c’est vrai que l’arbre Ferrante tend à cacher la forêt des autres auteurs italiens.
J’avoue que je ne m’occupe plus spécifiquement de littérature italienne aujourd’hui, même si je continue à en traduire. D’après moi, la période actuelle est un peu moins riche. De toute façon c’est difficile pour toute la littérature étrangère en France. J’ai l’impression que c’est une période un peu moins créative un petit peu partout, alors que l’offre est énorme : il y a de nouvelles maisons qui publient de la littérature étrangère et beaucoup d’éditeurs publient des auteurs italiens.
Mais je pense que le roman a toujours été traversé par des périodes de créativité, d’innovation, et après des périodes un peu plus creuses, qui précèdent probablement une nouvelle vague de créativité. Par exemple, le creative writing à l’anglo-saxonne, un modèle que les Italiens ont beaucoup adopté, est un peu en train de s’essouffler… Mais il y aura sûrement d’autres choses qui viendront.
En général, à part les stars, c’était difficile avant de proposer de la littérature étrangère. Aujourd’hui, de plus, le roman français se porte bien — et c’est une excellente nouvelle — mais c’est un peu au détriment des romans étrangers, et cela dans une phase de moindre créativité. Globalement il y a plus de traducteurs, car il y a d’excellentes formations, mais le risque c’est qu’il y ait moins de titres à traduire, ou que soient privilégiés des ouvrages plus grand public et moins littéraires.
L’Italie aurait dû être le pays mis à l’honneur au Salon du livre de Paris en 2021, puis en 2022, mais la situation demeure très incertaine. Est-ce que des traductions de l’italien vous ont été confiées suite à ce rendez-vous ?
Vincent Raynaud : Il y a eu effectivement un regain d’intérêt vers l’Italie en raison du Salon du livre, et beaucoup de maisons se préparaient à cela, mais le Salon est en suspens maintenant. Pour cette occasion, j’ai traduit L’Arsenal de Rome détruit, d’Aurelio Picca, pour Christian Bourgois, qui est sorti en février, et en effet l’intention était d’inviter l’auteur au Salon. J’ai aussi traduit L’écume des pâtes, de Tommaso Melilli (à paraître le 28 avril chez Stock).
Pour le reste, je n’ai pas beaucoup de nouveaux auteurs, car je continue à en suivre. Notamment, Baricco et Saviano représentent pour moi des rendez-vous réguliers. J’ai aussi traduit des auteurs dont la production s’est un petit peu interrompue, mais qui reprendra peut-être, par exemple Alessandro de Roma, dont un très beau livre sort ces jours-ci en Italie chez Einaudi (Nessuno resta solo). Mais depuis un an, globalement, on est dans une phase de ralentissement et de mise en valeur des grands noms.
Quels textes attirent votre attention parmi la profusion de romans qui paraissent chaque année en Italie ?
Vincent Raynaud : Quand je travaillais chez Gallimard, il fallait que mes propositions s’intègrent au catalogue de la maison, mais il y avait une vraie ambition littéraire : nous avions la possibilité de construire quelque chose dans la durée, nous n’arrêtions pas de publier un auteur si le premier titre ne marchait pas très bien (des autrices comme Francesca Melandri, par exemple, ont pu trouver leur public).
En ce qui concerne la production actuelle, il y a des succès qui me laissent un peu perplexe et des auteurs qui ont mis du temps à arriver au succès et que moi j’avais refusés avant… Je ne vois pas de grand nouvel auteur passionnant depuis Paolo Giordano, Roberto Saviano, Silvia Avallone. Les nouveautés marquantes commencent à dater un peu. Certes, il y a une nouvelle tendance à l’autofiction, mais en France cela date un peu.
Ce qui est plutôt intéressant en Italie c’est que l’édition italienne n’est pas centralisée, elle est distribuée partout dans le pays et des initiatives intéressantes peuvent venir d’endroits inattendus. Par exemple, une maison comme Sellerio, spécialisée en noir, qui n’est pas à Milan ou Turin, fait des choix intéressants, tout comme Adelphi qui, surtout en essais et littérature étrangère, est capable de vraies révélations, et qui permet aussi de redécouvrir des auteurs du passé… Enfin, il y a des choses à apprendre de l’édition italienne, bien sûr, mais c’est assez imprévisible.
Quels sont les principaux défis et difficultés que vous rencontrez dans votre travail de traducteur ?
Vincent Raynaud : J’ai la chance d’avoir d’autres activités à côté. Ce n’est pas facile d’avoir suffisamment de travail en étant traducteur, car la concurrence est rude. C’est bien de savoir plusieurs langues, de travailler pour plusieurs maisons. Aussi, les traducteurs aujourd’hui sont devenus des scouts : ils lisent, cherchent, proposent, et les maisons s’en remettent souvent à eux comme à des apporteurs de projets.
La production est importante, et ceci est un travail de prospection intéressant, qui prend du temps et de l’énergie : le traducteur dans son bureau qui ne voit personne et fait son travail isolé dans son coin n’existe plus aujourd’hui, il va à la rencontre des textes et des éditeurs.
Quelle relation avez-vous avec les auteurs que vous traduisez ? Et avec les éditeurs ? D’habitude c’est vous qui proposez un ouvrage ou bien c’est une commande ?
Vincent Raynaud : Il y a beaucoup d’auteurs qui sont devenus des amis et j’ai maintenant des liens privilégiés avec le monde de l’édition italienne. Par rapport aux auteurs anglo-saxons, qui sont plus inaccessibles (car il y a souvent des filtres, des agents), avec les auteurs italiens c’est plus facile d’instaurer une relation directe. Certes, il y a quelques stars auxquels on accède moins facilement, mais de façon générale, entre auteur et traducteur il y a un rapport étroit par l’intermédiaire du texte. Que les auteurs lisent le français ou pas, dans cette chaîne de transmission nous sommes les deux maillons les plus proches, car nous travaillons sur le texte.
En ce qui concerne la façon de travailler avec les éditeurs, j’ai la chance d’être souvent sollicité à travers des commandes : c’est l’avantage d’avoir de l’expérience et d’être un peu connu.
Suivez-vous une méthode précise quand vous traduisez ?
Vincent Raynaud : Chaque texte particulier appelle une certaine méthode de travail : je développe donc une nouvelle façon de faire à chaque fois que je rencontre un texte particulier, et je la perfectionne par la suite. Puis il arrive un autre texte qui m’invite à changer de façon de faire : au fil du temps ma méthode a évolué, mais cela arrive, car cette évolution a été poussée par un texte particulier. Bref, il n’y a pas une méthode pour tous les livres : en effet, on fait du sur mesure.
Vincent Raynaud : Cela vous est déjà arrivé de traduire un dialecte ? Quelles solutions avez-vous adoptées ?
Cette question revient souvent avec l’italien. Elle est liée à l’histoire du pays, mais c’est une question qui ne m’intéresse pas beaucoup. Je n’ai pas traduit souvent le dialecte et généralement les textes qui ont beaucoup de dialectes sont des textes qui ne m’intéressent pas. Je ne parle pas des auteurs comme Camilleri, qui mélangeait les langues avec virtuosité…
En général, dans la production de romans contemporains en général je vois deux écueils : d’une part, la trop forte présence du dialecte est souvent liée à des histoires très traditionnelles, qui ne m’intéressent pas beaucoup ni comme lecteur ni comme traducteur ; d’autre part, au contraire, le dialecte peut s’accompagner d’une langue hyper contemporaine, parlée, un peu télévisuelle, et cela ne m’intéresse pas beaucoup non plus. J’aime les auteurs comme Gian Mario Villalta, Alberto Garlini, Vitaliano Trevisan, Marco Mancassola qui ont une langue à eux, qui échappe à ces écueils. C’est là que la littérature est vraiment intéressante.
Enfin, pour le dialecte, c’est une question de poids, d’importance dans le texte : si c’est anecdotique, on trouve des solutions facilement, sinon il faut le restituer, mais je pense qu’il ne faut pas traduire du napolitain par du marseillais. Cela ne me convainc pas, car cette traduction vieillirait mal, et des retraductions seront nécessaires plus tard : c’est une solution qui donne des résultats assez étranges.
Comment percevez-vous les évolutions actuelles du marché du livre en Italie ?
Vincent Raynaud : Un peu comme en France, le livre a bien résisté ces derniers mois, contrairement à d’autres secteurs de la culture. Après le premier confinement, les librairies sont restées ouvertes en Italie : lire c’est une sorte de valeur refuge. En France nous avons une situation intermédiaire entre le Nord et le Sud de l’Europe (en général on lit un peu moins du Nord au Sud). J’ai l’impression que les lecteurs italiens étaient auparavant plus curieux de littérature anglo-saxonne et maintenant lisent plus d’Italiens, peut-être parce qu’il y a de bons auteurs, de romans noirs en particulier, et, en général, il y a des mouvements en cours qu’on ne voit pas forcément.
En Italie il y a deux principales problématiques : la librairie, car il y a un moins fort réseau de librairies indépendantes, et Amazon et les chaînes ont plus de poids ; et la question médiatique : il y a de très bons suppléments culturels comme Robinson, La lettura, mais il n’y a pas grand-chose à la télévision… Par contre il y a Radio 3 Fahrenheit qui est très littéraire et touche plus difficilement le grand public.
La radio en France c’est un vrai vecteur, parce qu’il y a des émissions littéraires sur RTL, Europe 1, France Inter, France Culture, et des évènements comme la rentrée littéraire, les prix… L’avantage de la France, finalement, c’est qu’elle dispose de structures et d’institutions qui font marcher les choses. En revanche, l’Italie avance de façon plus dispersée, mais cela est en train de changer, comme en témoigne l’adoption de la loi sur le prix unique du livre, qui est arrivée plus tard qu’en France, où elle existe depuis 1981, mais au final a été promulguée. Enfin, le livre résiste partout, en France et en Italie, et c’est le plus important.
Une dernière question : y a-t-il des livres que vous regrettez de n’avoir pas pu traduire ? (Que ce soit parce que refusés par les maisons ou parce que confiés à d’autres traducteurs)
Vincent Raynaud : Je pense en particulier à deux cas. Works, de Vitaliano Trevisan, paru chez Einaudi en 2016, dans lequel il raconte toutes ses expériences professionnelles, de géomètre à assistant-architecte, dealer, scénariste pour le cinéma… C’est un texte de quasiment 1000 pages, donc très cher à traduire.
Ensuite, j’aurais aimé traduire Pier Vittorio Tondelli, mais j’étais trop jeune. Il a été bien traduit d’ailleurs au milieu des années 1990, mais il sera peut-être retraduit un jour. C’est un auteur qui a marqué une génération en Italie et il n’a pas eu l’accueil qu’il méritait en France, même s’il a été publié au Seuil. Il est vraiment un auteur charnière en Italie, il raconte les années du sida, les années de la drogue, il parle d’un monde punk, et il a été très influencé par les Anglo-Saxons. Il a contribué à ce que la littérature italienne bascule dans une certaine modernité, et il est encore beaucoup lu en Italie.
En France, en revanche, il devrait être redécouvert.
Crédit photo : Fabio Rava, CC BY NC 2.0 ; Vincent Raynaud © L’Iconoclaste ; Bologne - Giovani Racca, CC BY NC ND 2.0 ; ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Federica Malinverno
Contact : federicamalinverno01@gmail.com
1 Commentaire
Marie-Thérèse de Noblet
29/04/2021 à 20:30
Toute ouverture vers nos voisins, amis en l'occurrence, ne peut qu'être bénéfique aux générations actuelles et futures: que les textes originaux soient publiés en livres-audio!
Afin de favoriser l'apprentissage de langues étrangères....
Et la commission Européenne, que fait-elle pour favoriser les amitiés par le livre, le théâtre, etc? Hum.... M.Th. N