Prix Nelly Lieutier en 1921, édité par Plon en 1922, traduit en 25 langues, adapté en comédie puis au cinéma à quatre reprises entre 1929 et 1979, Ces Dames aux chapeaux verts connaît un vif succès en France et Outre – Atlantique. D’abord intitulé Quatre vieux cœurs, c’est le premier roman de Germaine Acremant qui en publiera une trentaine. Aucun ne connaîtra la même audience.
Suite à des affaires hasardeuses à l’origine du suicide de leur père, Arlette et Jacques sont totalement ruinés. Il faut vendre l’hôtel particulier parisien et se résigner à une nouvelle vie. Pour Jacques ce sera un emploi dans le comptoir d’une grande société commerciale au Soudan. Pour Arlette, aucune alternative que de s’exiler dans une petite ville du nord de la France où de lointaines cousines ont accepté de la recueillir.
La jeune fille de 18 ans aime le monde, pratique le sport, a un esprit vif et un caractère bien trempé. Les quatre demoiselles Davernis mènent une vie tranquille, rythmée par les offices religieux, les visites du Grand Doyen, les séquences de ménage rigoureusement planifiées au long de l’année et la peur du qu’en dira-t-on. Telcide, l’ainée, régit la maisonnée composée de Rosalie, Jeanne, Marie et de la bonne Ernestine. La confrontation promet d’être savoureuse.
Dès l’arrivée d’Arlette, le décor est planté :
Il est dix heures du soir…Depuis longtemps les honnêtes gens sont couchés.. Nous vous initierons demain à votre nouvelle existence… Nous allons vous montrer votre chambre… Mais, auparavant, par une pieuse coutume, nous disons quotidiennement notre prière en commun. D’abord parce que cela nous vaut des grâces particulières et ensuite parce qu’il fait moins froid ici qu’au premier étage.
Le lendemain, en achevant de ranger ses toilettes, Arlette découvre un carnet jauni oublié au fond d’un tiroir.
Il s’agit du journal intime d’une jeune fille tout juste sortie de pension qui rêve de liberté, de toilette et de mariage mais qui déchante vite. L’autorité maternelle ne permet nulle fantaisie. Au fil des jours, l’ennui s’installe et la peur de devenir vielle fille s’incruste jusqu’à ce qu’elle croise un homme.. « qui est descendu du trottoir pour la laisser passer et a murmuré une phrase qu’elle n’a pas comprise. » Le manuscrit s’arrête là. Le cahier a été déchiré.
Arlette n’a de cesse que d’en poursuivre la lecture et, surtout, de découvrir laquelle des demoiselles Davernis en est l’auteur. Une dizaine de jours plus tard, après avoir exploré chaque pièce, elle met enfin la main sur la suite du journal. Le jeune homme s’appelle Ulysse Hyacinthe. Âgé d’une trentaine d’années, il est professeur au collège et habite avec sa mère. Les jeunes gens se croisent de temps à autre, puis échangent quelques mots, font ensuite quelques pas sous le même parapluie et conversent enfin ensemble lors d’un goûter chez les demoiselles Lerouge.
Quelques temps plus tard, Mme Hyacinthe se rend à la maison des Davernis : « Madame, j’ai l’honneur de vous demander pour mon fils la main de votre fille. » La conversation ne dure guère. Dix jours plus tard les Hyacinthe quittent la ville. « Ce cortège… cette voiture au pas.. cet homme nu-tête..ces cloches.. j’ai cru voir passer un enterrement pitoyable..Celui de mon bonheur. »Le journal se termine cinq ans plus tard.« Ah ma mère ! Je m’interdis de juger les motifs qui vous ont inspirée. Vous reposez maintenant au cimetière et je vais prier chaque dimanche sur votre tombe. Mais vous aurez brisé ma vie ! »
Arlette brûle de connaître le prénom de la jeune amoureuse. Elle tente de décrypter le comportement de ses cousines, d’interpréter leurs habitudes et marottes. Lors d’un goûter chez les demoiselles Lerouge, elle propose une partie de jeu des « petits papiers » et glisse ingénument le nom de M. Ulysse Hyacinthe. A l’énoncé de celui-ci, Caroline Lerouge annonce que le professeur revient dans leur ville après dix ans d’absence. Arlette observe les réactions de chacune de ses tantes. Aucun doute possible, il s’agit de Marie, la plus jeune.
Arlette décide alors de rabibocher les choses. Elle échafaude divers plans avant d’arrêter son choix sur l’organisation d’une tombola de charité qui séduit aussitôt le Grand Doyen. Forte de ce soutien, elle est enfin libre de circuler seule en ville. Elle entame les visites afin de rassembler les souscriptions. Elle commence par M. de Fleurville, personnage riche et influent qui est aussi le propriétaire de la maison des Davernis. Celui-ci est absent. Redoutant de se retrouver face à une vieille fille de la paroisse, son fils Jacques la reçoit à contre-cœur. Surpris de découvrir une jolie jeune fille et amusé par son sens de la repartie, la conversation s’engage sur l’histoire d’Arlette, leur amour pour Paris où Jacques réside habituellement. La rencontre s’achève sur la promesse de venir assister au tirage de la tombola.
Arlette est troublée. Le lendemain, elle rend visite à M. Hyacinthe. Elle parle de ses cousines, parvient à glisser que la mère de Marie s’est opposée à son mariage. Elle le convie à assister à la tombola. Le jour J arrive. L’évènement rencontre un vif succès et la foule se presse dans la salle paroissiale. Jacques de Fleurville honore sa promesse et prend place aux côtés d’Arlette. De même que M. Hyacinthe aux côté de Marie. Tout se déroule comme prévu : Marie est émue par la proximité du professeur, celui-ci en admiration devant sa voisine. Arlette se sent heureuse aux côtés de Jacques. Le soir même, Telcide la réprimande pour sa conduite à l’égard d’un homme volage qui de surcroît vient juste de se fiancer.
Abattue par la nouvelle, Arlette partage alors son temps entre d’habiles conversations pour rapprocher Marie et M. Hyacinthe et la volonté d’oublier Jacques. Le destin va en décider autrement : rencontre fortuite avec une amie parisienne qui l’invite à séjourner dans son château voisin, double de tennis au côté d’une partenaire hautaine et mauvaise joueuse…qui n’est autre que la fiancée de Jacques, arrivée du jeune homme qui remplace sa fiancée aux côtés d’Arlette, violente dispute entre les fiancés. Au fil des pages, la complicité entre Marie et Arlette se renforce portée par le désir de réaliser leur rêve réciproque. Sans grande imagination, maints rebondissements viennent contrarier les deux idylles jusqu’au "happy end" attendu.
L’intrigue est assez banale, faisant échos aux romans de gare. Mais ce livre a le délicieux pouvoir des photos jaunies, celui de remémorer une foule de souvenirs dans l’esprit du lecteur. La peinture des milieux provinciaux bigots et surannés est une pure merveille frisant avec tact la caricature : qui se souvient du grand nettoyage de printemps où durant six semaines la maison est briquée de la cave au grenier ? Qui connaît le jour du poivre et du camphre pour lutter contre les mites ? Combien de paroissiens assistent quotidiennement à la messe de six heures ? Comment rester de marbre à la lecture du premier trajet en automobile des sœurs Davernis ? Comment résister au prénom de Telcide sans repenser à d’autres prénoms datés ou étranges qui émaillent l’histoire de chaque famille ? Comment ne pas sourire face à la fuite de la nochère sans se remémorer les querelles tenaces parties d’un incident futile où chaque partie campe sur sa dignité des années durant ?
Les traits d’humour s’enchaînent au fil des pages, apportant du rythme dans cette tranquillité provinciale. Ainsi, ce savoureux dialogue entre Arlette et Jacques au tout début de leur première rencontre lorsque la jeune fille vient proposer ses billets de tombola :
- Je partage trop votre opinion pour vous en vouloir. J’ai beau me raisonner, j’ai beau me forcer.. moi non plus je ne peux arriver à supporter les vieilles demoiselles… C’est très curieux
- Peut-être !.. Or, moi, j’en ai ma famille encombrée. Quand nous avons une cérémonie, un dîner de mariage ou de première communion, ou d’enterrement, il en traîne dans tous les coins. C’est lamentable !
- Et bien ! Moi, monsieur, j’en ai un salmis à la maison..
- Puis-je vous demander le nom de ce salmis ?
- vous allez les reconnaître. On peut les voir en liberté le matin quand elles vont à la messe. Pendant des années, elles ont porté le même chapeau vert avec capote de satin miroitant et bridé de velours perroquet
- Comment ? Si je les reconnais ?... ce sont nos vieilles loc…
Conséquence de la notoriété, Ces dames aux chapeaux verts devint une expression largement utilisée pour désigner les vielles filles, vilaine appellation fort heureusement tombée en désuétude aujourd’hui. Au-delà de la caricature et des moqueries douteuses, ce roman est l’occasion de se remémorer que de nombreux célibats furent subis plus que choisis. En effet, en plus des cohortes de veuves, la Grande Guerre a également généré une multitude de fiancées éternelles ainsi qu’une génération de femmes qui ne purent se marier tant la gente masculine fut décimée.
Née à Saint Omer en 1889, Germaine épouse, en 1911, Albert Acremant qui deviendra directeur littéraire du Journal Excelsior. Elle perd l’un de ses frères au cours de la première guerre mondiale. Après le succès de Ces Dames aux chapeaux verts, elle publie notamment : Gai ! Marions-nous Prix National de Littérature en 1927, La Route Mouvante Prix Montyon 1942, Chapeaux gris…chapeaux verts en 1970. La même année, elle reçoit le prix Alice-Louis Barthou pour l’ensemble de son œuvre. Elle publie sans discontinuer jusqu’à sa mort en 1986.
Les Chroniques de Lac - Elisabeth Guichard-Roche
1 Commentaire
Isabelle
31/07/2022 à 08:34
Excellent résumé de ce délicieux roman que je viens de relire à 52 ans. Ma grand-mère, née en 1903, me l’avait offert lorsque j’étais adolescente.
Je n’avais pas fait le lien, à cette époque, avec la grande guerre et le fait que tant de femmes n’avaient pas pu se marier.