Ou la question du T’es-qui-toi-à-la-base-pour-causer-de-ça ? Suite à notre entretien avec l'éditeur Stephen Carrière, autour de la censure d'ouvrages, nous avons souhaité prolonger la réflexion posée sur l'avenir de l'édition. Et ce, à travers deux thématiques très contemporaines : le rôle du trigger warning, détaillé la semaine passée. Il évoque cette fois-ci les sensitivity readers et la notion d'appropriation culturelle autre enjeu pour l'industrie du livre.
Le 22/03/2021 à 08:11 par Auteur invité
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ActuaLitté m’a demandé un article sur chacun de ces deux sujets, mais je me suis dit qu’il n’y avait pas d’intérêt à séparer le mauvais vin de la gueule de bois.
Contrairement à l’article précédent sur les Trigger warnings, je ne vais pas consacrer une longue introduction à la définition de l’appropriation culturelle. Je pars du principe que c’est un concept bien mieux connu. Je définirai en revanche plus tard le terme de sensitivity reader. Au lecteur qui râle devant un nouvel anglicisme, je dis : « Ami, prie pour que sa traduction française ne devienne pas trop vite familière à tes oreilles. »
Pour commencer, il n’est pas inutile de rappeler que, dans l’histoire littéraire, la question de la légitimité n’est pas nouvelle. Permettez-moi deux détours. On va les emprunter en excellente compagnie, c’est promis.
Rien ne prédisposait Eugène Sue à entrer dans l’histoire littéraire comme un champion des masses laborieuses. Dilapidant un héritage familial, cet avide lecteur de Fenimore Cooper affectionnait les salons à la mode et les romans qui fleurent bon les embruns et l’aisselle de pirate. Son ambition artistique auto-proclamée était de « se carrer dans une décente réputation négative » et parvenir « à la douce et paresseuse quiétude des gras chanoines de la littérature » (1).
La plupart des biographes de Sue retiennent une anecdote rapportée pas l’écrivain Félix Pyat comme le moment fort de son éveil à conscience politique.
Le 25 mai 1841, Sue assiste au théâtre de la porte Saint-Martin à la première d’une pièce de Pyat qui raconte les misères d’un vieil ouvrier. Il en ressort bouleversé. Le lendemain, Pyat l’invite à dîner en compagnie d’un ouvrier estampeur nommé Fugères. Ce dernier reproche aimablement au dramaturge d’avoir dressé dans sa pièce un portrait d’ouvrier fort peu réaliste.
Sue est subjugué par la conversation de Fugères et quitte la table en déclarant : « Je suis socialiste. » (Il sera élu député républicain de la Seine en 1850).
Un dandy est ému par un personnage d’ouvrier dans une œuvre de fiction jugée par un vrai ouvrier comme représentant mal sa condition… Qu’est-ce que cela produit ?
Les mystères de Paris.
Je pense qu’on n’en est pas encore à brûler Georges Orwell. Il a laissé quelques gages solides de son engagement en faveur des défavorisés. En revanche, il est intéressant de savoir que lui-même s’est posé cette question de la légitimité à parler pour les pauvres. Un « t’es-qui-toi… » qu’il s’est infligé toute sa vie comme un cilice de moine, et qui est bien décrit par Simon Leys dans Orwell ou l’horreur politique (Ed. Plon). Je vous livre l’extrait :
« Il n’y avait aucun espoir, pour l’ancien étudiant d’Eton, de pouvoir jamais se fondre dans la foule prolétarienne. {...Il ne put jamais surmonter les difficultés qu’il éprouvait à simplement communiquer avec les membres des classes populaires — d’entrée de jeu, son accent aristocratique (…) rétablissait les barrières qu’il aurait voulu abolir. (…) C’est encore sa nièce qui résuma le mieux le fond du problème (...) : « Une bonne part de ses complexes provenaient du fait qu’il aurait dû aimer tous ses frères humains, alors qu’il n’était même pas capable en fait de leur parler naturellement. »
Un membre de la gentry se reprochant de lutter pour les pauvres sans « en être »… Qu’est-ce que cela produit ?
1984 et la Common decency.
Que peut-on apprendre de ces deux exemples ? Qu’est-ce qui sauve les bonnes intentions des handicaps liés à l’origine ? Je dirais la sincérité, l’intelligence, le talent et l’effort. C’est peut-être ma conclusion définitive sur le sujet. Mais à ce stade, un esprit woke me reprochera de cantonner l’appropriation culturelle à la lutte des classes quand elle fait surtout rage aujourd’hui dans la lutte des races. Je lui donne raison. Je pense même que c’est le cœur du problème.
L’année dernière, Jeannine Cummings publie un roman flirtant avec le thriller, American Dirt. Il a pour intrigue la fuite d’une Mexicaine et son fils dans l’enfer des Cartels. L’éditeur a cassé sa tirelire pour lui offrir un à-valoir de légende, Stephen King et Don Winslow ont chanté les louanges du texte, Sa Majesté Oprah Winfrey l’a adoubé, le succès suit assez logiquement. Sauf que, Jeannine Cummings est née en Espagne, a grandi dans le Maryland, qu’elle s’est installée à New York et qu’elle a épousé un type d’origine irlandaise. Bref vous l’aurez compris, elle n’est pas Mexicaine.
CENSURE: Seuss, le vivre-ensemble et la cancel culture
Tollé, pétition contre le livre, deuxième pétition d’une centaine d’auteurs pour pousser Oprah à rétracter son soutien, annulation de la tournée promo, excuses publiques de la maison d’édition, mouvement de nombreux libraires qui refusent de vendre de livre.
J’ai choisi cette anecdote, mais un tour sur la toile de tous nos mécontentements vous offrira mille vilenies similaires. L’argument contre le livre est simple : une blanche s’est approprié un morceau de souffrance latino.
Quand Roberto Bolaño, dans son colossal roman 2066, s’empare du sujet des disparues de Ciudad Juarez, il a « le droit ». Il est chilien, pas mexicain, mais on va dire qu’il est « latino ». Tiens… c’est le sujet du dernier roman de Yasmina Khadra, Pour l’amour d’Elena, dans lequel un adolescent quitte son village natal de l’État mexicain de Chihuahua pour retrouver l’amour sa vie, disparue à Ciudad Juarez… dans l’enfer des cartels.
Le Mexique, les cartels… Khadra a-t-il « le droit » contrairement à Cummings ? Est-ce pour cela que le titre du livre est accompagné de la mention « inspiré d’une histoire vraie » ?
Et plus sérieusement, est-ce qu’on pourrait s’arrêter un instant sur la dimension économique de cette pensée ?
Cummings s’approprie un sujet latino. Cela implique qu’elle s’est aussi approprié une « valeur » qui devrait profiter à un auteur latino. Ce n’est pas moi qui fais ce raccourci, il est explicite dans les récriminations. Vous la voyez venir, l’AOC littéraire ? Vous commencez à admirer l’implacable beauté commerciale d’un identitarisme qui « ouvre des droits » (mais pas du genre civique) ?
Un point très important : les thuriféraires de l’appropriation justifient toujours le concept comme une forme de rééquilibrage face à une dominance économique et raciale. La logique est qu’il existe plein d’auteurs latinos qui se font spolier par une auteure blanche, forte de ses privilèges blancs de Nord-Américaine impérialiste. Parce qu’il est clair qu’un auteur latino brillant n’a pas vraiment ses chances… On a cité Bolaño, le dernier titan mondial des lettres, ce doit être une anomalie…
Je souhaite sortir de toute ironie, parce que le drame, j’en ai bien peur, c’est que les gens dont on parle n’ont aucune idée de l’importance de la littérature sud-américaine dans l’histoire mondiale des lettres classique ou contemporaine. Le problème de toutes ces discussions, c’est qu’on fait semblant, par courtoisie, d’ignorer qu’une grande partie du problème, c’est justement l’ignorance. Vous pensez qu’elle lit quoi, vraiment, la lectrice adulte qui réclame des triggers warning en début d’ouvrages de fiction : Easton Ellis ? Angot ? Houellebecq ? Ellroy ? Vous pensez qu’il lit quoi, pour de vrai, le vengeur-sur-canapé qui gueule contre Cummings en pensant qu’elle a empêché plein d’auteurs latinos d’entrer dans la lumière : Bolaño ? Cortazar ? Borges ? Vargas Llosa ?
Et vint l’affaire Amanda Gorman… Tout a déjà été dit sauf le pire, je crois. Au point où on en est, je prends le pire sur moi : mais quelle brillante campagne de pub ! Parce qu’on parle quand même de poésie à la base.
Amanda Gorman, cette illustre inconnue (n’allez pas me faire croire que tout le monde a regardé cette investiture morne comme un jour de covid).
Amanda Gorman la poétesse/activiste/noire, presque traduite aux Pays-Bas par une écrivaine/activiste/blanche, presque traduite en Catalogne par un traducteur/non-activiste/blanc, bientôt traduite en France par une autrice-compositrice/mannequin/noire.
Avec ces éléments de langage, vous réalisez les ressources en storytelling de tout ça ? Cette histoire a pour les médias un potentiel de clics à rendre jalouse Meghane Markle.
Quel éditeur (premier ou étranger) aurait pu espérer un tel lancement pour un recueil de poésie ? Avec la certitude que tout critique se posant la seule question qu’un critique devrait se poser : « Que vaut la poésie d’Amanda Gorman ? » se verra lapider comme s’il avait été pris en flag en train de faire des quenelles avec Soral et Dieudonné.
Je précise que je n’ai pas lu la poésie de Gorman et je n’insinue pas un instant que le plan de com’ était prémédité.
Mon interrogation est la suivante : et si l’appropriation culturelle était un business model disruptif génial ? Un indice renforçant ce soupçon est que le péché capital de l’appropriation culturelle nous a été présenté accompagné de sa rédemption tarifée : les sensitivity readers.
Les « Relecteurs en sensibilité »… En gros des gens qui parce qu’ils sont {noir/latino/trans/etc.} possèdent une expertise qu’ils peuvent louer aux auteurs afin que les personnages qu’ils créent et qui ne leur rassemblement pas, soient garantis exempts de représentations erronées, offensantes. Après les AOC pour les auteurs, voici les certifications ISO pour leurs personnages.
L’idée que la littérature devrait s’encombrer de l’impératif d’épargner les susceptibilités des uns et des autres n’est pas une idée qui se discute, c’est juste une idée idiote. Parce que c’est une idée de gens qui confondent la littérature et l’Entertainment.
Je voudrais insister sur un paradoxe politique qui me fascine. Les conservateurs américains reprochent à la cancel culture d’être portée par des « néo-marxistes », prédateurs de la liberté d’expression. C’est oublier qu’ils pratiquaient sans complexe la cancel culture bien avant les wokes, en militant pour retirer des écoles et bibliothèques des listes d’ouvrages qu’ils accusaient de contenir des contenus offensants (sexualité, athéisme, culture LGBT, etc.).
Qui le premier grand « Culture canceller » de l’histoire américaine en fait ? Mc Carthy, il me semble.
Je n’irai pas plus loin sur ce sujet, mais je formule un doute : Et si l’identitarisme, matrice de la pensée woke, était plutôt une mutation de la société d’hyper consommation ? C’est précisément l’absurdité de ces histoires d’appropriations, de Sensitivity readers, de Trigger warnings, qui m’alerte. Parce que vu sous un autre angle, elles ne sont pas si absurdes que ça ces histoires. Elles prennent même carrément du sens… si le but est de transformer chaque individu en marque déposée.
D’ailleurs, si vous trouvez que je suis dur avec les Sensitivity readers, sachez que je ne me fais pas de souci pour eux. Je suis persuadé qu’ils finiront tous chez McKinsey à facturer des milliers d’heures de consulting pour un lancement de shampoing de L’Oréal. L’expertise identitaire, c’est le métier de demain.
Vous l’avez remarqué, je n’ai pas commencé cet article par des exemples pathétiques comme celui de Cummings, mais par de grands esprits qui se posaient de grandes questions.
Ce serait dommage de balayer ce thème de la légitimité par rejet d’une pandémie de crétinisme matérialiste. La question des « territoires » de l’écrivain est passionnante et complexe.
L’acteur Denzel Washington y a apporté une belle contribution lors de la promotion de son film Fences. Il s’agit de l’adaptation d’une pièce d’August Wilson (pour laquelle il avait reçu un Pulitzer). Fences, comme souvent dans l’œuvre de Wilson, traite de la condition des noirs en Amérique.
Denzel a donc réalisé une splendide adaptation. Mais elle est sortie en salle en plein mouvement Black Lives Matter et tous les journalistes ont voulu le ramener à sa propre couleur de peau, couleur « indispensable » pour avoir « le droit » de filmer cette histoire. Inlassablement, courageusement, se faisant beaucoup d’ennemis, il a réfuté : « Ce n’est pas une question de race, c’est une question de culture. »
Au risque de prêcher : comme elle est belle et simple la ligne de conduite à tenir !
August Wilson était un métis, né à Pittsburgh, fils d’un immigré allemand des Sudètes et d’une Afro-Américaine de Caroline du Nord. Il disait que c’est dans les histoires de Gauchos argentins de Borges, qu’il avait appris le mouvement du particulier à l’universel. Il disait que dans Fences, son personnage Troy, un éboueur noir, se débattait avec les questions de l’amour, de l’honneur, de la beauté, de la trahison, et du devoir. Il disait que les spectateurs blancs reconnaîtraient ces questions comme celles qui agitent leurs propres vies, et que cela les conduirait à ne plus voir la couleur de Troy, mais un homme qui leur ressemble.
Fences, en français, veut dire « barrières ».
Je pense sincèrement qu’on peut continuer à en faire tomber quelques-unes sans se laisser empoisonner par de sombres passions identitaires.
1. L’intégralité de mon érudition au sujet d’Eugène Sue est empruntée à l’historienne Judith Lyon-Caen et sa passionnante préface des Mystères de Paris, Éditions Quarto Gallimard.
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Par Auteur invité
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17 Commentaires
Cylcée
22/03/2021 à 20:10
En ce qui concerne l'engagement d'Orwell, il faut consulter le travail de l'historienne britannique Frances Stonor Saunders sur les archives déclassées, et son rôle dans le MacCarthysme...
Who Paid the Piper: The CIA and the Cultural Cold War / Frances Stonor Saunders.
- London: Granta Books, 1999.- £20.
http://monthlyreview.org/1999/11/01/the-cia-and-the-cultural-cold-war-revisited/
NAUWELAERS
23/03/2021 à 00:46
Article nécessaire et salutaire, bien entendu.
Pour l'appropriation culturelle, elle a toujours existé.
Mais certes, comme l'auteur le rappelle, elle a pu donner lieu à des discussions et des interrogations d'auteurs comme Sue ou Orwell, des débats intérieurs sérieux et vraiment fructueux et dignes de respect.
Un exemple tout aussi célèbre est évidemment celui de Victor Hugo, le chantre ultime du peuple qui fut dans sa jeunesse un homme de droite voire d'extrême droite...
On remarque que de façon indirecte d'abord (Sue et son épiphanie rappelée par l'auteur) puis directe (Edmond Rostand), le théâtre de la porte Saint-Martin est à l'origine de deux des plus grands chefs-d'oeuvre que le génie français a pu engendrer: «Les Mystères de Paris» et «Cyrano de Bergerac» (un cas problématique puisque ce titre eût dû être monté à Bergerac donc ! Appropriation culturelle !).
Sinon l'appropriation culturelle existe dans l'autre sens: Jules Romains et Maurice Leblanc ne pensaient pas du tout à un protagoniste noir pour le docteur Knock ou Arsène Lupin...
Omar Sy est sans doute excellent -je n'ai pas vu -mais si l'appropriation culturelle est tellement inadmissible, il faudrait protester pour ce cas également -ce que seules des voix vraiment très à droite font.
En brassant du vent qui souffle pour rien, en rigolant bien, le vent.
Ce n'est pas sérieux, tout cela et sans appropriation culturelle, pas de culture, tout bêtement.
Les idéologues ont l'art du déni de réalité.
Et/ou de la tordre (y compris par la novlangue) dans le sens qui leur convient et qu'il s'agit d'imposer à autrui car ils ont raison et que c'est comme ça.
Une histoire belge toute récente pour démontrer la bêtise insigne des néo-censeurs...qui ne justifie en rien les méfaits de la censure tristement «traditionnelle», je m'empresse de le préciser (qui sévit encore trop souvent) !
Suite au changement de nom du tunnel Léopold II à Bruxelles -ce roi colonialiste longtemps vénéré étant tricard aujourd'hui (ce qui bien sûr mérite des discussions sérieuses et étayées) -eh bien ce fleuron de la ville de Bruxelles, qui bat tous les records de pots d'échappement au mètre ou disons décimètre carré, a été rebaptisé: tunnel Annie Cordy !
Ce qui est une manière douteuse d'honorer la fantaisiste et actrice belge, ont remarqué certains à raison.
Mais à peine la décision fut-elle prise suite à un vote populaire à Bruxelles... que des redresseurs de torts (sous statut d'autoentrepreneurs non sollicités par quiconque) ont pleurniché à propos d'une chanson de Cordy de 1985 considérée par ces éclairés comme raciste, et très connue.
«Cho Ka Ka Ka O» (retitré erronément «Chaud Cacao»).
Même la section belge de la LICRA s'est insurgée contre la stupidité de cette attaque bien-pensante mais au point d'en être...rien-pensante !
Agréable surprise que cet organisme officiel de lutte contre le (VRAI) racisme ait pris ses responsabilités et refusé de tirer à boulets rouges ridicules contre un embryon de toile d'araignée.
La LICRA tient à sa crédibilité.
Qu'elle en soit louée.
Il vaudrait mieux maintenant qu'aucun plaisantin ne s'avise de diffuser dans une émission un peu populaire le titre «Oui Missié» de ladite Cordy, paru en 1956 sur le EP «La Petite Martiniquaise» en l'an de grâce 1956 !
Ha ha ha...«In cauda venenum»...!
C'est audible en ligne (avant censure ?).
(Ah et au fait de quel droit chantait-elle son immortel classique «La Bonne du Curé» sans expérience de cette activité ?Mais d'où parlait-elle ?)
Autrefois on concluait souvent avec ce qui suit:«Tout finit par des chansons.»...
Si on piquait enfin toutes ces baudruches envahissantes et si inutiles d'aujourd'hui ?
Pour les dégonfler à jamais ?
Merci à ActuaLitté pour cet article qui peut-être suscitera moult réactions en sens divers...
Enfin disons que lorsque des silex sont frottés les uns contre les autres, de belles étincelles peuvent parfois jaillir !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Forbane
23/03/2021 à 16:43
Merci pour votre humour et votre intelligence Nauwelaers;)
NAUWELAERS
23/03/2021 à 19:52
Merci Forbane, vous êtes vraiment très gentille !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Michaël MULERO
23/03/2021 à 03:30
Brillant !
Laurent Gidon
23/03/2021 à 09:54
Votre article tombe à pic après la diffusion hier soir, sur Culture Box (mais qui regarde Culture Box ?), d'une réappropriation de Les Justes de Camus par Abd Al Malik : une pièce d'un auteur blanc des années 1940, mise en musique par un griot des années 2000, jouée par des acteurs de couleur et parlant de révolutionnaires russes (donc blancs ET rouges) des années 1900. En voilà de l'appropriation culturelle croisée puissance 5 !
Le problème me semble être donc double : l'ignorance dont vous parlez très bien, mais aussi l'inaction. On pleure, on râle, mais qu'est-ce qu'on fait ? Abd Al Malik répond, et superbement. Les râleurs et les pleureurs ont-ils vu son spectacle ?
Lyo
23/03/2021 à 12:04
La série Arsène Lupin qui se déroule de nos jours parlé d'un cambrioleur joué par Omar Sy qui s'inspire des méthodes d'Arsène Lupin et qui est un fan du livre. C'est tout.
Je pense que les débats à ce sujet sont très intéressants. La question ne se poserait évidemment pas si tous le monde avait les mêmes chances d'accès à la publication. Malheureusement, ce n'est pas le cas, ce qui fait qu'il y a un sentiment de frustration qui est née.
La censure n'est évidemment jamais la solution et franchement, j'encourage celle et ceux qui sont victimes de lynchage sur les réseaux sociaux de se déconnecter complètement. C'est souvent de là que vient le problème, il y a un effet de meute.
Si on était plus à l'écoute les uns des autres, ça n'arriverait pas. Mais, je peux comprendre la colère de certaines communautés. Au Canada, il y a des milliers de femmes de première Nation (amérindienne) qui disparaissent sans que ça choque les autorités, Elles sont victimes de diverses violences médicales, sexuelle, policières.... les rapports gouvernementaux mentionnent le terme "génocide", ce qui n'est pas rien...
Alors imaginez, une personne blanche écrit un roman policier à ce sujet alors que ces femmes sont ignorées la plupart du temps et discriminées. Mettez vous à leur place 5 secondes et imaginez que cette personne fasse son succès là-dessus. Vous ne seriez pas en colère ?
Alors certes, la personne qui publie ce livre n'est pas responsable de ce qui se passe. Mais d'un autre côté, elle s'approprie un sujet qui ne l'a concerne pas et de plus oui cette personne bénéficie du système de discrimination mis en place.
Voilà, je pense qu'il faut avoir de l'empathie et savoir écouter les gens qui sont en souffrance. Évidemment, maintenant il y a beaucoup de colère mais il n'est jamais trop tard pour établir un dialogue.
NAUWELAERS
23/03/2021 à 19:51
Lyo,
Vous écrivez (littéralement): «...elle s'approprie un sujet qui ne l'a concerne pas...».
Figurez-vous que c'est exactement la définition de la littérature !
Qui «s'approprie» (quel mot mesquin) tout ce qu'elle veut, libre comme Carmen face à tous les Don José aux petits pieds, jaloux, frustrés, teigneux...
On peut certes préférer l'autofiction voire le nombrilisme.
Ce n'est heureusement pas le cas de tout le monde.
Un auteur sérieux étudie son sujet, se documente, prend des contacts et essaie de transposer dans son livre ce qu'il a découvert pour le thème qu'il entend développer à sa manière spécifique.
Son intérêt sincère pour le sujet le rend légitime et les «frustrations» voire la jalousie de tel ou telle ne sont pas son problème, excusez-moi.
Un vrai écrivain ne s'en préoccupe pas le moins du monde.
Littérature et liberté...puis il y a les gens qui bossent et les opportunistes.
Les faisans et les gens de talent.
Ces derniers ont raison aux yeux des amateurs de littérature.
«Vous ne seriez pas en colère ?», écrivez-vous.
Et si à l'inverse -en élargissant le carcan mental victimaire - les personnes victimes de telles maltraitances se réjouissaient qu'un livre, même écrit par un auteur blanc ne vivant pas ces problèmes, et à succès attire l'attention sur ce qui se passe et ce qui les afflige ?
Pourquoi ne pas envisager les choses de façon positive plutôt que systématiquement négative et parfaitement stérile ?
Un auteur comme un porte-parole possible contre les injustices qui les afflige plutôt que le méchant-étranger-qui-s'approprie etc. ?
Loin des rancoeurs et des jalousies dont on n'a pas à tenir compte sinon l'employé de la Poste qui écrit n'a le droit de raconter qu'une histoire arrivant à un employé de la Poste et non au serveur d'un restaurant où il prend sa pause, en période vivable et normale ?
Je préfère la grande focale plutôt que le (tout) petit bout de la lorgnette, qu'il faut ignorer lorsque l'on prétend écrire des livres et non des pensums bien-pensants destinés à plaire à toutes les doxas qui guettent, menacent, se lamentent, commentent et condamnent.
Aux oiseaux tous ces grumeaux sans intérêt et on y va...
Ou alors on fait autre chose.
Et foncer dans ce qu'on veut raconter et exprimer -sans chaperon rebaptisé «sensitivity reader».
«Trigger warning»: à l'extrême rigueur pour de jeunes enfants.
Sinon c'est un cheveu sur ou dans cette soupe qu'est devenu une partie de ce monde littéraire trop perméable à ce genre de diktats et de frilosités envahissantes.
Pas la totalité heureusement !
Les écrivains libres planent au-dessus du lot.
Pourquoi diable ne pas préférer le et les meilleur(s) ?
Et puis les chiens aboient, les commères commèrent et la caravane des écrivains passe, parfois en brûlant les feux rouges.
Seul le talent et la personnalité restent, et un souci certes de véracité et d'authenticité.
Construire sur du solide.
Vive la littérature, le talent, le souffle d'une écriture et d'une personnalité et la liberté.
Y compris de s'approprier tout ce qu'on veut: seule la manière fait la différence et nous permet de garder le bon grain en dédaignant l'ivraie.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Alex-si
23/03/2021 à 14:20
Pour moi c'est aussi une mutation d'une chose que j'entends trop souvent les parents dire à leurs amies sans enfants "Tu peux pas comprendre, t'as pas d'enfants" avec le gros sous entendu : "boucle la, tu sais pas de quoi tu parles".
Depuis quand faut-il avoir une expérience personnelle de quelque chose pour en parler? Si c'était le cas personne ne pourrait communiquer avec personne ni avoir d'opinion politique !
La souffrance mérite compassion et il faut tout faire pour éviter que les injustices et la violence existent. Pour autant je ne pense pas qu'elle doive donner de passe-droit.
Il y a là une ligne fine et difficile à concevoir. Je déteste qu'on parle de mes émotions comme si l'on savait mieux que moi ce que je ressens mais j'aime aussi voir que mes émotions sont comprises et parfois exprimées mieux que je ne suis capable de le faire par une personne qui a un vécu différent.
Je pense que la différence, au delà de la tolérance du lectorat (qui malheureusement est loin d'être une évidence) tient à l'humilité de la tentative. Ne feignons pas l'empathie, respectons l'autre en espérant que ce monde en folie ne s'emballe pas dans cette spirale infernale de "ta gueule, t'es pas légitime". J'ai bien peur, hélas, qu'il ne soit déjà trop tard...
NAUWELAERS
23/03/2021 à 20:01
Alex-si, tout à fait d'accord avec vous.
Petite pointe d'optimisme tout de même pour tirer vers le haut votre constatation désabusée de fin de message: si cette médiocrité victimaire à base de ressentiment, de jalousie et de conformisme continue à envahir le champ littéraire, les vrais écrivains seront d'autant plus et mieux mis en valeur par comparaison !
Moi j'y crois.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Alex
23/03/2021 à 14:24
Au risque de passer pour un néo nazi, voici ce que j'en pense : ne sommes nous pas tous humains? N'est-ce pas une légitimité suffisante à parler de problème humains?
Victor
23/03/2021 à 14:51
Heureusement que les tenants de l’appropriation culturelle n'aient pas existé au 19e siècle. Sinon, les mouvements abolitionnistes blancs n'auraient pas eu droit de cité, et l'esclavage n'aurait jamais été aboli dans les sociétés occidentales !
Calou
24/03/2021 à 10:47
Remarquable article!
Alexandre Pinteau
28/03/2021 à 19:15
Excellent article.
Richard Wright raconte dans son livre autobiographique black boy qu'il avait discuté avec un flic sympa en oubliant qu'il était blanc.
NAUWELAERS
28/03/2021 à 23:59
On mentionne souvent le terme «sensitivity readers» sur ce site, notamment depuis l'interview édifiante de Stephen Carrière le 5 mars par Nicolas Gary, à ce sujet et celui des «trigger warnings» et de la «cancel culture».
Mais je propose de réintégrer le terme français, apparu sur ActuaLitté l'an passé: «démineur éditorial», ou donc démineuse éditoriale...
On aimerait que tant la version anglaise que française de ce triste nouveau métier soient bientôt plus obsolètes -même si moins sympathiques -que le travail de rempailleur de chaises, ou allumeur de réverbères par exemple ; ici, symboliquement, on les éteindrait plutôt !
Mais tant que ce nom existe, autant l'utiliser en français.
Je ne sais plus quelles jeunes éditrices françaises interrogées sur le site, il y a un bon bout de temps, avaient cru bon d'incorporer le déminage éditorial dans leur savoir-faire professionnel, ce qui m'avait fortement déçu et ce qui prouve que cette tendance est déjà présente depuis tout un temps dans le monde de l'édition.
Il ne faut pas hésiter à manifester notre souhait d'une littérature non expurgée, filtrée, épurée et pasteurisée.
Voire infantilisée pour ménager les susceptibilités de tout le monde...enfin mis à part les gens sensés qui eux, font encore la différence entre ce qui est écrit dans un livre et la vraie vie.
Loin d'une certaine confusion ou schizophrénie moderne qui pousse à la plus insupportable intolérance qui -avec une tartufferie sans borne(s) -ose se prétendre «progressiste» !
Un peu comme un un trou de gruyère qui tonnerait: «Appelez-moi maître Fromage !»
C'est celâââ, oui...
Bref: soutenons et promulguons une littérature libre et respectée, qui ne s'impose à personne mais que personne n'a le droit de plier et tordre à sa guise comme un simple tuyau d'arrosage.
Sous n'importe quel prétexte...à part des écrits qui véritablement tombent sous le coup de la loi.
Là, pas besoin de «trigger warnings» ni de déminage éditorial: on s'abstient de sombrer dans l'illégalité avérée, c'est tout.
Et à part cela...liberté: c'est tout (bis).
CHRISTIAN NAUWELAERS
Dudz
29/03/2021 à 10:52
Résumé de l'article : JE pense JE sais JE ne comprends pas MAIS JE vais en parler avec MON opinion toute faite sans consulter les concernés car JE suis la voix donc JE m'autorise à parler de quelque chose que JE ne maîtrise pas...
De quoi traite t-on déjà ?...
Ah oui c'est ça, on y est en fait.
NAUWELAERS
29/03/2021 à 11:15
Dudz,
Ne soyez si pessimiste...!
On comprend très bien les dérives qui s'installent et on n'en veut pas pour des raisons évidentes et légitimes.
Que l'on explique en long et en large: cela vous a-t-il échappé ?
Tant Nicolas Gary qu'une majorité du lectorat.
Que vous compreniez ou pas cette position démocratique, c'est une autre question.
Les partisans de «trigger warnings» etc. s'expriment librement sur un site qui se veut pluraliste et donc démocratique et intelligent.
Ce qui n'oblige personne à être d'accord avec ce point de vue-là...
Bonne journée.
CHRISTIAN NAUWELAERS