C'est un retour de bâton terrible qui a été lancé hier, alors que trois librairies indépendantes annonçaient avoir porté plainte contre Amazon et les Big Six, les six grands groupes d'édition américains. Fiction Addiction de Greenville, S.C., Book House basée dans la ville d'Albanie,(Etat de New York) et Posman Books, qui détient trois établissements dans New York, devenus les nouveaux chevaliers blancs ?
Le 22/02/2013 à 11:49 par Nicolas Gary
Publié le :
22/02/2013 à 11:49
Loin d'une entente sur le prix de vente des livres numériques, comme la Justice américaine l'avait soupçonné, mettant cette fois Apple et les éditeurs dans un panier de crabes, cette fois, ce sont des « accords secrets » qui sont dénoncés. Simon & Schuster, Penguin, Random House, Hachette, HarperCollins et Macmillan se seraient rapprochés d'Amazon pour donner un avantage commercial sur les librairies indépendantes.
Tous égaux devant les livres numériques ?
Et ce dernier est effectivement important : tout ouvrage acheté au format Kindle ne peut, selon les conditions générales de vente d'Amazon, pas être lu sur une autre plateforme. Un système de DRM, pour Digital Right Management, qui interdit les transferts de fichier, et rend impossible, pour les indépendants, la vente de livres numériques sur les appareils d'Amazon.
Ce sont les éternelles questions posées par l'écosystème d'Amazon qui sont mises en cause, au travers de cette plainte. Aujourd'hui, la domination d'Amazon, sur le secteur du livre numérique est plus importante que jamais : depuis que le contrat de mandat a été interdit - sur le lobbying d'Amazon - les éditeurs sont de nouveau dépendants de la volonté des marchands. Ces derniers peuvent fixer le prix de vente au détail qu'ils souhaitent, dans une certaine mesure toutefois. Mais là où, précédemment, tous les libraires se retrouvaient égaux devant le prix de vente, eh bien la société qui peut se payer le luxe d'avoir les marges les plus réduites, voire pratiquer un certain dumping, en perdant de l'argent, va retrouver une vitesse de croisière très élevée.
Les trois librairies, dans ce contexte, considèrent que des centaines d'indépendants qui vendent des livres numériques n'ont jamais, pour leur part, passé d'accords avec les éditeurs, qui aillent dans le sens d'une commercialisation dans un environnement propriétaire. Alors que c'est bien le cas pour Amazon : tout un chacun parmi les éditeurs a accepté, comme ce fut le cas pour Apple avec son écosystème iPod, pour la musique, puis les plateformes iOS, plus généralement, que les ouvrages vendus par Amazon ne soient donc lisibles que dans son environnement.
Interopérabilité et autres petits vices
Le marchand s'en est toujours défendu, en mettant en avant une interopérabilité globale : il existe une application iOS, Android, Mac, Windows, etc. qui synchronise le compte Amazon de l'utilisateur avec les appareils, et donne accès à sa bibliothèque d'ebooks achetés. On ne pourrait alors pas parler, dans ce contexte, d'un écosystème propriétaire. Pourtant, expliquent les trois librairies « la grande majorité des lecteurs qui souhaitent lire un ebook publié chez l'un des Big Six, va acheter le livre électronique chez Amazon ». La popularité est grande pour ce format, outre-Atlantique, et les facilités d'utilisation proposées par Amazon en ont fait, depuis longtemps, le leader dans le secteur.
Pour ces trois librairies indépendantes, qui se veulent les porte-parole de centaines d'autres confrères, il est donc indispensable de mettre un terme à cet écosystème propriétaire, et que cesse l'existence de ce format Kindle piégé aux DRM, qui ne permettent pas de vendre, et moins encore de transférer ses achats.
Pourtant, une fois encore, Amazon avait trouvé la réplique bien en amont : sur le modèle du prêt d'ebook mis en place par Barnes & Noble, Amazon permet à tout possesseur d'un Kindle de prêter son livre, à un autre possesseur d'appareil Kindle. Et surtout, durant les 15 jours de prêt, le possesseur originel est dépossédé de son ebook. De quoi rassurer les éditeurs, éventuellement les auteurs - tout en prolongeant les faiblesses du monde papier. Le fait qu'un livre de papier ne puisse pas être prêté sans que son possesseur ne soit, justement, dépossédé du livre, n'est pas une qualité en soi : la duplication que permet un fichier numérique est en revanche une véritable force...
Selon l'avocate impliquée dans la plainte que les librairies ont déposée, « nous cherchons à adoucir la vie des indépendants de brique et de mortier, afin qu'ils puissent vendre des livres numériques open-source et sans DRM, qui pourraient être chargés sur un Kindle ou n'importe quel autre appareil de lecture ». (via Huffington Post)
Une légère confusion ambiante
Aucun des accusés n'a souhaité faire de commentaires sur cette plainte, que ce soit chez les éditeurs ou du côté d'Amazon, qui n'a pas l'habitude de commenter les litiges en cours. Le cabinet Blecher & Collins PC, qui soutient la plainte, évoque pour sa part « un problème qui touche de nombreux libraires indépendants ». Et à ce titre, tout établissement qui souhaite rejoindre la plainte est le bienvenu.
Tout cela est d'ailleurs tellement beau, que l'on ne sait pas encore comment la plainte va pouvoir aboutir. Car deux choses ressortent de tout cela : d'abord, la plainte tente d'assimiler DRM et format propriétaire. Dans tous les cas, si la plainte aboutissait, ce serait la fin du format propriétaire d'Amazon et, évidemment, tout le monopole aujourd'hui constaté tomberait comme un château de cartes. Mais il est à redouter que les avocats, autant que les libraires, ne maîtrisent pas les éléments dont ils parlent.
Évoquer des questions d'Open Source, alors qu'ils parlent en fait d'interopérabilité est probablement un moyen juridique pour détourner le problème : devant la question de l'interopérabilité, Amazon a déjà ses armes affûtées. Sur celle de l'Open Source, c'est un autre point. En somme, comme l'explique bien Cory Doctorow, personne ne souhaite la fin des DRM en tant que tels, mais plutôt accéder à une plateforme où des livres avec DRM seraient vendus. Cependant, les librairies pourraient vendre ces ouvrages avec DRM.
Parce que, bien entendu, le format propriétaire est une chose, et l'environnement Amazon une autre. Or, s'il était possible de faire plier une firme ayant recours à des formats propriétaires, Apple aurait été condamnée depuis longtemps. En 2007, une plainte de plus avait été envoyée, pour condamner le fait que les morceaux achetés sur iTunes étaient lisibles sur iPod. En outre, Apple était accusée de ne pas assez communiquer sur le fait que ses chansons achetées sur iTunes n'étaient pas interopérables (c'est bien là le problème), avec d'autres baladeurs MP3.
Apple, les DRM et Hadopi
Guillaume Champeau, rédacteur en chef du site Numerama, apporte un éclairage intéressant. « Depuis toujours, les iPods ont supporté le format MP3, il était possible d'importer des contenus sans DRM sur son baladeur Apple, à la condition de les compresser soi-même. » À la grande différence donc d'Amazon, qui refuse autre chose que les fichiers Kindle ou par extension, MOBI, qui est l'équivalent du format KINDLE, sans DRM.
« En janvier 2009, Apple a décidé de supprimer les DRM Fair-Play, pour tous les fichiers qui étaient vendus depuis iTunes. Et désormais, un appareil compatible AAC [NdR : le format musique] peut lire les fichiers, avec la restriction d'un partage sur cinq appareils maximum. Cependant, cette décision est avant tout commerciale, et ne découle pas d'une condamnation juridique. Et les vidéos vendues ont toujours un DRM FairPlay. »
En ce sens, la suppression des DRM des fichiers Amazon n'interviendrait sûrement que dans une approche commerciale - et comme la firme a fait en sorte de permettre la lecture de ses ebooks sur tout appareil, par le biais des applications, les chances que cela arrive sont minces. « Aux Etats-Unis, je ne vois pas trop ce qui contraindrait un marchand, juridiquement, à supprimer les DRM. Il existe en France, au travers de la loi Hadopi, une solution toute théorique, qui pourrait forcer les marchands à supprimer les DRM. C'est ce qui est actuellement en discussion, depuis que le logiciel de lecture VLC a demandé à ce qu'on autorise la lecture de Blu-ray. Dans les faits, le pouvoir de l'Hadopi sur cette question est extrêmement restreint, et avant qu'elle ne demande à Amazon de faire sauter les DRM de ses fichiers, la route est encore longue. »
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