Ce mercredi 13 mars, le Parlement européen a adopté l'IA Act, faisant ainsi de l'Union une pionnière en matière d'encadrement des technologies liées à l'intelligence artificielle. Ce même jour était remis à Emmanuel Macron un rapport sur le sujet, qui fournit quelques indications stratégiques plus spécifiques sur les contenus protégés par le droit d'auteur.
Le 14/03/2024 à 16:27 par Antoine Oury
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Publié le :
14/03/2024 à 16:27
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Installé en septembre 2023 par Élisabeth Borne, alors Première ministre, le comité sur l'intelligence artificielle devait produire pour le gouvernement une stratégie à adopter, dans un contexte d'opportunités, de cadre législatif en construction, mais aussi d'inquiétudes, de la part de certains champs professionnels ou du grand public.
Cette commission, qui réunit une quinzaine de membres, a remis son premier rapport ce mercredi 13 mars au président de la République. L'Élysée avait diffusé quelques points du document, mais celui-ci est désormais librement consultable.
Dans le secteur culturel, l'une des premières inquiétudes porte sur la déstabilisation d'un certain nombre d'emplois par les outils d'intelligence artificielle. Génération d'illustrations de couverture, de textes, de traductions et même accompagnement éditorial peuvent être délégués, à des degrés plus ou moins importants — et avec plus ou moins de réussite — à différents programmes.
Autant de métiers qui pourraient se trouver fragilisés par ces outils d'IA génératives : « Pour bien des créateurs, auteurs, artistes, traducteurs ou comédiens, elle pose un enjeu existentiel, pouvant se traduire par une réduction d’activité, parfois par une substitution d’emplois », relève ainsi le rapport du comité, qui ne dissimule pas la perspective d'une « baisse de revenus », particulièrement « pour les revenus complémentaires ».
Le comité se montre toutefois optimiste dans la suite de son analyse : selon lui, l'IA « ne met cependant pas en danger l’originalité de la création en elle-même et ses processus de sélection ». Elle constitue plutôt, à ses yeux, un outil supplémentaire entre les mains des artistes et créateurs, qui peut par ailleurs « réduire des tâches répétitives ou de faible valeur et [abaisser] les barrières à l’entrée » de ces métiers.
Face à la « mégabondance » des productions de l'IA, la création humaine s'en trouverait même valorisée, renforcée, par ses aspects irréalisables de manière artificielle...
Outre ces inquiétudes récurrentes concernant les emplois, auteurs comme éditeurs attirent régulièrement l'attention des pouvoirs publics sur l'utilisation des œuvres par les sociétés qui développent des outils d'intelligence artificielle. Changées en données, ces créations, dont certaines sont protégées par le droit d'auteur, viennent en effet « nourrir » les IA, pour leur permettre de générer des contenus convaincants.
Textes, images, vidéos ou sons, d'importants volumes de données sont ainsi traités par les intelligences artificielles, dont les productions ne sont qu'une gigantesque synthèse.
Le comité propose deux approches, pour deux types de données culturelles. Dans un premier temps, les données patrimoniales, et notamment les contenus libres de droit, pour lesquels « un cadre de confiance » doit être créé, notamment « par la mise à disposition des métadonnées ». Selon le comité, l'accès à ces données par l'IA représente un enjeu « de diversité culturelle et de souveraineté » — dans le cas contraire, les contenus anglophones ou d'autres cultures pourraient régner en maîtres.
Pour faciliter consultation et utilisation de ces éléments, le comité recommande la création d’un registre des contenus à disposition (et incluant toutes les informations utiles, dont les modalités d’accès), pour lequel la Bibliothèque nationale de France, l’Institut national de l’audiovisuel et le ministère de la Culture pourraient constituer le tiers de confiance.
Dans un second temps, les données protégées par le droit d'auteur : sur ce point, le cadre européen, depuis 2019, a introduit une exception au titre de la fouille de textes et de données. Cependant, les ayants droit peuvent s'opposer à cette même exception (l'« opt out »), et préférer un système de licence, leur permettant d'obtenir une rémunération.
Cependant, la multiplication des « opt out » a des « conséquences préoccupantes », selon le comité : « affaiblissement de la fiabilité des résultats produits par les IA, absence de contenus français et plus généralement de créations authentiques pouvant entraîner la production de résultats stéréotypés et médiocres par les modèles d’IA générative accessibles au public », détaille-t-il.
Le comité semble toutefois se réjouir de l'IA Act et des règles de transparence sur les données d'entrainement des IA qu'il introduit. Mieux informés, les ayants droit pourront ainsi exercer leur droit d'opt out avec discernement. « La plateforme de mise en relation précédemment identifiée pourrait utilement intégrer l’opposition éventuelle exercée par les titulaires de droits et, le cas échéant, les conditions d’une utilisation pour l’entrainement (licence, rémunération…) », souligne le rapport.
Autre impératif de transparence, mais vis-à-vis des contenus générés cette fois : le comité souligne que « les produits culturels et l’information issue des IA doivent être clairement labellisés » et reconnaissables.
Le rapport en fait un impératif international, « pour s’attaquer au parasitisme, identifier les informations non fiabilisées et lutter contre les deepfakes ». Sur ce point, le comité va plus loin que le règlement européen sur l'intelligence artificielle en suggérant une « transparence en aval [...,] indispensable dans les relations entre clients et fournisseurs, pour gérer les éventuelles responsabilités ».
En sécurisant ainsi l'origine, la licéité et la destination, le comité envisage « l’émergence d’un marché des données “blanches” », pour lesquelles les développeurs d'IA seront sûrs et certains d'un usage sans risques. « Ce peut être un atout face aux États-Unis dont les règles de “fair use” feront l’objet de contestations devant les tribunaux pendant encore de nombreuses années », souligne le rapport. Effectivement, les procès se multiplient de l'autre côté de l'Atlantique, le dernier en date opposant plusieurs auteurs au constructeur Nvidia.
La veille de la remise du rapport au président de la République, l'Élysée insistait : sur le droit d'auteur, le comité adoptait une position « d'équilibre », conforme à l'esprit de l'IA Act. Autrement dit : ouvrir le champ pour l'innovation dans l'Union européenne, sans pour autant sacrifier la protection intellectuelle.
Une position pourtant éloignée de celle portée un temps par le ministère de l'Économie, qui s'était montré très réticent à l'IA Act dans la version votée par le Parlement européen ce 13 mars. La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), organisme de gestion collective, ne se prive pas d'un coup de griffe dans un communiqué diffusé peu après le vote.
En revanche, [la SACD] déplore à nouveau l’enfermement des autorités françaises tout au long du processus législatif, et notamment celui de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et de Jean-Noël Barrot, ministre en charge du numérique, dans une logique inédite visant à la fois à éviter toute régulation de l’IA et à fragiliser en même temps le droit d’auteur pour un hypothétique bénéfice national, déjà fortement ébranlé par la prise d’intérêt américaine dans le service phare français. La SACD remarque que cette grave remise en cause du droit de propriété intellectuelle est en complète contradiction avec les positions de Bruno Le Maire et du gouvernement français lorsque cette propriété intellectuelle appartient à des entreprises.
– SACD, le 13 mars 2024
Entendue par la commission de la Culture, de l'Éducation, de la Communication et du Sport du Sénat ce mardi 12 mars, la ministre de la Culture Rachida Dati s'était aussi opposée à son collègue de Bercy. « Je considère que ce droit d'auteur, une exception culturelle française, existe depuis 200 ans et ce n'est pas l'IA qui le remettra en cause », a-t-elle expliqué devant les sénateurs.
Érigeant la protection du droit d'auteur en « principe », elle assure que « le secret des affaires n'empêche pas la transparence, et vice-versa ».
Le rapport complet de la commission est accessible ci-dessous.
Photographie : illustration, Peta Hopkins, CC BY-NC-ND 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
Necroko
15/03/2024 à 02:35
Dans le Comics on a eu un psychodrame avec Batman #143 et Andrea Sorrentino.
Il est clair pour moi que je soutiens des humains avec mon argent pas des I.A.
Ivan Laffite
15/03/2024 à 09:47
Je suis pour à fond pour les IA, si ça nous débarrasse des pseudo-créateurs écrivai-vains de salons, de commis voyageurs adoubés par les autoroutes, des surkiffeurs de la Corée du nord et de leurs égos concupiscent, finissons-en avec le culte de l'AUTEUR, soyons moderne enfin. Programmons la déconnexion des vieilles potiches éditoriales, simili lettrés, enclumes des nuits, que la fin de l'histoire serve enfin à quelque chose.