En marge du Festival de la BD d'Angoulême, la ministre de la Culture avait invité quelques auteurs et éditeurs à un déjeuner qui n'eut rien de champêtre. « Tous les sujets ont été passés en revue, et principalement la question de la réforme des retraites », nous apprend la nappe de table, juste de retour de la laverie. Un rendez-vous au sommet, qui s'inscrit dans la continuité des actions menées au cours du Festival, et plus encore, dans un contexte social complexe pour les auteurs.
Le 02/02/2015 à 17:00 par Nicolas Gary
Publié le :
02/02/2015 à 17:00
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Nous en faisions état plus tôt dans la journée, Fleur Pellerin, juste avant la cérémonie de remise des Fauve, a assuré aux auteurs un fort engagement. Elle a parlé d'une étude pour définir la situation réelle des auteurs en France, affirmant qu'elle apportera « des propositions pour améliorer la protection sociale des auteurs et leur garantir des ressources minimum ». Or, dans la réforme des retraites, la rue de Valois n'est pas seule aux commandes. « Historiquement, le ministère de la Culture ne s'occupe pas de ces questions, mais ce n'est pas normal qu'il ne soit pas impliqué dans les retraites complémentaires », estime le syndicat Snac BD.
D'autant plus qu'il n'est pas exclu, à un moment où un autre, que le ministère du Budget finisse par avoir son mot à dire. « Nous aurions alors trois ministères, Culture, Affaires sociales et potentiellement Budget, pour envisager cette question. » À multiplier les acteurs, le risque d'avoir du mal à se faire entendre devient important.
Dans un courrier daté du 30 janvier, Valois a assuré que ses services souhaitaient engager des discussions avec le cabinet de Marisol Touraine ainsi que les professionnels « dans des délais resserrés ». Mais les agendas restent confus, pour chacun. Selon les informations communiquées, par le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, un calendrier a été mis en place. Au cours du premier semestre, une feuille de route technique sera déployée. Et la ministre a plusieurs fois assuré qu'elle prendrait le temps nécessaire pour s'assurer d'une concertation avant que la réforme n'intervienne.
Or, au 1er janvier 2016, il faudra que tout soit bouclé, a dit le président du RAAP, l'organisme qui porte la réforme. « Au terme du premier semestre, le travail administratif sur la gestion et la performance de la gestion sera achevé, par la suite, les négociations interviendront », a assuré le directeur du SLL, Nicolas Georges, durant les États généraux qui se déroulaient le 29 janvier.
Agessa, Maison des Artistes : l'autre problème
Il faudra également que des propositions soient faites pour la fusion et la gouvernance des deux établissements, la Maison des artistes et l'Agessa. Un second point lourd d'appréhension pour les syndicats et les auteurs. « Durant l'intervention de Nicolas Georges, lors des États généraux, nous ne sommes pas certains d'avoir très bien compris ce que le ministère de la Culture comptait faire. Il va se poser un problème très simple : la disparition que l'on redoute du régime d'assujetti et d'affilié », expliquait un auteur membre du Snac BD.
Que ce soit pour les Agessa ou la maison des Artistes, les auteurs qui cotisent disposent de deux statuts : assujettis, si les revenus sont inférieurs à 8577 €, et affiliés, quand le montant est dépassé. Les assujettis cotisent pour leur retraite de base, mais quand ils deviennent affiliés, un supplément de cotisation vieillesse intervient, de 6,85 %. Les enjeux financiers, sur des sommes aussi faibles, prennent évidemment des proportions gigantesques pour les créateurs.
Dans ces conditions, on comprend que la réforme présentée par le RAAP soit encore plus problématique, en tentant d'introduire 8 % de cotisations. « Pour des auteurs de littérature, d'essai, qui n'ont pas ce métier comme principale activité, ce n'est peut-être pas aussi problématique. Mais pour les auteurs de BD ou de jeunesse, la plupart du temps, c'est un travail à temps complet. On ne parle pas de revenus complémentaires, mais principaux. Et ceux qui perçoivent moins de 8577 € brut gagnent donc moins que le SMIC ! »
Le projet de réforme viserait donc à faire disparaître les deux régimes, Assujetti et Affilié, avec l'obligation d'une cotisation vieillesse pour tout un chacun, précise le Snac BD. « Le tout sans que l'on ne sache à l'heure actuelle si les auteurs qui cotiseront auront des droits ouverts. » Presque un comble...
À ce jour, on compte en France 200.000 artistes auteurs qui perçoivent des droits d'auteur, dont moins de 10 % – près de 15.000 – sont affiliés. « Le projet de disparition des organismes Agessa et Maison des Artistes, tel que l'avait suggéré le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, conférerait un nouveau statut juridique, puisque l'on instaurerait une Caisse nationale de Sécurité Sociale. » La crainte est alors de voir se créer cette future Caisse, sans savoir en quoi elle va consister.
Déjeuner en paix ?
Au cours du déjeuner de ce 1er février, Fleur Pellerin a pu prendre la pleine mesure des difficultés rencontrées. « Tout le monde était d'accord, côté édition, pour reconnaître qu'il y avait un problème sérieux de gouvernance du côté du RAAP, et que ce problème avait rendu le dialogue particulièrement complexe », se souvient l'une des fourchettes posées sur la table. Après sa remarquable intervention, le président du RAAP, venu aux États généraux pour présenter des camemberts immédiatement contestés, « est même parvenu à conforter les éditeurs : ils étaient consternés de son discours », poursuit-elle.
Sauf que la ministre de la Culture n'est pour rien dans le choix de cet interlocuteur. « Ce sont les Affaires sociales qui sont en charge du RAAP, et de son directeur, Frédéric Buxin. Clairement, le message est passé, et Fleur Pellerin a entendu que tout un chacun se désespérait de l'avoir pour interlocuteur » nous précise une des serviettes de table. « Si politiquement, une véritable volonté se manifeste, il sera impossible que les Affaires sociales n'en tiennent pas compte. Le ministère de la Culture, c'est tout de même le ministère de la Culture. »
Au terme de ce rendez-vous, le ministère a diffusé un communiqué de presse :
Fleur Pellerin a écouté les inquiétudes des auteurs relatives aux conditions économiques de la profession, exprimées lors des Etats Généraux de la Bande Dessinée, organisés le 30 janvier 2015. Suite à une rencontre avec les organisateurs des Etats Généraux et les représentants des auteurs et des éditeurs à Angoulême, la ministre a souligné sa vigilance particulière sur le sujet de la protection sociale des auteurs.
Concernant le régime de base, la ministre a affirmé que sa nécessaire modernisation, dont l'objectif est d'assurer une meilleure qualité de service et de garantir le niveau de protection sociale, ne serait engagée qu'au terme d'une large consultation des organisations professionnelles concernées, qui se déroulera au premier semestre 2015.
Commentaire d'un témoin : « Cela reflète bien le côté direct du repas : ils se sont installés, et on passé en revue les dossiers. Il serait maintenant avisé que les auteurs disposent d'une écoute véritable de la part du président du Conseil d'Administration du RAAP. Pouquoi ne pas demander à Marisol Touraine d'intervenir : elle ne peut que souhaiter une solution, sauf à considérer que la retraite des auteurs peut passer par pertes et profits... »
Se mettre à table, et autour de la table, vite
« On ne peut que déplorer que nous ne nous soyons pas plus engagés dans le RAAP », constatait Denis Bajram, auteur et coordinateur des États généraux. « Le problème aurait été immédiatement repéré si un auteur de BD avait été dans les discussions préalables, et nous aurions tiré la sonnette d'alarme bien avant. » Il relève aujourd'hui de la responsabilité des auteurs, de BD mais pas que, de remonter la pente actuelle.
Le premier semestre 2015 sera donc socialement chargé. « Fin février, début mars, au plus tard, les réunions devront commencer. Parce que M. Buxin insiste sur le fait qu'au 1er janvier prochain, la réforme devra être mise en œuvre, oubliant aussi de dire que les ministères de tutelle appellent à une concertation », nous indique un proche du dossier.
Pour l'heure, et telle qu'elle est formulée, la future loi Création artistique, Architecture et patrimoine, ne contient rien qui touche au volet social. Au cours des échanges qui devront avoir lieu – les auteurs sont disposés à reprendre des Marches et des actions pour y parvenir –, il se pourrait toutefois que certains éléments arrivent tout de même à l'Assemblée.
« La législation apportera les grandes lignes : quel type de gouvernance, quelles structures, quelles professions concernées... Cependant, des amendements pourraient très bien intervenir pour mettre en avant des questions sociales. » Si les propositions du semestre vont dans le sens qu'attendent les auteurs, tout se passerait alors bien. « On hésite à se prononcer, tant que les échanges n'ont pas eu lieu », conclut le Snac BD.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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