L'an dernier, à la même époque, Hervé Bel avait rédigé un hommage (cliquer ici) appuyé à Jean de la Varende, sortant de l'oubli "Nez de Cuir", son roman le plus connu. L'article commençait ainsi: " Jean de la Varende ... Ce nom, un jour au l'autre, au milieu d'une pile de vieux livres du Marché Brancion, ou ailleurs, dans une petite ville, vous avez dû le lire en grosses lettres rouges sur une jaquette défraîchie ornée en deuxième page par le sceau d'une bibliothèque municipale qui s'en est débarrassée. Le nom vous a traversé l'esprit, vous l'avez oublié. En matière de livres (mais pas seulement), on ne retient en général que ce qu'on connaît déjà". Cher Hervé, tu avais vu juste! J'ai déniché ce Livre de Poche défraîchi, au parfum nul autre pareil, lors de la brocante annuelle d'une toute petite bourgade du Cher. L'auteur m'était presque familier, je n'ai pas hésité une seconde.
Le 13/11/2016 à 09:00 par Les ensablés
Publié le :
13/11/2016 à 09:00
Par Elisabeth Guichard-Roche
Il s'agit d'une série de onze nouvelles qui fleurent bon le bocage normand, plus précisément le Pays d'Ouche, cher à la Varende. Elles couvrent un siècle et demi, de 1793 -année de la mort du Roi- à 1950. Le dernier texte, au titre symbolique "La mort du Chêne", est, en effet, postérieur à la parution du livre (1938). Les familles de Ghauville et de Galart, attachées à la Royauté et à leurs Terres en constituent le fil conducteur. Si un soupçon de modernité émerge ça et là (la voiture remplaçant le pur-sang), l'ensemble est empreint d'une nostalgie émouvante autour de thèmes qui reflètent les valeurs de l'auteur.
L'attachement à la Royauté et plus encore à l'Ancien Régime est omniprésent. Il éclate dès la première nouvelle "Comment ils surent". Le comte de Galart se promène sur ses terres. Après avoir lu "MORT AUX NOBLES" tracé à la peinture rouge sur la grande roue du moulin, il entend soudain le glas de son église paroissiale sonner, puis un second plus lointain, un troisième.... Qu'est-ce que cela pouvait annoncer? Point la guerre: on eût pour elle sonné en tocsin, quand rien d'autre ne s'entendait que glas en branle. De retour au château, sa femme tout de noir vêtue, lui apprend la funeste nouvelle. Les bordiers, les paysans, les tâcherons, les voisins humbles et les petits propriétaires étaient venus. Ils défilèrent pour serrer les mains, ainsi qu'à l'enterrement. Leur loyalisme avait compris que le seigneur restait le plus proche de Celui qui n'était plus, dont on apprenait le trépas; Celui qu'on avait mis à mort la veille de ce jour qui était en effet le 22 Janvier 1793.
On retrouve pareil attachement au Trône dans "La Course au Roi" (1830), une épopée de neuf jours de galop au cours de laquelle de Galart et de Ghauville chevauchent l'Ouest de la France avec leurs économies pour retrouver le Roi en fuite. On est en Août 1830. Après les Trois Glorieuses, le Roi Charles X a abdiqué en faveur de son petit-fils, le Duc de Bordeaux (Henri V aussi appelé le Conte de Chambord). Mais, les députés révolutionnaires optent pour Philippe d'Orleans qui devient le Roi des Français.
La Royauté est toujours présente dans "les frères ennemis" daté de 1883. Les frères de Ghauville sont attachés à l'histoire, "surtout celle de France à partir de Louis XIV". En revanche, leurs opinions politiques diffèrent. L'un est légitimiste, l'autre frondeur; l'un Louis XIV, l'autre Régence. Jean n'aurait jamais nommé le comte de Chambord autrement que Monseigneur; Pierre, en comité restreint, disait le bonhomme ou le père Chambord. Il convient de connaître l'histoire de France pour apprécier la prose de notre hobereau normand. Jean de la Varende était profondément Légitimiste et ouvertement hostile aux Orléans.
La religion est très présente. Le curé (titre d'un des textes) et l'église sont de solides repères dans ce monde rural. Plus intéressant, quatre nouvelles successives mettent en scène une Religion déchirée et même déchirante, sur fond de courants ligueurs et de condamnation papale aujourd'hui oubliés. Elles ont été écrites sous le choc de la condamnation de l'Action Française par Pie XI en 1926. La Varende ne pouvait dissocier Monarchie et Catholicisme. L'excommunication des fidèles à ce mouvement royaliste fondé à la fin du XIX ème, constitue un drame de conscience terrible.
Dans "La Fugue"(1926), Jacques de Galart, membre de L' "Énergie Nationale" -allusion claire à l'AF-, est profondément torturé par ce divorce entre les Fleurs de Lys et la Croix. Quitter le royalisme? Abandonner l'Eglise? des deux côtés, irréparable désastre moral. Ces pensées hantent ses nuits et le conduisent dans une folle équipée nocturne au volant de sa voiture sur les routes du Cotentin. Après avoir revu les lieux de bataille qui justifient sa lignée et son histoire, il file jusqu'à la mer sauvage.. Avancer encore un peu pour voir le fond... Là stop! Laisser en marche arrière...
A ce récit délicieusement romantique, succède "L'enterrement Civil" daté de 1927. Dès les premières lignes, le tableau est campé. Galart relisait cette lettre du conte de Billot: "on refuse les obsèques religieuses à Mme de Coeurville: nos amis tiennent à faire tout ce qui est possible; nous nous réunirons à Parcilly, mercredi, vers 10 heures: voulez-vous être des nôtres?". Et l'on découvre que la défunte, après une vie fort triste, a connu une fin des plus horribles pour être restée fidèle à un mouvement condamné, celui des ligueurs. Munie de brins de buis jaunis bénis aux Rameaux, une foule nombreuse se presse aux funérailles qui s'arrêteront devant la porte de l'église.
Avec "La Procession" (1928), le lecteur découvre un petit curé de campagne, paysan fils de paysan, usé de sacrifices, mais soutenu, éclairé, rendu translucide par sa foi: cette lumière, qui rayonnait à travers un corps misérable. Il conduit la procession annuelle de la paroisse, franchissant les grilles du château pour aller à la rencontre du vieux marquis de Ghauville. Il tend imperceptiblement son ostensoir. Mais, le vieillard refuse d'interrompre son abonnement au journal proscrit par l'Evêque. L'année suivante, la procession ne tourne pas à la grille du parc.
Enfin, dans " le Hobereau" (1935), le vieil Houville, découvre lors d'une messe dominicale qu'il est hors des règles: le prêtre commença la lecture de ce mandement épiscopal où l'évêque, obéissant aux ordres pontificaux, notifiait la condamnation d'un certain royalisme. Houville dressa l'oreille, et quand les mots furent prononcés, qui semblaient d'ailleurs être écrits tout à fait pour lui..., le hobereau sortit de son banc...; puis après une génuflexion devant le tarbernacle, il gagna la porte sur la pointe des pieds. Il reste fidèle à ses convictions jusqu'à son dernier souffle, préférant des obsèques civiles à la signature de sa renonciation.
La Terre Normande constitue le troisième élément fédérateur. Dès les premières pages, la Varende la met en scène: Galart regarda sa terre; elle se situait en pays pauvre, près de l'Auge riche. Il ne fallait pas y tenter d'y engraisser le haut bétail, mais seulement préparer l'animal pour le vendre, avant qu'il fût de boucherie. L'attachement à la Terre devient fusionnel dans "Le Curé", lorsque Jacques de Galart et Beliphaire partent sous une nuit tempétueuse à la découverte des Marnières, ces trous forés par les paysans pour extraire la craie. A l'issue d'un long périple par monts et par vaux, ils touchent le Graal: La terre vibrait, reprenait sa modulation, mais cette fois par coups secs et détachés, des signaux; puis venait un grondement derrière, un reniflement monstrueux, aussi bas que les plus sombres notes perçues par l'oreille humaine; puis cela sifflait en montant; puis tonitruait en cascades rebondissantes, en ascension de géant dans les pierres roulantes, pour s'établir enfin dans une haute sonorité régulière.
Au fil des pages, la nostalgie d'une époque révolue et d'une lignée en voie d'extinction diffusent un mélange de tristesse et de fierté. Les enfants débiles et chétifs végètent avant de mourir prématurément. Le petit était beau et languissant, peut-être si beau d'avoir si peu de vie; ses yeux immenses rappelaient les yeux des statues... Fidélité, 1850. Les difficultés financière se font jour dès la seconde nouvelle (la Favinella, 1799): On menait petite vie, maintenant au château de Galart; les jeunes domestiques avaient été pris par la conscription ; les caméristes congédiées... Mieux valait: aurait-on pu encore payer leurs gages? Elles grandissent au fil des ans, jusqu'à la pauvreté des vieux hobereaux du XX ème siècle qui ne parviennent plus à entretenir leur domaine. Le dénuement culmine dans " Le Chêne", la dernière nouvelle qui m'a personnellement beaucoup touchée. Le chêne était mort; le chêne avait été tué cette nuit! Dieu lui retirait cela aussi, encore..le chêne orgueil et maître du parc! Le chêne déjà gros sous Louis XIII, l'ancêtre de tous les arbres de la contrée, comme sa famille en demeurait la plus vieille.
Restent alors la lignée et la fierté comme derniers refuges.
Sur Jean Balthazar Marie Maillard de la Varende Agis de Saint Denis, je vous invite à (re)lire l'article très documenté rédigé par Hervé.
Par Les ensablés
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