IA et droit d'auteur : un appel collectif à la transparence
Le 29 septembre, Le Monde a publié une tribune cosignée par un collectif de plus de 70 organismes professionnels des secteurs de la création et des industries culturelles. Le texte réclame le renforcement des lois sur l’utilisation des modèles de langage, pour plus de transparence. Cette initiative s'inscrit dans une séquence où nombre d'écrivains portent plainte contre les sociétés à l'origine des IA, et où les textes de loi se multiplient afin de réguler ces dernières...
Le 03/10/2023 à 13:11 par Zoé Picard
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Publié le :
03/10/2023 à 13:11
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Cette tribune réunit de nombreux acteurs français de l’édition – SNE (Syndicat national de l’édition), SGDL (Société des gens de lettres), ATLF (Association des traducteurs littéraires de France) ou encore CPE (Conseil Permanent des Écrivains). Ils donnent suite au premier comité de l’intelligence artificielle générative, mis en place par la Première ministre Élisabeth Borne, le 19 septembre. Ses membres présenteront des actions concrètes d’ici sx mois afin de « définir une régulation adaptée des différents secteurs pour protéger des dérives ».
La ministre de la Culture a aussi constitué un groupe spécifique sur l’impact de l’IA dans les secteurs culturels. Il regroupe cinq experts, parmi lesquels le président d'Arte, Bruno Patino, auteur de S'informer, à quoi bon ?, publié cette année aux éditions La Martinière : ils se consacreront à l'usage de l'IA d'un point de vue créatif, au régime juridique qui l'encadre ou encore à l'impact sur les métiers de la filière.
Vers une résolution des conflits ?
Le développement des modèles de langage soulève plusieurs points, dont le respect des droits d’auteur. Pour les entraîner, on recourt en effet à un corpus de textes accessibles en ligne, articles, blogs, forums, livres, mais pas que… Or, cette liste reste confidentielle au risque de bafouer les intérêts des uns et des autres. L'accès aux œuvres, pour sa part, s'avère même ouvertement illicite, dans certains cas, profitant des réservoirs pirates disponibles en ligne.
À LIRE - Les auteurs français piratés pour forger une IA
En Europe, la directive européenne du 17 avril 2019 a introduit une exception au droit d’auteur. Elle facilite les méthodes d’exploitation des œuvres pour nourrir les IA. Le texte de loi évoque ainsi la « fouille de texte », « afin d’en dégager des informations ». Elle est alors réalisée « sans autorisation des auteurs aux seules fins de la recherche scientifique » par les organismes. Toutefois, les ayants droit ont la possibilité de s’opposer à ce moissonnage de données grâce à un système « d’opt-out ».
Aux États-Unis, la législation à cet égard est plus floue : l’utilisation d’ouvrages couverts par le copyright entre, sous certaines conditions (usage éducatif ou de recherche), dans le cadre du fair use, qui correspond à une exception au droit d’auteur. Le cadre juridique reste ambigu…
Par ailleurs, les contenus générés par les IA se révèlent parfois être des « concurrents » des originaux, rappelle la tribune. Et ce, sans que les entreprises à l’origine des chatbots « aient eu à assumer les investissements inhérents à la création littéraire et artistique ».
Les 70 organismes signataires affirment : « Les industries culturelles et créatives, qui représentent 4,4 % du PIB et plus de 7,5 millions d’emplois dans l’Union européenne (UE), se sont toujours construites en lien avec les évolutions techniques et technologiques et continuent sur cette voie, l’IA ne faisant pas exception. »
Renforcer et élaborer la loi initiale
Et les signataires d'attendre de la France qu’elle soutienne « fermement le principe de transparence dans le cadre du trilogue » qui rassemble les trois institutions de l’Union européenne, et qui doit aboutir à un texte définitif d'ici la fin de l'année, en vue de l'adoption d'un « IA Act ».
En juin, le Parlement européen a déjà introduit une obligation de transparence pour les IA, au sein de cet European AI Act. Les entreprises comme Open AI, mère de Chat GPT, devront donc publier « un résumé suffisamment détaillé de l’utilisation des données d’entraînement protégées par la législation sur le droit d’auteur », ainsi qu’une information « appropriée, claire, visible » qui distingue le contenu généré de l’original.
Mais, selon les signataires de la tribune du Monde, l’AI Act, dans sa version actuelle, « reste grandement insuffisante ». En effet, elle ne permet pas aux ayants droit d’être rémunérés suite à l’utilisation de leurs écrits.
Ils exigent donc l’introduction, dans l’article 28 b.4 de la loi, du « principe d’une transparence totale à travers une liste détaillée des œuvres utilisées par les systèmes d’IAG [intelligence artificielle générative] et leurs sources, liste qui doit être tenue à la disposition des titulaires de droit », afin que ces derniers perçoivent une compensation financière.
Il s’agit également « d’assurer la mise en œuvre effective de nos droits ». En effet, l’opt-out, soit la faculté pour les ayants droit de s’opposer à la fouille de leurs textes et de données, n’est pas toujours respecté. Sur le web, il est souvent difficile de faire marche arrière...
Par ailleurs, à l'échelle française, le 12 septembre, plusieurs députés de la majorité ont déposé une proposition de loi visant à « encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur ». Ce texte assurerait une rétribution équitable par le contrôle strict de l’exploitation des œuvres générées par l’IA. Cette proposition a été renvoyée à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour examen.
Une fronde contre OpenAI & cie
Cette tribune n’est pas la première initiative de ce type. Comme nous l'indiquions en juillet, plus de 10.000 écrivains ont cosigné une lettre ouverte publiée, de l'autre côté de l'Atlantique, par l'Authors Guild. Ils appelaient les PDG de plusieurs sociétés, dont Sam Altman (OpenAI), « à obtenir le consentement, à créditer et à rémunérer équitablement les auteurs pour l’utilisation d’écrits protégés par le droit d’auteur à des fins d’entrainement de l’intelligence artificielle ».
De nombreuses figures de la littérature faisaient partie des signataires : Dan Brown, James Patterson, Jennifer Egan, Suzanne Collins, Margaret Atwood, Jonathan Franzen, Roxane Gay, Celeste Ng, Louise Erdrich, Viet Thanh Nguyen, George Saunders... La lettre ouverte n'a pas eu l'effet escomté, et l'Authors Guild a porté l'affaire devant la justice, avec plusieurs auteurs.
À LIRE - Grâce à l'IA, des textes du domaine public à écouter à l'oeil
Aux États-Unis, ces interpellations médiatiques se couplent à d'autres plaintes, portées contre OpenAI, la mère de ChatGPT, et Meta, la société derrière Facebook et l’outil d’IA LLaMA. Les auteurs à l’origine de ces actions en justice dénoncent notamment une exploitation non autorisée et sans compensation de leurs œuvres afin d’entraîner ces chatbots.
Crédits photo : Michael Dain (CC BY-NC-ND 2.0 Deed)
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5 Commentaires
Rimbaud
03/10/2023 à 20:38
La Maison de la Poésie ? Vraiment ? Vous ne confondriez pas avec La Maison de Poésie ?...
Rose
04/10/2023 à 07:30
Un bel appel collectif ; quand un texte passe par l'IA, tout devient plat, sans nuance, sans subtilité, sans humour et sans idée. Donc, avec un peu de chance, comme on ne peut pas se tromper sur la qualité et le talent, cette saleté ne devrait pas faire long feu. On remarquera que certains délires technologiques, qui n'ont aucune utilité et par certains côtés sont néfastes (par ex : pollution), viennent du même endroit. On se demande ? ou pas ? ...
Marie
04/10/2023 à 08:35
..."on ne peut pas se tromper sur la qualité et le talent"...Le pensez-vous vraiment?-
Rose
05/10/2023 à 07:25
Bonjour,
Bien sûr, sans prétention je le vis ; quand tout d'un coup, vous entendez une musique, sans réfléchir vous vous mettez en accroche et vous rêvez (bon, on ne sait pas vraiment de quoi on rêve !), ou un film quand la première scène vous scotche à l'écran et que vous ne bougez plus jusqu'à la fin, bref, on s'envole. Vous voyez l'idée ? La qualité et le talent sont irrésistiblement attirants.
Boris Perchat
21/10/2023 à 13:11
Bonjour,
Merci pour votre article. Permettez-moi d'y apporter une précision : il y a 2 exceptions au droit d'auteur. Vous en citez une sur les 2 à savoir celle qui permet donc aux acteurs de la recherche scientifique d'effectuer des copies ou reproductions des contenus publiés sur le web (ou moissonnage de données) et lorsqu'ils sont librement accessibles sans l'autorisation de leurs auteurs à des fins d'analyse automatisée (text and data mining) et afin "d'en dégager des informations" comme vous le précisez effectivement.
Or l'option pour manifester ce refus (op out) que vous évoquez ne s'applique pas à cette première exception au droit d'auteur et si bien qu'un organisme à vocation de recherche scientifique peut donc exercer ce droit sans se soucier de l'avis des détenteurs de contenus y compris ceux protégés par le droit d'auteur. La possibilité d'exprimer son refus de voir ses contenus publiés copiés ou reproduits à des fins de fouille et d'analyse automatisée est imputable à une 2ème exception qui concerne quant à elle, les acteurs qui veulent s'y adonner en dehors du cadre d'une recherche scientifique que ceux-ci soient des acteurs publics et privés (entreprises à vocation commerciale par exemple). Il est possible alors d'opposer à ces acteurs un refus et comme la directive européenne l'avait prévue, par des "procédés lisibles par machine" (par exemple des métadonnées).
Dans les faits pour ma part je me suis aperçu que ces procédés ont été prévus sans un réel souci d'efficacité et même en dépit du bon sens si bien que nos publications en ligne, y compris celles protégées par le droit d’auteur, sont livrées aux mains de l’IA depuis... novembre 2021, date de transposition de la directive européenne dans le droit français : https://borisperchat.fr/depuis-2021-du-fait-des-institutions-europeennes-nos-publications-en-ligne-y-compris-celles-protegees-par-le-droit-dauteur-sont-livrees-aux-mains-de-lia/