Journaliste, patron de presse, auteur, président d’honneur de l’Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste, Jacques Duquesne est décédé le 5 juillet à 93 ans. Celui qui voulut être journaliste, « [n]on pour dire ce qu’il fallait penser. Mais pour raconter ce qui se passait et expliquer », (Histoires vraies, 2016, Albin Michel) a eu de nombreuses vies...
Jacques Duquesne commence sa carrière en tant que reporter à La Croix à partir de 1957. Il se fait connaître un an plus tard par ses articles dénonçant l'utilisation de la torture par certains membres de l'armée française en Algérie. Après cela, il rejoint Panorama Chrétien en 1964, puis L'Express en 1967.
De 1985 à 1990, il contribue à la création de l'hebdomadaire Le Point, dont il devient le rédacteur en chef puis le président-directeur général. En outre, il occupe le poste de directeur général du groupe des publications Malesherbes-La Vie de 1977 à 1979.
Au cours de sa carrière, Jacques Duquesne a écrit une quarantaine de titres. Dans son ouvrage intitulé Et pourtant nous étions heureux (2004), il indique : « La lecture fut très tôt ma passion », se souvient La Voix du Nord. Et en 2010, il précise que son livre préféré, enfant, était Le Père Goriot d’Honoré de Balzac.
Chrétien engagé, il publie plusieurs essais sur la religion chrétienne, tels que Les prêtres en 1965 (avec Hector de Galard, aux éditions Grasset), Dieu, malgré tout, publié en 2005 (Stock), ou bien Le Dieu de Jésus et Les catholiques français sous l'occupation, en 2014 (Grasset).
En 1994, il suscite la controverse avec sa biographie Jésus, en remettant en question la conception virginale de Jésus de Nazareth par Marie.
En tant qu'auteur de fiction, il publie son premier roman, Grande triche (1977), aux éditions Grasset. Il y raconte l'histoire d'un enfant de 10 ans au début de la Seconde Guerre mondiale à Dunkerque, la ville natale de l'auteur.
En 1983, il remporte le Prix Interallié grâce à son roman Maria Vandamme (Éditions Grasset). Ce récit relate le combat d'une femme pour la liberté au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Par la suite, il a été adapté en mini-série de quatre épisodes en 1989.
En 2000, il publie le premier tome de la saga Les Héritières, Aline (Plon), fresque française avec, en arrière-plan, la Première Guerre mondiale et l'évolution de la condition des femmes.
À travers ses différentes autobiographies, il partage ses expériences personnelles, marquées notamment par la destruction de sa ville natale en 1940, alors qu'il n'avait que 10 ans... En 2003, il publie Et pourtant nous étions heureux chez Albin Michel.
J'ai longtemps hésité avant d'écrire ce livre. Mes souvenirs d'enfance sont uniques, certes, mais la plupart n'ont rien d'original. Il y eut la bataille de Dunkerque bien sûr, et la guerre.
Le reste, c'est la vie d'une famille du peuple dans le Nord industriel, la vie d'une rue, d'un quartier que l'on dirait aujourd'hui sensible, d'un monde disparu.
Je m'agace parfois d'entendre parler de mémoire ; la répétition de ce mot, toujours repris, m'énerve autant qu'une rengaine.
- Extrait de Et pourtant nous étions heureux
En 2012, il évoque ses premières années de journaliste de terrain en Algérie avec Carnets secrets de la guerre d’Algérie (Bayard, 2012). Il explique notamment, rappelle Ouest-France : « Cette méticulosité à noter les détails des tortures peut paraître macabre. Elle est indispensable. Un journaliste doit pratiquer le “doute systématique” : pas question de se laisser submerger par ses émotions, chaque cas doit être soigneusement vérifié, chaque information “recoupée”. Dans ce type d’enquête, la moindre erreur peut vous coûter votre crédibilité. C’était mon boulot de reporter : dire les faits ».
Dans sa dernière autobiographie en 2016, Histoires vraies - Une vie de journaliste (Albin Michel), il revient sur 60 ans de carrière. Le 6 juillet 2023, son ami, le journaliste et écrivain Robert Namias lui a rendu hommage en écrivant « De L’Express au Point en passant par La Vie, c’était un journaliste qui avait les valeurs de ce métier chevillées au corps ».
Dans un communiqué reproduit ci-dessous, Rima Abdul Malak rend hommage à Jacques Duquesne.
Journaliste courageux, loyal à ses valeurs, fidèle à ses convictions, Jacques Duquesne nous a quittés.
Né à Dunkerque en 1930, Jacques Duquesne prend très tôt conscience de la violence de l’histoire et de la vigilance que nous devons exercer à son égard. A dix ans, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, il observe la destruction de sa ville, la déroute militaire et la mort : un souvenir qui imprégnera à jamais sa vision du monde. Ce n’est donc sans doute pas un hasard s’il se passionne pour la grande histoire dès son adolescence, puis pour celle des idées politiques.
Jeune adulte, il quitte Dunkerque après avoir réussi le concours de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris : Sciences Po, où il découvre de nouveaux continents de la pensée mais aussi le fossé que creusent les inégalités sociales entre jeunes gens du même âge. Alors, il s’engage : d’abord auprès de la Jeunesse étudiante chrétienne puis de l’Association catholique de la jeunesse française, avant d’être élu en 1955 à la présidence du Conseil de la Jeunesse de l’Union Française. Mais à la politique, Jacques Duquesne préférera vite la plume, l’observation, l’enquête.
Informer devient sa mission. Il part en Algérie en 1957, peu après la Bataille d’Alger. Il rentrera en France avec une série d’articles « Souffrances et espoirs de l’Algérie » qui sont comme un électrochoc : Jacques Duquesne y dénonce la pratique, presque banalisée, de la torture. S’ensuivront une condamnation à mort par l’OAS, mais aussi un solide respect de la profession envers ce très jeune journaliste du Nord, reporter à La Croix, qui a osé dire ce qu’on ne disait pas.
Indépendant, juste, méticuleux : le ton est donné et la carrière de journaliste de Jacques Duquesne se poursuit, brillamment. Il quitte La Croix en 1964 pour rejoindre Panorama chrétien puis l’Express où l’on s’arrache sa plume - à telle enseigne qu’il lui arrive de réécrire la quasi intégralité des articles afin de leur donner la coloration vive, acérée et précise dont la rédaction raffole et qu’il manie comme personne. Il quittera pourtant bientôt L’Express pour co-fonder Le Point, en 1972 dont il deviendra quelques années plus tard rédacteur en chef puis président-directeur général jusqu’à 1990.
S’il a été un journaliste et un patron de presse d’exception, Jacques Duquesne a exercé sa plume dans bien d’autres registres. A partir des années 1960, il couche sur le papier sa manière de voir la chrétienté en dialogue avec les évolutions de la société : d’essais sur la nécessaire évolution du rôle des prêtres à une biographie de Jésus dont l’audace fit couler beaucoup d’encre au milieu des années 1990, il est l’auteur d’une bibliographie riche qui témoigne d’une pensée sans cesse frottée contre celle d’autrui. Pour le grand public, enfin, il restera toujours cet écrivain du Nord qui – dans Maria Vandamme, récompensé du Prix Interallié 1983, comme dans Les héritières dans les années 2000 – a défendu le panache de son terroir et rendu justice au rôle des femmes dans l’histoire.
Nous perdons aujourd’hui un journaliste exemplaire, un patron de presse pionnier, féru d’indépendance : un homme de grandes valeurs.
J’adresse à son épouse, à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.
Crédits photo : couverture de Histoires vraies. Une vie de journaliste (Albin Michel) de Jacques Duquesne
Par Julie Mahé
Contact : jm@actualitte.com
Paru le 10/10/2005
339 pages
Flammarion
18,00 €
Paru le 24/02/2000
296 pages
Plon
18,50 €
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