Il y a un peu plus d’un mois, l’écrivaine et militante des droits civiques, intellectuelle de premier plan en Italie et Chevalière des Arts et des Lettres en France, a révélé publiquement sa maladie dans une interview accordée au Corriere della Sera : un cancer du rein de stade 4. Maintenant, elle annonce devoir suspendre les rencontres publiques pour consacrer son temps et son énergie « à ceux qu’elle aime ».
Le 19/06/2023 à 17:01 par Federica Malinverno
550 Partages
Publié le :
19/06/2023 à 17:01
550
Partages
Michela Murgia, née en 1972 à Cabras (Sardaigne), est une romancière italienne, qui s'est présentée à la présidence de la région Sardaigne lors des élections régionales de 2014. Elle est l'autrice du bestseller Accabadora (2011, Seuil) mais aussi de La guerre des saints (2013, Seuil) et Leçons pour un jeune fauve (2017, Seuil). Nathalie Bauer a traduit ces trois ouvrages en français.
L’écrivaine a expliqué dans un entretien comment elle fait face à son cancer : « Je me soigne avec une immunothérapie basée sur des produits biopharmaceutiques. Elle ne s’attaque pas à la maladie, mais stimule la réponse du système immunitaire. L’objectif n’est pas d’éradiquer la maladie, car il est tard, mais de gagner du temps. Des mois, peut-être plusieurs mois. »
Elle poursuit en expliquant qu’il est « préférable d’accepter que ce qui m’arrive fait partie de moi », précisant qu’elle ne veut pas considérer la maladie comme une guerre, car cette dernière « suppose des perdants et des gagnants ; je connais déjà la fin de l’histoire, mais je n’ai pas l’impression d’être une perdante. La vraie guerre est celle de l’Ukraine. Je ne peux pas avoir Poutine et Zelensky en moi. Je n’aurais jamais trouvé l’énergie d’écrire un livre en trois mois (Tre ciotole, Mondadori, 2023, NDR) ».
Cette maladie lui a paradoxalement donné la force de profiter encore plus intensément : « Je vis le temps de ma vie maintenant. Je dis tout, je fais tout (…) J’ai demandé à Vogue si je pouvais faire un voyage dans l’Orient Express. Je peux aller à des défilés de mode, je ferai beaucoup de choses. Mais il ne faut pas attendre d’avoir un cancer pour faire ça », a-t-elle déclaré au Salon du livre de Turin, l’une de ses dernières sorties publiques.
Invitée du journaliste Massimo Gramellini à l’émission Le parole (Rai3), elle a enfin expliqué l’étrange et dramatique ambiguïté dans laquelle elle se trouve : « La maladie vous fait habiter l’espace de la vie et de la mort en même temps, ceux qui vous rencontrent choisissent dans lequel des deux espaces ils vous voient, et je constate souvent que les gens qui me rencontrent me voient davantage dans l’espace de la mort. Mais, comme je l’ai répété, je suis vivante et je n’ai pas l’intention de devenir un monument. Je veux arriver vivante à la mort ».
Michela Murgia a également consacré beaucoup d’énergie ces mois passés à la présentation de son dernier livre, Tre ciotole (Trois bols) publié chez Mondadori en 2023. Il s’ouvre sur le diagnostic d’une maladie incurable et constitue une sorte d’autobiographie.
Cet ouvrage se compose de douze histoires qui traitent de la manière dont on fait face à un changement radical et soudain - un deuil, une blessure, un licenciement, une maladie, la perte d’un amour : « les personnages sont tous unis par la crise, face à laquelle ils ne trouvent cependant pas de solution, mais cherchent à contenir le désastre », raconte l’écrivaine.
Il s’agit de l’un des livres les plus lus en Italie à l’heure actuelle : il occupe - à la mi-juin -, la quatrième place dans le classement des meilleures ventes selon le Corriere della Sera.
Michela Murgia a parlé à plusieurs reprises sur ses réseaux sociaux de sa famille queer, sans rôles prédéfinis et avec des responsabilités partagées : « une famille par choix, indépendante du couple, de la sexualisation, de la parenté, mais qui n’est rien pour l’État » qui ne connait que le mariage ou les unions civiles.
Dans Accabadora et L’Arminuta (La revenue, trad. Nathalie Bauer, Seuil, 2018) de Donatella Di Pietrantonio on raconte l’existence, dans une Italie provinciale d'après-guerre, souvent méridionale, de familles antitraditionnelles, constituées par choix ou par nécessité.
L’écrivaine a notamment parlé de son fils Raphaël et de l’homoparentalité (omogenitorialità) avec son amie architecte Claudia : « Depuis douze ans nous partageons un enfant », peut-on lire dans un long post Instagram : « Nous nous sommes cachées pendant des années (…). Puis, il y a un an et demi, je suis tombée malade et tout a changé ».
L’écrivaine, qui a écrit un livre contre le fascisme (Istruzioni per diventare fascisti, Instructions pour devenir fascistes, Einaudi, 2018), s’est également toujours prononcée publiquement contre le gouvernement actuel de Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia). Elle le considère comme « fasciste (…) dans les choix, les décisions qu’il prend. Tout va dans une certaine direction, le contrôle des corps, de la liberté personnelle, la discrimination des communautés déjà opprimées qui commençaient à obtenir des droits », comme elle a déclaré sur le stand de la Stampa lors du Salon du livre de Turin.
Michela Murgia a été nommée début juin Chevalière des Arts et des Lettres — titre décerné aux personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire en France et dans le monde — par la ministre française de la Culture, Rima Abdul-Malak.
Le message de l’ambassade de France en Italie résume ses motivations « cette distinction est une reconnaissance de sa grande contribution en tant que romancière et essayiste, très appréciée en France, et porteuse d’un engagement passionné pour les droits civiques, qui traverse sa production littéraire. »
Sur Instagram, Michela Murgia a écrit que la France est « l’un des pays où les choses que j’ai écrites ces dernières années ont été le plus comprises et accueillies » en ajoutant que « cela signifie beaucoup pour moi en ce moment de voir une institution reconnaître la valeur des voix intellectuelles, même celles d’autres pays. »
Elle a annoncé qu’elle devra interrompre ses sorties publiques pendant au moins six mois. « Merci pour les invitations que vous me faites », ajoute-t-elle, toujours sur les réseaux sociaux, « je n’ai ni la force ni le temps de les accepter, mon prochain temps sera pour ceux que j’aime. »
« Je ne présenterai même pas Tre ciotole », annonce l’écrivaine en parlant de son dernier ouvrage. « Mais Libri Mondadori a pensé à faire quelque chose de spécial pour moi, une réimpression de 5000 exemplaires signés, qui seront envoyés à toutes les librairies italiennes. Merci à vous qui aimez ce livre au-delà de toute espérance. »
Crédits photo : Fondazione Milano (CC BY-NC-SA 2.0)
Paru le 30/08/2012
181 pages
Points
6,70 €
Paru le 20/02/2014
91 pages
Points
4,90 €
Paru le 05/01/2017
270 pages
Seuil
19,00 €
Paru le 11/01/2018
236 pages
Seuil
20,00 €
Commenter cet article