#Imaginales23 – La société dans laquelle nous évoluons est ce qu’elle est : une femme fait face à plus de difficultés, et ce, dans tous les domaines. Et c’est également le cas dans l’édition, notamment en tant qu’autrice. Sujet abordé avec honnêteté et une agréable légèreté lors d’une table ronde qui se déroulait ce matin aux Imaginales, sous les drapés du Magix Deluxe : « Autrices, le chemin de croix. »
Le 27/05/2023 à 10:15 par Valentine Costantini
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Publié le :
27/05/2023 à 10:15
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Animée par Sara Doke, connue pour ses différents rôles dans l’édition — autrice, traductrice, mais aussi présidente d’honneur du SELF (Syndicat des Écrivains de Langue française) —, cette table ronde réunissait quatre femmes aux univers bien personnels : Claire Garand, autrice de Paideia (Éditions La Volte) ; Bleuenn Guillou avec son premier roman Le Tribut des Dieux (Hachette) ; Ielenna, qui a récemment publié Persona (Hachette) ; et enfin, Valérie Mangin, scénariste de bande dessinée, qui travaille actuellement sur une adaptation de La vieille anglaise et le continent (Griffe d’Encre éditions) de Jeanne-A. Debats.
À la question « quelles sont les embûches rencontrées dans votre parcours ? », les réponses peuvent surprendre. Les invitées s’affirment chanceuses, presque gênées de ne pas avoir d’histoires croustillantes à partager avec le public. Valérie Mangin explique par exemple que son premier album, édité en 1998, avait été accueilli à bras ouverts par un éditeur ravi. « Enfin, il allait pouvoir signer une femme », sourit-elle. « Il existait une vraie demande à l’époque, les portes étaient ouvertes pour moi en tant que femme dans le monde de la bande dessinée. »
Ielenna, de son côté, mentionne plutôt la notion d’embûches « intérieures », puisqu’elles émergent de biais psychologiques qui empêchent d’avoir confiance en soi en tant qu’autrice. Un supposé « syndrome de l’impostrice », une autocensure qui devient un obstacle dans le processus d’écriture et d’édition qui est parfois difficile à surmonter.
Or, n’est-il pas observable que les éditeurs souhaitent publier de plus en plus d’autrices ? Là aussi, Valérie Mangin est la première à réagir : « Aujourd’hui, un auteur sur deux est maintenant une autrice en BD. » Et d’ajouter : « Heureusement, et ça fait plaisir ! » Pourtant, impossible d’ignorer un possible effet de mode. Après tout, « c’est bien de se montrer féministe ». À croire, donc, que quelques femmes dans le catalogue feraient vendre plus… Or comme le souligne Bleuenn Guillou, « le milieu de l’édition s’est beaucoup féminisé ». Un facteur indéniable dans le processus d’équilibrage qui semble s’opérer.
ENQUÊTE – L'édition a beau se féminiser, les inégalités demeurent
Claire Garand constate de son côté que, en ce qui concerne le genre de la science-fiction, l’ouverture est là aussi de plus en plus importante. Autant au niveau des lectrices — malgré les chiffres de L’Observatoire de l’Imaginaire qui soutient que le lecteur de SF lambda est un homme blanc de 50 ans —, mais aussi au niveau des autrices. Est observée une « floraison de textes rédigés par des femmes et une demande ». Se pose, cyniquement, la question suivante : « Les femmes sont-elles vraiment capables d’écrire de la science-fiction ? » Et la réponse, sans équivoque : « Bien évidemment que oui ! »
Sara Doke s’aventure ensuite sur la notion de réception : « Est-ce que le public a un regard particulier sur votre travail ? » Ielenna s’empresse de raconter une histoire : celle d’un adolescent visiblement intéressé par son travail, avant d’être coupé dans son élan par un parent réticent. « Touche pas à ça, c’est pour les filles. » D’après l’autrice, il y a un travail évident et nécessaire afin d’encourager un lectorat masculin à se plonger dans des récits avec des héroïnes, « malgré tout ».
Bleuenn Guillou renchérit aussitôt : « Il faut réfléchir à comment amener ces jeunes lecteurs à redécouvrir la littérature, même si elle est estampillée “féminin”. »
De son côté, Claire Garand mentionne que, pour elle, le public serait différent non pas selon une question de genre. « C’est plus une question de génération ». D’ailleurs, elle s’étonne souvent des différentes interprétations de son roman, là aussi en observant une « segmentation générationnelle » plutôt que genrée.
La prochaine question traite quant à elle de genres littéraires et de leur association systématique à une autrice, ou encore à des publics qui se dirigeront plus naturellement vers des récits écrits par des femmes selon les genres… mais aussi des attentes que les lecteurs peuvent avoir. Bleuenn Guillou réagit en expliquant que la réalité est finalement « moins catégorisée que ce qu’on imagine ».
Sans surprise, les jeunes garçons auront plus de difficultés à s’intéresser à des récits dits féminins, de par l’image qu’ils s’en font. L’autrice mentionne notamment l’existence d’une « hiérarchie élitiste entre les genres, avec ce côté méprisant, par exemple vis-à-vis du genre de la romance ». La solution ? « Créer un mélange des auteurices et des publics. » Valérie Mangin souligne d’ailleurs une diversification de points de vue : « Le média du livre lui-même devient plus varié et attire de plus en plus de personnes. »
Malgré l’existence de clichés qui subsistent, Claire Garand estime que nous assistons actuellement « à une forme de science-fiction moins tournée vers la science dure ». Elle mentionne notamment Becky Chambers, qui propose en quelque sorte une science-fiction plus douce, à l’exact opposé, tout du moins en termes de contenu. Tel un « renouveau des territoires explorés par la science-fiction », le lectorat du genre se féminise. De quoi inciter les autrices — et pourquoi par les auteurs ? — à visiter des thématiques dans lesquelles elles n’ont pas pour habitude de traiter dans leur travail. « C’est une ouverture d’esprit, d’écriture, de style, qui nous permet de jouer, nous, auteurs, pour faire davantage plaisir aux lecteurs », conclut-elle.
« Avez-vous envie de parler de féminisme, d’inclusion, d’ouverture ? », s’aventure Sara Doke. Ielenna explique que bien qu’elle s’engage d’une certaine façon au travers de ses écrits, ils restent des livres destinés à la jeunesse. « Ce qui me semble important, c’est de porter des messages et de la représentation. » Le tout, en gardant à l’esprit la notion d’accessibilité : « Ça reste un divertissement. »
Valérie Mangin explique être engagée, oui, mais « dans la réalité, plus même que dans mes œuvres ». Elle mentionne notamment la création de syndicats afin d’améliorer la situation financière des auteurs, mais surtout des autrices. « Une étude menée en 2015 montrait que 50 % des autrices en bande dessinée vivaient en dessous du seuil de pauvreté. » Et d’ajouter : « Notre souhait est que notre métier soit reconnu comme une vraie profession. » Car voici pour elle les véritables embûches rencontrées par les autrices : « Affronter la réalité, concrète, à côté du plaisir de l’écriture, car de nombreux pièges se dressent devant les autrices. »
Pour Bleuenn Guillou, il s’agit de « déconstruire les biais pour montrer que d’autres mondes sont possibles ». En d’autres termes, il faut savoir montrer autre chose. « J’aime l’imaginaire parce que tout est possible », explique-t-elle.
Alors que l’heure touche à sa fin, une dernière question : « Quel conseil donneriez-vous aujourd’hui à une autrice qui débute ? ». Claire Garand fait simple : « Lire, lire et encore lire » — car c’est aussi en lisant qu’on apprend à écrire. Or, elle explique bien qu’il est nécessaire de se lancer dans une lecture consciente, d’analyse, afin de comprendre les processus et mécanismes qui font un bon texte. Ielenna, elle, suggère d’« aiguiser son esprit critique, d’explorer des thématiques qui vous touchent ». À Bleuenn Guillou de conclure : « Ne pas se mettre de limite, surtout en tant que femme. »
Crédits photo : de gauche à droite, Valérie Mangin, Ielenna, Bleuenn Guillou et Claire Garand. Modération : Sara Doke - Valentine Constantini / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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2 Commentaires
Observatoire de l'imaginaire
29/05/2023 à 18:56
Bonjour,
Article très intéressant :)
Une précision par rapport à cette citation "malgré les chiffres de L’Observatoire de l’Imaginaire qui soutient que le lecteur de SF lambda est un homme blanc de 50 ans". Il est nécessaire de rappeler que l'Observatoire ne soutient rien en particulier : au niveau des réponses apportées par les répondant.e.s à l'étude de lectorat, il apparaît qu'une différence marquée existe en terme de lecture fantasy et SF entre hommes et femmes et en fonction de l'âge. Nous n'avons que consolidé les informations ;)
duquaine
30/05/2023 à 23:33
Ne lâché riens les Filles 👭 seul la persévérance , aboutira , afin d' obtenir nos droits & reconnaissances