#LaComedieDuLivre23 – Sept romancières et romanciers pour raconter une maison, à l’occasion de ses quarante ans. Un anniversaire à célébrer, malgré la disparition de son créateur, Paul Otchakovsky-Laurens, en janvier 2018. Les éditions P.O.L, fondées en 83, ont aujourd’hui Frédéric Boyer à leur tête. Un PDG qui fut auteur P.O.L jusqu'à sa prise de fonctions. Tous conviés à remonter le temps et partager leurs souvenirs.
« Paul aimait beaucoup faire la fête, et elles étaient souvent mémorables », attaque Frédéric Boyer. Depuis la collection Textes chez Flammarion, à Hachette/POL – avec notamment George Perec, avec un prix Medecis à la clef –, l’aventure conduisit à P.O.L en 1983. « Chaque auteur représente une part de l’histoire de la maison… et de son avenir », reprend Jean-Paul Hirsch, directeur commercial. « Nous publions une littérature contemporaine, dans tous ses états. »
« Il n’aimait pas les familles, ces lieux de névrose », note Marie Darieussecq. Elle rencontra l’éditeur en 96, avec Truismes : « J’étais acceptée par trois autres, Fayard, Seuil et Grasset, mais je crois qu’il faut être éditée là où l’on aime lire. » Cette même année, trois premiers romans sortirent pour la rentrée littéraire, Dans ma chambre de Guillaume Dustan et Emmanuelle Bayamack-Tam, avec Rai-de-cœur.
Et cette dernière d’indiquer : « Paul m’a laissé faire, même quand il savait pertinemment que personne ne lirait et Le Triomphe (2011)… fut un fiasco : ce fut une expérience mortifiante. » Mais qui reflète « la confiance qu’il nous a porté à toutes et tous, et son soutien ». À l’inverse, quand elle l’informa d’un polar qu’elle avait proposé ailleurs, estimant qu’il ne convenait pas à la structure, la réponse fut cinglante : « Ce n’est pas à vous de décider ce qui est pour P.O.L ou pas. » Conclusion : le roman regagna les rangs, sous pseudonyme.
Le fondateur de la maison l’affirmait : « Ce qui m’importe, c’est la forme, la sonorité. » Ou plus précisément : « Je publie des livres que j'aurais aimé avoir écrits. » Aujourd’hui, l’unité d’un catalogue qui compte quelque 1500 ouvrages et quatre cents auteurs, se retrouve dans cette préoccupation de l’écriture et de la langue, insiste Frédéric Boyer. D'ailleurs, retrouver, en trois ouvrages, les poèmes du réalisateur Jean-Luc Godard « est aussi un bel exemple de ce que l’on est capable de faire », note Jean-Paul Hirsch.
Maison, plus que famille ? C’est ce que garde Christine Montalbetti, qui sirotant un lait menthe dans un café, cet été 2000, quand l’éditeur l’appela. « Il avait laissé un message sur ces répondeurs que nous avions tous avant les portables. » Elle garde à l’esprit « sa délicatesse, celle de tout le monde, rare et précieuse », quand vit le jour Sa fable achevée, Simon sort dans la bruine, l'année suivante. Et encore.
La société, dont le groupe Madrigall était déjà actionnaire, fut consolidée quand en 2003 Paul Otchakovsky-Laurens demanda à Antoine Gallimard d’accroître sa participation. Désormais, P.O.L est sanctuarisé, le groupe détenant plus de 80 % du capital. Une nécessité, pour que « la littérature passe avant les notions d’argent », souligne Nicolas Fargues.
En 1999, il déménageait quand — là encore — un message sur répondeur l’informe que Le Tour du propriétaire, a trouvé un éditeur. « Pas mon premier choix, mais mon meilleur. Paul m’a fait comprendre que je n’avais pas affaire à un marchand. » Et de se remémorer ses propos : « Je ne vous promets pas de pont d’or, je ne fais pas de promesses. Mais je vous assure une fidélité à vos livres. »
Aujourd’hui, Frédéric Boyer prolonge cet adage : « On ne se pose pas la question de savoir si “ça va marcher”, cette expression affreuse. On se demande ce que l’on a envie de lire. »
Si Frédéric Boyer est un ancien auteur de la maison, Olivier Cadiot en serait l’une des mémoires. Ses premiers textes, des poèmes, Paul eut l’opportunité de les entendre lors d’une lecture. « Le geste m’inscrivait dans la littérature… Paul était là, m’a écouté, et à grommelé quelque chose. Comme s’il avait mangé quelque chose de savoureux. Alors, j’ai répondu par un grommellement à mon tour. »
Conclusion : « Il faudra venir me voir, un jour », lance l’éditeur. « C’est une famille, mais sans devoirs, positive », ajoute-t-il. « Dans maison d’édition, moi je garde “maison”. Et quand je suis, par la suite, passé de la poésie au roman, il était avec moi. » Cela, tout en entretenant une véritable passion pour la poésie, « le cœur atomique de la littérature, à ses yeux ».
Hélène Zimme, c'est Fairy Tale, en 2017, avec un tout autre parcours. « Ma littérature doit manquer de cœur », plaisante-t-elle en réponse à Cadiot : « Paul m’avait affirmé que je n’étais pas faite pour la poésie. » Elle avait découvert la structure comme stagiaire, en cette année 2010 où sortit Un mage en été.
Et puis, ce portrait impressionniste se conclut avec Lucie Rico : « Moi je n’ai jamais connu Paul. Je sortais d’un Master création littéraire. À 27 ans, j’avais un roman, et je l’ai envoyé chez P.O.L sur les conseils d’une amie [Hélène Zimmer, en l’occurrence, NdR]. Frédéric Boyer m’a laissé trois mois pour quelques modifications. » Et le livre Le chant du poulet sous vide fut en librairie… une semaine avant le premier confinement.
P.O.L ce sont des livres à la couverture typographique spécifique, dans une maison sans collection, que son fondateur voulait sans comité de lecture. Aujourd’hui, une vingtaine de manuscrits parviennent chaque jour. Pas de collections ? « Eh bien, Marguerite Duras s’était lancée : avec Outside, ce furent quatre titres qu’elle proposa », relève Jean-Paul Hirsch.
« Paul a considéré, avec le temps, qu’il “était seul à pouvoir faire ce choix de la publication, ‘contre les autres’. Déléguer les interrogations qui précédent la fabrication du livre, cela relevait de sa responsabilité. C’est prendre un risque, celui de donner à lire », note-t-il.
Et Frédéric Boyer d’appuyer : « L’éditeur n’est ni professeur ni juge ou rien d’autre. C’est un lecteur qui s’approprie un texte pour le défendre. Au départ, il y a cette prise de décision qui donne au métier la véritable excitation. »
Raison pour laquelle s’arrêta une autre tentative, Petit POL, pour les enfants de 2/6 ans. « Paul estimait que ses auteurs pouvaient écrire pour les plus jeunes. Mais, aujourd’hui, c’est un secteur spécifique, qui nécessite un véritablement engagement, en diffusion, en création. »
Même l’identité graphique des ouvrages revêt un caractère littéraire, tout en se gorgeant d’histoire et de symboles. Ces fameux points, si identifiables, ne doivent rien à une suspension ou une ponctuation. « Dans La vie mode d’emploi, de Perec, au chapitre 96, le narrateur dans son immeuble découvre, à un étage, des symboles. Ceux du jeu de go », rappelle Frédéric Boyer. Le roman date de 1978, à l'époque de Hachette POL.
« Cette disposition des pions symbolise l’éternité, dans une figure de la position parfaite. C’est un hommage, un ancrage. » Depuis 92, moins d’une dizaine d’années après la création, intervint le changement du papier de couverture — depuis immuable.
Et oui, il existe bien des formats de livres, petits, moyens, gros, mais sans cette idée de distinguer les contenus. « Nous publions des textes, avant tout », tranche Frédéric Boyer.
Alors, parfois P.O.L verse dans la traduction. « Pas dans un esprit de collection. Ces textes sont parfois issus de ce que nos auteurs reprennent des ouvrages dont ils n’avaient pas aimé la traduction qu’ils avaient lue », souligne Frédéric Boyer.
On garde une ligne directrice simple : « Il bien plus enthousiasmant de proposer un premier roman et de voir une œuvre s’accomplir chez nous. Avec parfois le sentiment d’y participer », continue-t-il. Alors, oui, diplomatiquement, il est parfois plus difficile de refuser un auteur de renom. Comment faire ? « Par lettre », ajoute-t-il avec un sourire.
Et Jean-Paul Hirsch insiste : la maison n’a jamais regretté d’avoir refusé un roman qui aura connu, ailleurs, un grand succès. « Paul n’a regretté qu’une fois d’avoir demandé un avis sur un manuscrit. On le lui a déconseillé… C’était Jean Echenoz. Paul en était très malheureux et depuis, ils sont devenus amis. »
Avant de conclure : « Chez P.O.L, on prend la littérature au sérieux, mais on ne se prend pas au sérieux. »
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 (de gauche à droite : Hélène Zimmer, Lucie Rico, Frédéric Boyer, Olivier Cadiot, Nicolas Fargues, Christine Montalbetti, Emmanuelle Bayamack-Tam, Marie Darrieussecq et Jean-Paul Hirsch)
DOSSIER - La Comédie du livre 2023 : 10 jours de lectures à Montpellier
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 01/01/1997
158 pages
P.O.L
15,20 €
Paru le 24/01/2019
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