Créé en début d'année 2023, le podcast littéraire « Oublieuse Postérité » remet en lumière des œuvres - principalement des romans et récits - ainsi que des écrivains oubliés, des années 1920 au années 1970. Les épisodes se consacrent à un livre et paraissent de manière bimensuelle le 1er et 3e mercredi du mois. Exploration au cœur de « l' abîme de l'oubli ».
Le 13/03/2023 à 15:17 par Zoé Picard
1 Réactions | 362 Partages
Publié le :
13/03/2023 à 15:17
1
Commentaires
362
Partages
ActuaLitté : Pourquoi dans ce podcast, être devenu un narrateur anonyme ?
Oublieuse Postérité : Pour diverses raisons, la première concerne le lien entre l’écrivain dont l’œuvre est
présentée et le « critique ». Il ne s’agit pas avec ce podcast de projeter une lumière douteuse sur moi-même mais le plus possible sur un livre. Toute sollicitation externe détournant du cas d’étude est réduite à son inévitable manifestation : la voix, la pensée et le montage. Toute autre mise en scène serait pour l’heure une vanité parasitaire.
Par ailleurs, le recours à un narrateur anonyme qui, par les quelques aspects romanesques disséminés dans certains épisodes, semble mener sa propre aventure, créé une dimension intermédiaire entre l’œuvre et moi-même. Dans cette dimension, je suis libre de mener diverses investigations, changer de focalisation, construire une sorte d’aventure, bref de m’inféoder à la mise en scène frugale que j’évoquais un peu plus tôt. Cela, pour devenir « l’oublieuse postérité » pour conduire l’examen critique de ses propres mécanismes.
Il n’y a pas encore assez d’épisodes pour appeler à de grandes révoltes. Mais l’idée d’une postérité personnifiée malmenée, lentement prise de doute, laisse au podcast de grandes étendues de réflexion et de narration. Elle revient sur ses choix et révise ses jugements, peut-être trop hâtifs.
Pourquoi avoir privilégié, dans votre écriture, l’exigence à la vulgarisation, plus commune sur internet ?
Oublieuse Postérité : Je crois que pour ce projet – réévaluer des auteurs oubliés, remodeler la postérité – la vulgarisation aurait été inefficace dans un premier temps. Pour qu’il y ait vulgarisation il faut qu’il y ait au préalable sacralisation. Il faut que la statue pèse, qu’elle soit peu ou prou indéboulonnable, qu’elle impressionne. Or, les auteurs et les livres que je cite - qui ont connu pour la plupart une chaleureuse réception critique en leur temps, parfois unanime, souvent enthousiaste - sont de petites figurines à l’ombre de ces statues.
Il m’a semblé naturel, humblement bien sûr, de démultiplier leur matière, de les faire croître en les tirant de leur relatif oubli pour qu’en nos bibliothèques ils pèsent aussi lourds que leurs illustres voisins. C’est une fois leur place dans une hypothétique histoire littéraire réévaluée que viendra peut-être le temps de la vulgarisation.
Vous vous concentrez sur des œuvres parues entre 1920 et 1970. Pourquoi ce choix ?
Oublieuse Postérité : Parce qu’il y a l’éclosion d’une littérature extrêmement novatrice à cette époque, curieuse de sa propre forme, libérée de certaines conventions mais aussi tragiquement repliée sur l’individu. Bien sûr, la première guerre mondiale est l’élément déclencheur. Le dadaïsme et le surréalisme éclosent, l’inquiétude et le protoexistantialisme s’emparent des lettres. La question « pourquoi ? » s’élargit de manière démesurée, tellement, qu’il devient peu à peu impossible - du moins dans un premier temps - pour les auteurs de trouver une réponse acceptable.
La seconde guerre mondiale renouvelle - l’expression est mal choisie - l’expérience
traumatique mais les écrivains ne sont plus dans l’incompréhension du premier désastre. La
colère, la révolte ou l’apathie dominent. C’est en partie à cause de ces évènements que la croissance intellectuelle et littéraire s’accélère à cette époque. Elle devient vertigineuse.
Ce n’est plus comme aux siècles précédents ou un sillon d’écriture semblait creusé jusqu’au dégoût. Désormais de multiples tranchées sont explorées en trois ou quatre décennies, abandonnées, réinvestiguées, laissées à l’agonie.
A partir des années 60-70 l’arrivée massive du postmodernisme, de l’autofiction, de l’ironie, du jeu et d’une certaine forme de nombrilisme abandonne plus la notion complexe de sincérité littéraire. Cela me paraît marquer une rupture très nette avec le demi-siècle précédent. En somme, les écrivains qui sont nés trop tard pour avoir éprouvé la tragédie guerrière en adulte - ou presque - m’intéressent moins pour ce podcast.
Comment avez-vous découvert Pierre Gascar, Robert Poulet, André de Richaud, Henri Calet et tous les autres auteurs que vous citez ?
Oublieuse Postérité : Pierre Gascar, dont Oublieuse Postérité traite dans son premier épisode, à propos du récit Le Temps des morts (1953), est le premier écrivain « oublié » que j’ai lu lorsque j’ai entamé ce cycle. Il est en quelque sorte ma boussole. Je l'ai découvert après avoir lu un roman de Kenzaburo Ôé (Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, 1996, Gallimard) dont, funeste hasard, nous apprenons la disparition aujourd’hui.
Tandis que je faisais de brèves recherches à propos de l’auteur, ce nom qui m’était inconnu est revenu plusieurs fois. L’auteur japonais répétait que Pierre Gascar, et notamment son recueil de nouvelles Les Bêtes (1953, prix Goncourt de la même année), avait été décisif dans la construction de sa pensée et de son œuvre.
Je me suis procuré le recueil (dans ma version, Le Temps des morts le complétait) et j’ai à mon tour été saisi par la puissance métaphorique du style de Pierre Gascar. C’est ensuite plutôt naturellement que j’ai continué mes recherches à propos de patronymes qui m’étaient méconnus. Je me suis enfin décidé à lire ces noms que je connaissais pour certains sans m’être jamais véritablement intéressé à eux, ce qui était le cas d’André de Richaud ou Henri Calet par exemple.
A l’égard du patrimoine littéraire, estimez-vous que la postérité soit une maîtresse infidèle ?
Oublieuse Postérité : Oui et non. J’estime qu’elle pourrait sembler infidèle car ayant abandonné des amants talentueux mais je crois bien plus qu’elle est parfaitement fidèle à un cortège réduit d’auteurs, et bien peu d’autrices. Ce que je lui reproche tient plus à la largeur de ses amours.
Elle nous assure avoir retenu les meilleurs écrivains pourtant j’ai la banale conviction que l’extrême maîtrise de l’art littéraire est bien plus partagée qu’elle voudrait nous le faire croire. Je pense que, mettant de côté quelques auteurs incroyables dont l’originalité est sans doute géniale (James Joyce, Arthur Rimbaud, Cormac McCarthy dont le dernier roman traduit par Serge Chauvin, Le Passager, est sorti cette année aux éditions de l'Olivier), beaucoup d’autres se valent peu ou prou.
Mais tous n’ont pas eu la même activité prosélyte ou au moins dogmatique en marge de leur pure activité littéraire. Tous n’ont pas non plus bénéficié du même soutien de la part de leur éditeur. Tous n’ont pas connu une destinée tragique ou éclatante en partie constitutive de leur légende.
D’une certaine manière la postérité semble figée mais je crois qu’il ne s’agit guère plus qu'une lutte d’influence à laquelle, modestement, nous pouvons prendre part. Beaucoup l’ont fait avant moi et continuent de le faire, notamment sur votre site avec Les Ensablés. Permettez-moi ici de remercier Monsieur Hervé Bel dont je retrouve inlassablement le nom à propos de ce continent immergé.
Qu’est-ce que ces auteurs oubliés ont de plus que les autres grands noms du 20e siècle ?
Oublieuse Postérité : Il m’est difficile de dire ce qu’ils ont de plus sans sombrer dans une forme d’égotisme mais je peux toutefois tenter d’expliquer ce qu’ils ont de singulier. Pour certains, dont Pierre Gascar, c’est avant tout un style, une langue, un renouvellement du rapport homme-nature-animal. On
pourrait appeler cela une pollinisation du verbe. Cette dernière permet donc la découverte d’images inédites à la lecture.
Pour André de Richaud, tout a trait à la mise en scène de la violence. Intérieure, complexe et ridiculement humaine, ce qui est somme toute plutôt russe en littérature. Elle est portée par une écriture qu’on dirait possédée par un expressionnisme hallucinatoire. Il est une sorte de maître dans la construction de scènes surréalistes, très visuelles et impressionnantes.
Pour Henri Calet, c’est un ton très personnel et rare. Cette forme d’humilité qui pourrait presque tendre vers le pathétique… Je mets Robert Poulet de côté car ses écrits sont très irréguliers. Mais Handji, en partie à l’instar de certaines scènes d’André de Richaud, comporte des images totalement inédites – filles du roman de guerre et de la langue surréaliste.
En somme, c’est avant tout une proposition esthétique et/ou intellectuelle à la forte personnalité, une démarche originale qui permet de repousser les frontières connues de la littérature. Nous découvrons des sensations neuves, des réflexions auxquelles nous n’avions jamais songé, des personnages souvent allégoriques et uniques. Et ce à l’échelle d’un livre entier ou d’une œuvre plutôt que d’une phrase ou d’un chapitre. Voilà qui permet de croire que ce travail vaut celui des écrivains reconnus.
Le 20e siècle compte aussi de nombreuses femmes encore injustement oubliées. Qui seront
celles que vous aborderez dans vos prochains épisodes ?
Oublieuse Postérité : Tout à fait. Leur sort est encore plus radical que celui des hommes. Plus anonymes que les romanciers oubliés, les romancières oubliées. Pourtant, leurs écrits portent tous le sceau de la
même tentative de renouvellement du verbe ou de l’être. J’essayerai donc de travailler mieux encore à leur régénération. Catherine Colomb, Hélène Bessette, Claire Sainte-Soline, Dominique Rolin, Madeleine Bourdouxhe sont celles à propos desquelles j’ai prévu de faire un épisode, pour l’heure.
Le prochain épisode (15 mars) sera dédié au roman Le crime d’Alexandre Lenoir de l’auteur suisse Léon Bopp. Et celui d’après (5 avril), au récit Le métier des armes de l’auteur et aviateur Jules Roy.
Crédits photo : Youtube
Par Zoé Picard
Contact : zp@actualitte.com
1 Commentaire
NAUWELAERS
14/03/2023 à 02:46
Dominique Rolin est encore connue pour une très mauvaise raison: avoir été répudiée par Philippe Sollers , à qui elle écrivit que sans lui elle s'en sortait très bien et vivait très heureuse dans une solitude féconde.
Elle l'écrivait peut-être pour s'en persuader elle-même...
Et je suis frappé par le quasi-oubli qui enlise le legs d'un écrivain autrefois immensément populaire malgré le mépris (injuste selon moi) d'une critique condescendante incapable d'apprécier son très grand talent de romancier palpitant.
Pas si loin d'un Simenon...
J'ai nommé Guy des Cars, que les petits marquis de la littérature portant aux nues le très ennuyeux Nouveau Roman avaient surnommé Guy des Gares !
Il faudrait le réhabiliter selon moi et remettre certaines pendules détraquées à l'heure.
CHRISTIAN NAUWELAERS