À l'occasion de la sortie de la collection La Petite Littéraire, Alain David, éditeur chez Futuropolis, est revenu pour ActuaLitté sur la création de ces nouveaux romans illustrés. Volonté d'un prix abordable, travail avec des auteurs et dessinateurs talentueux et apport d'un éclairage dessiné à des titres reconnus : Futuropolis publiera, pour cette nouvelle collection, environ deux titres par an.
Le 10/03/2022 à 12:13 par Clémence Leboucher
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10/03/2022 à 12:13
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Les deux premières publications, des traductions, proviennent de la maison Feltrinelli, en Italie : Le Poids du papillon, d’Erri De Luca, illustré par Andrea Serio, dans une traduction de Danièle Valin ; L’Ami retrouvé de Fred Uhlman, illustré par Manuele Fior, dans une traduction de Léo Lack. Les deux titres seront disponibles en librairies le 23 mars.
ActuaLitté : Pouvez-vous rappeler votre parcours, et votre arrivée en tant qu’éditeur chez Futuropolis ?
Alain David : Je travaille dans la bande dessinée depuis plus de 30 ans, et je suis cofondateur des éditions Rackham. J'ai ensuite travaillé en freelance, pour Casterman notamment. Il y a 15 ou 16 ans, je suis arrivée chez Futuropolis, et depuis, toutes mes activités sont ici.
Comment est née l’idée de la collection La Petite Littéraire ?
Alain David : C'est un alignement de planètes. J'ai toujours aimé les livres illustrés : on a par exemple publié en 2014 La Promesse de l'Aube, de Romain Gary, avec une illustration de Joann Sfar. Mais ce sont toujours des livres chers, peu accessibles pour le grand public.
J'étais en contact avec les éditions Feltrinelli pour la bande dessinée, et je suis tombé sur ces deux livres illustrés par deux dessinateurs avec qui nous avons déjà travaillé : Manuele Fior (La Vie devant soi, Les Variations d’Orsay) et Andrea Serio pour Rhapsodie en bleu. Ce sont deux dessinateurs italiens, très talentueux. En plus de cela, on venait d'éditer L'heure H avec Erri de Luca, une bande dessinée publiée en 2021.
On avait un super casting, qui faisait partie de l'esprit de Futuropolis : autant profiter de cette opportunité pour faire une collection à notre image. De plus, Le Poids du papillon et L'Ami Retrouvé sont de très beaux textes, poétiques et à portée de tous.
En quoi la sortie de La Petite Littéraire constitue-t-elle une suite aux autres collections de Futuropolis ?
Alain David : C'est sûr, c'est une suite logique. Notre maison-mère, c'est Gallimard : la littérature n’est jamais loin. Nous aimons les livres, les beaux textes, les beaux dessins...
Cette collection se rapporte vraiment à l'ADN de Futuropolis, qui en 1988 avait commencé à faire des livres illustrés avec Gallimard [comme Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, illustré par Jacques Tardi, NdR].
En parlant de Gallimard, les livres de La Petite Littéraire viendront-ils seulement de votre maison-mère ?
Alain David : Pour les livres illustrés, oui, parce qu’il y a un choix immense. Il est toutefois arrivé qu'en bande dessinée, les auteurs veuillent adapter des romans qui ne viennent pas toujours du catalogue Gallimard. Pour La Petite Littéraire, on va quand même essayer de ne pas se compliquer la vie.
Quel est, selon vous, le rôle de ces illustrations dans de tels livres ? Qu'apportent-elles au texte brut ?
Alain David : C'est un véritable éclairage, une sensibilité. Pour Le Poids du Papillon, par exemple, ça amène une certaine poésie. C’est déjà un livre, qui par son sujet, est dur, très politique, très imagé. Après, je pense que faire un livre illustré permet à un lecteur qui ne le connaît pas de rentrer plus facilement dans un texte.
C'est la même chose pour L'Ami Retrouvé : pour une grande partie de lecteurs, mettre en image un texte permet de se représenter plus facilement ce qui est raconté. Prenez Jules Verne : tous ses livres ne sont pas illustrés, mais la majorité l'est. On n’imagine pas du Jules verne sans une image, une illustration en tête. L’apport d’un auteur ou d’un dessinateur n’est jamais anodin ... J’aime à le penser, en tout cas.
Finalement, le plus important ici, c'est le plaisir de l’illustration. La bande dessinée n’est pas de l’illustration : il y a un choix d’image, de cadrage. Côté presse, cela peut être très bien dessiné, mais c'est frustrant à long terme. A l'inverse, l'illustration d'un roman permet de poser les choses, de prendre le temps. C’est beau, c’est un beau métier !
Comment s'est effectué le choix des dessinateurs et illustrateurs ? Aviez-vous déjà une idée précise des illustrations à apporter à telle œuvre ?
Alain David : Pour les deux premiers exemplaires, ce sont les deux illustrateurs de l'édition italienne qui ont été choisis, avec les mêmes illustrations. Nous avons suivi la progression du récit de la même façon. Par contre, on a une petite différence pour Le Poids du Papillon : la nouvelle qui suit le texte original, Visite à un arbre, n'est pas la même en version italienne et française. J'ai donc demandé à Andrea Serio d'illustrer, en plus, cette dernière. Pour L'Ami Retrouvé, une illustration supplémentaire a été nécessaire pour être en adéquation avec le calibrage du texte. Il y a des petites adaptations.
Concernant les futures éditions, nous allons de toute façon travailler avec nos dessinateurs habituels, ceux qui ont le sens de l'illustration.
On note, pour L’Ami Retrouvé, des illustrations plus réalistes, plus proches de la réalité, tandis que pour Le Poids du Papillon, les dessins sont plus flous, plus brouillés ...
Alain David : Oui, ils ont deux styles de dessin très différents. Mais, même s'ils se sont adaptés à chacune des histoires - l'une en pleine nature, l'autre se déroulant en pleine montée en puissance du régime nazi -, ils n’ont pas trahi leur style pour ces illustrations.
Comment se passe la rémunération des auteurs et des illustrateurs ?
Alain David : Nous passons par Gallimard pour acheter les droits de traduction. Pour les dessinateurs, nous passons par Feltrinelli qui a les droits d’illustration. Inversement, si Feltrinelli veut, plus tard, traduire nos futures publications, il faudra passer par nous !
Les prochaines publications ne sont pas encore totalement établies, mais nous tablons sur 2 livres par an pour cette collection. Les illustrateurs doivent s'emparer du texte, ce sont eux qui choisiront.
Ces derniers vous donnent-ils une planche toute faite que vous intégrez au livre, ou bien s’adaptent-ils au texte selon leur envie ?
Alain David : On s’arrange, évidemment, pour que les illustrations ne soient pas toutes dans le même chapitre …. L'illustrateur est en possession du texte : il doit le sentir, et décider sur quelle scène s’arrêter. Ce ne sont pas toujours des illustrations d’action, ce sont parfois des sentiments, un moment précis de poésie.
Comment les écrivains originaux - Fred Uhlman et Erri de Luca - ou leurs ayant-droits perçoivent-ils ces nouvelles illustrations de leur texte ?
Alain David : Fred Uhlman est décédé [en 1985, NdR], c'est donc son agent américain qui a décidé. Pour Le Poids du Papillon, l'auteur et le dessinateur se sont peut-être rencontrés, je ne sais pas ? C'est une bonne question ! En tout cas, je pense qu'Erri de Luca a donné son accord avec joie.
Le prix est très bas pour des livres de ce genre (13,90€ et 14,90€). Où sont-ils fabriqués ?
Alain David : Effectivement, des livres illustrés comme L’Écume des jours montent vite dans les 35, voire 40 €. C'est pour cela qu'on essaie de faire attention : l’idée, c’est de pouvoir proposer un livre qui soit beau, accessible à tous, abordable, et éclairant. Ils sont fabriqués en France.
Nous connaissons le roman graphique, très en vogue aujourd'hui. Cette collection est-elle le signe d'un nouvel avènement du roman illustré, qui était quelque peu tombé en désuétude ?
Alain David : Je ne sais pas si c’est tombé en désuétude. C’est sûr, ce sont deux choses très différentes. Les romans illustrés ont toujours été des livres compliqués à faire, donc il n’y a pas grand monde qui se lance là-dedans. Je trouve qu'on en voit quand même pas mal dans les rayonnages. Je me souviens d'une édition magnifique, il y a deux ans, Des souris et des hommes de Steinbeck, illustrée par Rebecca Dautremer [aux éditions Tishina, NdR]. Le livre illustré est souvent lié à la littérature jeunesse, c’est sûr, comme l'Île au trésor, Peter Pan...
Je ne pense pas qu’il y ait un « retour de mode », mais la difficulté de ce genre de livre est de le faire rester en librairie. Il doit s’imposer suffisamment pour être une alternative au livre de poche. On le voit avec le roman classique : une fois que la version poche est sortie, le roman d’origine a tendance à disparaitre des rayonnages. L’objectif, c’est que si quelqu’un veut faire un beau cadeau, abordable, cette collection devienne la surprise rêvée.
Et puis, on reste sur la même chose : la BD et l’illustration, ce n'est pas pareil. On peut avoir des super dessinateurs de bande dessinée, mais au moment de la couverture, ce n’est pas vraiment ça. Pour l’illustration, c’est pareil, même si certains le font à merveille : regardez Loustal ! Il a fait une quinzaine de livres illustrés, et le public suit. Il y a un réel amour pour lui.
Pourquoi avoir choisi de faire de ces deux premiers ouvrages des romans illustrés, plutôt que des bandes dessinées ?
Alain David : Des BD, on en a déjà beaucoup. Un petit créneau s’est ouvert, on en a profité. C’est aussi un moyen de continuer à suivre les aventures des auteurs, qui aiment ça. Dans le cas de Manuele Fior, il m’a clairement dit « Je suis prêt à en faire d’autres. »
Ce n’est également pas le même investissement en temps : pour une bande dessinée, ça peut mettre un an, deux ans de travail. Proposer un travail d’illustration, suivant l’ambition du titre, c’est entre 2 et 6 mois maximum : ce n'est donc pas le même ordre de grandeur. Dans tous les cas, être dessinateur et illustrateur reste un métier compliqué, mal payé : il faut savoir gérer son temps.
Vous indiquez, dans la présentation de cette collection, le souci de la lisibilité et de l’accessibilité. Qu’entendez-vous par là ? Ces valeurs sont-elles prédominantes chez Futuropolis ?
Alain David : J’espère que c’est le cas, en tout cas ! Il y a un besoin de rappeler des choses, régulièrement. Bien sûr, on fait attention à tout. Ce qu’on veut dire par là, c’est qu’on a pris ces livres autant au sérieux que lorsqu'on fait de la bande dessinée. D'autant plus que nous n'aurons que trois romans illustrés dans notre catalogue cette année.
L'Ami Retrouvé est dans les programmes et les manuels scolaires, c'est un texte très utilisé par les écoles. On souhaite donc, aussi, faire profiter de ces illustrations aux enfants. Certes, on propose une plus belle version, avec des illustrations, mais il ne faut pas que ça devienne un livre de luxe.
Nous avons des titres qui se sont bien vendus, avec une pagination plus restreinte, comme La Promesse de l'Aube qui est un gros volume. Il est régulièrement utilisé comme « beau cadeau ». L'Ami Retrouvé est un roman culte : les gens aiment l'offrir. J'espère donc que les livres de La Petite Littéraire deviendront, eux aussi, de « beaux cadeaux » ... plus accessibles.
Propos recueillis le 24 février 2022
Crédits : Futuropolis
Par Clémence Leboucher
Contact : cl@actualitte.com
Paru le 23/03/2022
80 pages
Futuropolis Gallisol Editions
13,90 €
Paru le 23/03/2022
98 pages
Futuropolis Gallisol Editions
14,90 €
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