Les auteurs et les autrices de textes et d’images assurent la vitalité de tout un secteur culturel, puisqu’ils·elles sont à la base de la chaîne du livre. Ils·elles représentent l’un des principaux acteurs de l’industrie du livre, au même titre que les maisons d’édition, les imprimeurs, les diffuseurs, les libraires, les bibliothèques...
Florence Hinckel
En produisant des ouvrages raisonnés et éclairés, chacun de ces acteurs, à son niveau, participe à un monde meilleur. Mais la situation sociale des auteurs et des autrices reste largement méconnue.
Je tiens à mieux faire connaître cette situation, principalement en littérature jeunesse parce que c’est le secteur que je connais, par solidarité parce que je le peux, parce que j’ai cette voix possible, puisque j’ai la chance de faire partie de cette mince frange d’auteurs et d’autrices qui gagne bien sa vie, pour le moment... Mais aussi par anticipation puisque des réformes à venir risquent de nous impacter tous et toutes durement... sauf si l’on élève la voix pour qu’au contraire un véritable statut pour les auteur·rice·s voie le jour à cette occasion.
C’est un long article, assez pédagogique, mais que je juge indispensable justement parce qu’il fait la somme de ce que nous vivons au quotidien et qui nous épuise bien souvent, et parce qu’il résume les inquiétudes à venir. Je serais reconnaissante à tous les acteurs du monde du livre qui travaillent avec nous – éditeurs, éditrices, libraires, enseignant·e·s, bibliothécaires, gestionnaires, diffuseurs... — de prendre connaissance des responsabilités de chacun et chacune, listées en deuxième partie de cet article, afin que la population des auteurs et des autrices garde vitalité et créativité... et tout le secteur culturel du livre à sa suite.
Comment nous sommes rémunéré·e·s par les maisons d’édition
Pour chaque livre, l’auteur ou l’autrice signe un contrat avec sa maison d’édition. Il ou elle touche le plus souvent un à-valoir, versé en plusieurs fois, soit une avance sur les droits d’auteur qui lui seront versés dès l’année qui suit la parution. S’il·elle ne dépasse pas l’à-valoir, ce dernier lui reste acquis (mais défalqué sur les droits d’auteur qu’il·elle percevra ensuite sur l’ouvrage en question). Les droits d’auteur sont un pourcentage sur le prix de vente hors taxe fixé par l’éditeur. En France, la moyenne des pourcentages est de 10 %.
Mais en littérature jeunesse, pour des raisons historiques et culturelles (l’argument économique est souvent avancé aussi par les maisons d’édition, pour les albums dont la fabrication coûte cher), les pourcentages sont moindres. Ils sont de l’ordre de 5,2 % d’après le dernier baromètre SCAM /SGDL. À partager entre les auteur·rice·s des textes et des illustrations, en cas d’ouvrages illustrés. C’est presque moitié moins que la moyenne globale...
À signaler que, même sans raison économique valable, ce pourcentage reste toujours bas, en littérature jeunesse (romans non illustrés, par exemple).
Pour information, ces temps-ci, en littérature jeunesse, on considère comme étant un succès un ouvrage qui se vend à 10 000 exemplaires l’année, environ. Cela signifie que la grande majorité des ouvrages se vend moins. Je vous laisse à vos calculettes pour dégager une fourchette de revenus pour les auteurs et autrices jeunesse qui peuvent sortir une à deux nouveautés annuelles chacun·e, rarement davantage, leurs livres coûtant entre 3 et 17 euros, environ.
Rappelons enfin que les auteur·rice·s ne bénéficient pas d’un régime semblable à celui des intermittent·e·s qui, s’ils·elles ont fait suffisamment de cachets (étant ainsi considéré·e·s comme professionnel·le·s), voient leur précarité entre deux contrats compensée par l’assurance chômage. Rien de semblable pour les auteur·rice·s, et leur temps de création n’est en aucune façon rémunéré.
Certes nous percevons le plus souvent un à-valoir et davantage de droits d’auteur si nous dépassons l’à-valoir, mais actuellement cette avance est calculée par les maisons d’édition en anticipant sur les ventes à venir, à partir du premier tirage escompté, et rarement en fonction du temps de travail de l’auteur·rice, hélas.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Une population fragile et forte à la fois
On comprend avec ce petit préambule pourquoi 40 % des auteurs et autrices professionnel·le·s touchent moins que le SMIC, d’après une récente étude CNL/Ministère de la Culture. Certes, ce taux reflète des cas très différents : il y a par exemple des auteur·rice·s qui choisissent de ne pas faire de leur activité d’écriture ou de dessin un métier. C’est un à côté qu’ils ou elles souhaitent faire uniquement pour le plaisir avec une totale liberté financière. C’était mon choix pendant plusieurs années au début de ma carrière, je le comprends donc entièrement.
Mais il y a aussi tous ceux et toutes celles qui sont à l’orée du succès ou qui l’ont déjà rencontré et qui pourtant ne parviennent pas (ou plus) à exercer le métier d’auteur·rice à plein temps malgré leur grand désir, pour cause de revenus trop faibles.
Certes aucun·e auteur·rice, même exerçant à plein temps, ne va mourir de faim, comme j’ai pu le lire ça ou là dans certaines communications, et il serait indécent de nous comparer aux plus démuni·e·s de la société.... Nous sommes des professionnel·le·s qui avons le plus souvent fait des études, et qui avons de multiples compétences à notre arc. Nous avons très souvent démarré notre vie professionnelle avec un autre métier (en tout cas je parle là de la population de romancier·ère·s jeunesse que je connais le mieux, sans doute est-ce différent pour les illustrateur·rice·s ou les auteur·rice·s BD, par exemple).
Aujourd’hui, être auteur·rice nécessite des compétences de communication, de passation, administratives, fiscales, juridiques, de recherche d’informations, et bien d’autres encore qui seraient très utiles dans d’autres secteurs. Si un jour je ne parviens plus à vivre de ce métier, j’en trouverai un autre, moins intéressant sans aucun doute, mais je ne me laisserai pas mourir de faim, ne vous inquiétez pas pour moi. Inquiétez-vous cependant pour notre profession, et pour tous les romans de qualité qui ne seront pas écrits, et pour tous les magnifiques albums qui ne verront pas le jour.
Si la très grande majorité des auteur·rice·s se trouve en situation de ne plus pouvoir créer, et surtout de ne plus pouvoir le faire en prenant le temps qu’il faut,étranglé·e·s par les injustices, aberrations et trop grandes légèretés que je vais lister dans cet article, alors c’est tout un marché qui va se trouver fragilisé. Et tout un pan de la culture qui va se trouver en danger.
Quand j'étais professeuse des écoles, j'apprenais aux élèves à exercer chacun·e une responsabilité pour que le microcosme de la classe tourne correctement et que chacun·e y vive bien... (source : BDRP)
En tout premier lieu, il faut évoquer l’exception culturelle française, qui repose sur l’idée que la création culturelle ne constitue pas un bien marchand comme les autres et, par conséquent, que son commerce doit être protégé par certaines règles autres que celles de la seule loi de marché. L’exception culturelle est bien présente pour les autres acteurs de l’industrie du livre, mais qu’en est-il des auteur·rice·s ? Alors que la TVA du livre est à 5,5 %, les auteur·rice·s ont vu la TVA sur les droits d’auteur passer de 7 % à 10 % en 2013...
Ce n’est qu’un indice de plus qui illustre à quel point L’Etat ne nous considère pas, nous les auteur·rice·s, comme faisant partie intégrante de l’industrie du livre. Certes il nous aide via des bourses d’aide à la création, via les subventions accordées aux autres acteurs de cette industrie et dont nous bénéficions plus ou moins directement, mais cette vision biaisée de l’Etat, quels que soient les présidents qui se succèdent, se répercute de façon grave sur notre situation sociale et fiscale.
L’Etat s’occupe en effet peu de nos spécificités, il est avare en informations, et notre (absence de) statut ne rentre pas dans les clous. Nous sommes constamment confronté·e·s à un agent du Trésor public ou des impôts qui ne sait rien de notre cas spécifique. Même les comptables spécialisé·e·s dans les droits d’auteur ont du mal à dénicher les bonnes informations pour nous conseiller.
Notre rémunération en droits d’auteurs est très spécifique et le régime dont nous dépendons ne tient pas compte de cette spécificité. La mutation du régime des auteur·rice·s, via la réforme en cours, est l’occasion de définir un véritable statut pour qu’enfin nous soyons pris en compte dans notre singularité sociale et fiscale.
Petit tour d’horizon des points sur lesquels réfléchir pour définir un véritable statut d’auteur·rice :
Le plan du gouvernement – le saviez-vous ? —, est de supprimer les cotisations chômage et maladie pour les salarié·e·s. Cela se fera à l’automne. C’est la raison pour laquelle la CSG a été augmentée, car elle englobe désormais chômage et maladie. L’idée n’est pas bête en soi : la CSG touchant tout le monde et pas seulement les salarié·e·s, l’assiette est beaucoup plus large, ce qui permet à chacun·e de payer moins, et de voir son pouvoir d’achat augmenter.
Des compensations sont prévues pour les salarié·e·s de la fonction publique et les indépendant·e·s, qui ne sont pas concerné·e·s par les cotisations chômage et ont leur propre caisse maladie. Ces compensations sont connues et en train d’être mises en œuvre... mais pas pour les auteurs et les autrices... qui n’ont jamais eu jusque-là de cotisation chômage à payer puisqu’ils·elles n’en bénéficient pas.
Via la CSG, les auteurs et autrices contribuent donc désormais aussi au chômage, sans pouvoir en bénéficier... Une compensation a été promise aux associations d’auteurs à l’automne dernier, mais à ce jour, rien n’a été mis en place et nous en sentons déjà la perte nette.
Autre point fort de la réforme, celle sur la sécurité sociale des artistes-auteurs et autrices : actuellement une branche de la sécurité sociale, l’AGESSA, est dévolue aux écrivain·e·s, et une autre, la MDA, aux illustrateur·rice·s, or AGESSA et MDA vont voir le transfert des services collecteurs directement à l’URSSAF. L’AGESSA offrant un service peu satisfaisant (voir la liste des responsabilités à la fin de cet article), ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Mais le licenciement programmé de 80 % de ses salarié·e·s doit nous alerter, outre notre compassion pour ces salarié·e·s maltraité·e·s : avec moins de personnel, le service pourra-t-il être meilleur ? Il est permis d’en douter.
Avec moins de personnel, pourra-t-on espérer enfin une meilleure communication envers nous et envers tous les acteurs qui entourent notre profession ?
Avec cette fusion de l’AGESSA et de la MDA, un changement majeur va advenir : les assujetti·e·s (ceux et celles qui gagnent moins de 8 784 euros par an de droits d’auteur) cotiseront aussi pour la retraite dès le premier euro, comme les affilié·e·s. Jusque-là, ils ou elles cotisaient déjà pour le reste... mais sans bénéficier des droits associés. L’injustice était grande. On peut se réjouir si cette réforme leur permet enfin d’accumuler des points pour la retraite dès le début de leur activité, et il faut l’espérer puisque leur pouvoir d’achat va être très entamé. Mais, de façon très inquiétante, aucune garantie n’a été donnée à ce jour sur ce point.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Autre point : le rattachement de revenus provenant d’activités accessoires aux revenus d’activités artistiques doit être largement révisée et simplifiée dans le cadre de cette réforme du régime social des artistes auteurs et autrices. Que cela signifie-t-il exactement ? Qu’est-ce que cela va changer ? Aucune information à ce sujet.
Une réforme de la formation professionnelle continue est aussi annoncée par le gouvernement pour 2018. Les spécificités du droit d’auteur (absence de référence horaire pour l’acquisition du compte personnel formation, cotisation très majoritairement à la charge des auteurs…) seront-elles prises en compte ? Aucune information à ce sujet.
Notre retraite complémentaire va aussi être révisée (RAAP). Complémentaire, mais obligatoire. Personnellement, je trouve que ce système est très performant puisque financé à moitié par la Sofia. Voilà un avantage que nous ne devons pas perdre ! Mais certains sont étranglés par une trop forte cotisation. Dans quel sens va aller cette révision déjà entamée ? Aucune information à ce sujet.
Comme tout le monde, nous allons passer au prélèvement à la source des impôts. De par notre statut fiscal hybride (possibilité de déclarer en traitements et salaires donc d’être précomptés, ou de déclarer en BNC donc dispensés de précompte), comment sera calculé l’impôt prélevé ? Les diffuseurs se chargeront-ils du paiement ? Ou bien les auteurs seront-ils prélevés mensuellement sur la base de leurs revenus de l’année précédente ? Alors quid de l’irrégularité de leurs revenus ? Aucune information à ce sujet.
Tant de questions qui n’ont encore aucune réponse, pour une réforme en cours, déjà entamée...
Mais cette absence temporaire de réponses est l’occasion d’en donner de véritables, afin de créer un statut adapté à notre situation.
Elle est faible et difficile à s’approprier, mais elle existe néanmoins : nous avons le devoir de nous informer sur notre situation et nos droits.
Ce n’est certes pas aisé du tout. Comme dit plus haut, nous manquons cruellement d’informations et nous ne bénéficions pas d’un véritable statut ni d’un régime adapté, par conséquent il est très difficile de savoir quelles démarches entreprendre pour exercer en tant que professionnel·le. Les associations d’auteur·rice·s font ce qu’elles peuvent pour informer, mais elles sont limitées, et quand un·e auteur·rice publie son premier ouvrage, aucune maison d’édition ne va l’informer sur leur existence (ou sur toute autre façon de connaître ses droits, comme tout·e travailleur·se peut l’attendre).
Et, même quand nous parvenons à obtenir des informations, elles paraissent inappropriées à notre cas.
J’ai une pensée toute particulière pour les assujetti·e·s qui sontles grand·e·s oublié·e·s du système. Jusque-là ils·elles cotisaient sans que ça leur apporte quoi que ce soit.
La réforme aurait pu prévoir de ne plus faire payer de cotisations aux assujetti·e·s puisqu’ils et elles ne sont pas considérées comme des professionnelles et qu’ils et elles ne bénéficient pas des droits associés à ces cotisations. D’ailleurs les assujetti·e·s vivent en général d’un autre métier, ce qui est tout à fait normal vu le peu de revenus qu’ils·elles tirent de leur activité d’auteur. Mais l’inverse a été choisi : leur faire payer davantage de cotisations, autant que les affilié·e·s.
Cela signifie-t-il que les assujetti·e·s sont désormais aussi considéré·e·s comme des professionnel·le·s avec les droits afférents ? Avec moins de 8 784 euros de revenus par an ?
Quant aux affilié·e·s, c’est aussi difficile pour celles et ceux qui gagnent peu (une grosse majorité des affilié·e·s ne gagne pas plus de 20 000 euros par an, souvent beaucoup moins) ; les cotisations paraissent trop importantes. Certes, mais portons notre regard plus loin : nous payons déjà beaucoup moins de cotisations que la plupart des actifs·ive·s... parce que notre couverture sociale est faible. Heureusement que l’on paye au moins des cotisations maladie, par exemple, cela nous permet de recevoir des indemnités si on est malade, de profiter des congés maternité ou paternité ou adoption, et de participer aux remboursements sur les médicaments, et de services médicaux gratuits. C’est un droit que nous devons défendre.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Mais alors que l’on ne nous traite pas de saltimbanques.Nous payons des cotisations comme tous les professionnel·le·s, nous devrions donc bénéficier d’un statut de professionnel·le·s.
Il est important aussi, malgré notre isolement (heureusement réduit grâce aux réseaux sociaux, désormais), de nous informer sur ce que peut valoir notre travail, l’à-valoir et les taux de droits d’auteur que nous pouvons demander,suivant nos situations particulières (notoriété, ventes, etc.), afin de ne pas travailler au rabais. Je ne suis pas de celles qui considèrent que tous les auteurs et toutes les autrices ont le droit inaliénable de pouvoir vivre de leur travail, c’est impossible évidemment, je considère cependant que même si on vend peu il est légitime de ne pas se voir proposer des pourcentages irrespectueux de son travail, et lorsqu’on vend bien ses ouvrages et qu’on a un rythme de publication régulier (qui souvent nous amène à exercer notre métier à plein temps), il est légitime d’en dégager une rémunération décente.
Pour éviter tout malentendu, sachez que lorsque je parle des maisons d’édition je les dissocie des personnes avec qui nous travaillons sur nos textes ou images (travail que personnellement je juge passionnant et essentiel). Ce sont le plus souvent des salarié·e·s qui ont des prérogatives de salarié·e·s.
Les maisons d’édition, donc, ne doivent-elles pas prendre en compte nos difficultés sociales, si elles ne souhaitent pas que nous disparaissions totalement et elles avec nous ? Connaissent-elles la réalité sociale qui précarise tant d’auteurs et d’autrices, et qui font qu’ils·elles ont cette demande forte d’être mieux pris·e·s en compte ? Merci aux éditeurs et éditrices qui sont en train de lire cet article qui va les aider à être mieux informé·e·s sur ce que vivent celles et ceux avec qui ils·elles travaillent chaque jour.
Voici les points sur lesquels une discussion pourrait s’engager avec des effets bénéfiques sur la situation des auteurs et autrices largement décrite dans cet article (et donc sur l’ensemble de la chaîne du livre derrière eux·elles) :
C’est en discutant avec des éditeur·rice·s que j’ai appris la responsabilité des distributeurs, notamment à cause des coûts qu’ils imposeraient aux maisons d’édition... et qui se répercuteraient sur nos droits d’auteur. J’écoute toujours avec beaucoup d’attention les difficultés des maisons d’édition, je comprends très bien que nos droits d’auteur doivent être en rapport avec leur réalité économique, mais tout de même ce serait bien que nos droits d’auteur ne soient pas toujours considérés comme la variable d’ajustement...
C’est parce qu’actuellement en effet c’est bien le cas pourtant que je me vois contrainte d’évoquer ici la responsabilité des distributeurs. Il faut savoir que pour les auteur·rice·s, le fonctionnement des distributeurs est très opaque. Nous ne sommes en contact qu’avec les représentant·e·s (celles et ceux qui sont chargé·e·s de présenter les livres des maisons d’éditions dans les librairies, dans chaque région), mais jamais avec leur hiérarchie. Aussi j’aurais bien du mal à dégager la responsabilité réelle des distributeurs, ignorant presque tout de leur fonctionnement, leurs contraintes, etc... Je ne peux que constater que ce sont eux qui prennent la plus grosse part sur la vente d’un livre, et peut-être en effet y a-t-il là un effort à faire.
Pour mieux comprendre tout cela, nous gagnerions beaucoup, là aussi, à davantage de transparence, à des discussions entre maisons d’édition, distributeurs, auteur·rice·s. Une fois encore, tout le monde y gagnerait beaucoup si les auteur·rice·s étaient considéré·e·s pour ce qu’ils·elles sont : un acteur économique de l’industrie du livre avec qui il faut dialoguer. Tant que ce ne sera pas le cas, incompréhension et frustrations ne cesseront pas de s’immiscer dans nos relations professionnelles.
Des bâtons dans les roues pour travailler légalement, voire pour travailler tout court
Le plus souvent les rencontres scolaires se déroulent à merveille et sont l’aboutissement d’un très gros travail des élèves et des professeur·euse·s. Le tarif de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse pour ces rencontres est une aide non négligeable pour nous aider à améliorer notre revenu annuel (mon expérience m’a prouvé qu’il ne peut cependant s’agir que d’un revenu complémentaire, même en s’épuisant en multiples déplacements dans l’année ; il ne peut absolument pas se substituer à des pourcentages de droits d’auteur décents, d’autant moins que nous effectuons ainsi un travail de promotion des ouvrages).
Mais parfois, la partie administrative est beaucoup moins idyllique que les rencontres elles-mêmes.
Connaissez-vous une autre profession que la nôtre qui a besoin, incessamment, d’expliquer comment elle doit être rémunérée par ceux qui l’emploient ? Connaissez-vous une autre profession que ses employeurs incitent à travailler au noir, parce que ça les ennuie de faire les démarches légales/de s’informer/de prendre le temps/d’ajouter une case dans le logiciel pour lui assurer une couverture sociale satisfaisante ? Je parle de ces situations vécues plusieurs fois, autant en tant qu’affiliée au précompte que lorsque j’étais assujettie, quand on m’invite pour des rencontres scolaires. Et je suis loin d’être la seule.
Certain·e·s comptables d’établissements scolaires ou de collectivités refusent de s’inscrire à l’Agessa par ignorance ou manque de temps et donc enlèvent toute chance aux assujetti·e·s de se professionnaliser, et compliquent la vie des affilié·e·s au précompte (parfois même ces établissements choisissent au final de ne pas employer les auteurs ou autrices qui insistent pour travailler légalement...). Ces comptables et gestionnaires participent à la précarisation des auteurs et autrices en refusant de faire cet effort. Ils et elles les placent dans l’illégalité quand ils ou elles les emploient et les rémunèrent de la sorte, ainsi que la structure pour laquelle ils et elles travaillent.
Pourquoi sommes-nous confronté·e·s à une telle résistance face à notre droit de travailler et de travailler légalement ? Parce que ni l’Etat, ni l’Agessa, ni la Sécurité sociale ne fournissent une information suffisante sur notre statut à tous les acteurs qui traitent nos dossiers.
Et puis lorsque nous signalons à l’Agessa que nous avons été payé·e·s en brut quand nous aurions dû être payé·e·s en net (on peut le signaler quand on est affilié·e au précompte, lors de notre déclaration annuelle via un logiciel préhistorique qui nous en fait voir de toutes les couleurs), certes l’Agessa nous prélève à nous les cotisations non versées par le diffuseur (cela, ce n’est pas oublié), mais a-t-elle déjà contacté un diffuseur pour lui taper sur les doigts ? Pour lui rappeler la loi ? Pour récupérer la part contributive de 1,1 % obligatoire ?
Je n’ai jamais entendu parler d’une telle intervention, ce qui participe au sentiment d’impunité de certain·e·s comptables ou gestionnaires persuadé·e·s que ce sont les auteur·rice·s qui abusent en leur demandant du travail « en plus »...
Un droit de prêt qui nous passe trop souvent sous le nez
D’autres gestionnaires d’établissements scolaires omettent de déclarer à la Sofia les ouvrages achetés pour les CDI qui offrent au prêt plus de 50 % de leur fonds, ce qui fait perdre aux auteurs et autrices une rémunération importante : celle du droit de prêt. Leur argument : « on n’a pas le temps »... Les professeurs et professeuses documentalistes peuvent aussi faire cette déclaration, mais là aussi le manque d’information est criant : peu savent qu’ils ou elles peuvent/doivent le faire, et quelle en est la conséquence pour les auteurs et autrices s’ils ou elles ne le font pas. Toutes les informations peuvent être trouvées ici pour celles et ceux qui souhaitent s’informer.
Je tiens à préciser que beaucoup de comptables et gestionnaires ne nous opposent aucune difficulté. Je ne pointe pas toute une profession, loin de là, seulement des individus qui refusent de prendre en compte la situation sociale des auteurs et autrices, ou qui l’ignorent tout simplement.
Il faut faire la différence entre deux situations qui s’offrent à nous, auteurs et autrices :
— un ou une journaliste nous propose un article ou un passage à la radio ou à la télévision. C’est de la promotion pure qui peut nous offrir une belle visibilité et un accroissement des ventes. On ne demande évidemment aucune rémunération.
— un organisme/une association/une école nous demande d’intervenir pour mettre en valeur une manifestation ou un événement littéraire. Table ronde, ateliers, rencontres avec le public : c’est du travail, à destination d’un public précis et restreint en un lieu donné. Cela nécessite une expertise, une expérience, et c’est cela qui est recherché.
Cela requiert une rémunération, exactement comme pour tout professionnel qui fait une conférence, comme pour les hommes ou femmes politiques qui interviennent dans les grandes écoles, etc. Si à cette occasion on parle de nous dans les médias ou les réseaux sociaux c’est une plus value pour nous, mais aussi pour l’événement littéraire.
Parfois de gros organismes qui œuvrent pour la défense du livre et/ou des droits d’auteur proposent à des auteurs et des autrices jeunesse d’intervenir gratuitement dans le cadre d’événements littéraires, pour des ateliers ou des tables rondes, pensant que la visibilité que cela leur offrira, de par la notoriété de l’organisme en question, leur suffira... Or non, la visibilité promise reste collatérale et incertaine, et surtout ce n’est pas normal de nous demander de travailler sans rémunération.
Rendons hommage au Salon Livre Paris qui l’a bien compris et a choisi de rémunérer les auteurs et autrices suite au mouvement #PayeTonAuteur. Ce choix est emblématique. Merci à eux.
Rappelons que la plupart des organisateurs et organisatrices de salons du livre, les agences régionales du livre, les établissements scolaires, les professeurs et professeuses, les bibliothécaires font des pieds et des mains pour trouver les budgets afin de nous rémunérer au tarif de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, quand ils nous demandent d’intervenir. Je les remercie personnellement chaleureusement. Je salue à cette occasion les maisons d’édition qui parfois aident les organisateur·rice·s en payant le trajet ou l’hébergement des auteur·rice·s.
Nous sommes aussi les premiers et les premières, nous les auteurs et autrices, à défendre les librairies, à comprendre leurs difficultés, à participer aux opérations de crowfunding pour sauver l’une ou l’autre. La plupart de ces libraires sont fabuleux·ses et défendent nos ouvrages avec une vraie passion. Sans ces libraires, nous serions morts depuis longtemps, j’en suis sûre ! Pourtant beaucoup dégagent une marge de misère, quand ils en dégagent une. Bref, je suis de tout cœur avec les libraires !
Je ne comprends pas pour autant certaines librairies qui ne déclarent pas les ventes de nos ouvrages aux CDI qui proposent à l’emprunt plus de 50 % de leurs fonds. Ce faisant, elles omettent de verser les 6 % obligatoires de ces ventes à la SOFIA. Et c’est encore un manque à gagner important pour les auteurs et autrices, en droit de prêt notamment comme je l’ai expliqué plus haut. Pourtant, nous sommes tous et toutes dans le même bateau.
Que dire également des libraires qui demandent notre présence assidue lors de week-ends entiers, voire les soirées après nos journées de rencontres scolaires, ce sans rémunération (ce que nous acceptons quand nous bénéficions de rencontres rémunérées en amont), mais en plus sans nous accorder une seule ristourne sur les livres que nous leur achetons ? C’est symbolique, mais ça a son importance. Ces librairies ont-elles conscience de notre condition, autant que nous l’avons de la leur ?
Si nous n’avions pas conscience de leurs difficultés, jamais nous n’accepterions de passer autant de temps à faire des dédicaces gratuitement. Cela ne nous rapporte pas grand-chose, vu le faible pourcentage que nous avons sur la vente de chaque ouvrage, hormis le plaisir de rencontrer notre public. Nous le faisons pour les libraires, le plus souvent. Lorsque très visiblement certain·e·s ne le comprennent pas, ça fait un petit peu mal.
Vous êtes notre public, c’est grâce à vous qu’on vit, merci d’aimer nos livres à ce point, ça fait chaud au cœur ! Mais celles et ceux qui téléchargent gratuitement nos ouvrages sur le net se rendent-ils compte que cela ne rémunère en aucune façon notre travail et fragilise toute la chaîne du livre ? Que cela risque de faire disparaître ces livres qu’ils et elles aiment tant lire ? Que dire de celles et ceux qui proposent nos ouvrages aux sites de piratage, réclamant ensuite des remerciements en commentaires (cela, particulièrement, me laisse sans voix...) ?
Voilà toutes les petites et grandes choses qui, cumulées, nous rendent la vie difficile, voire très difficile pour certains et certaines, à cause d’une vision biaisée de la réalité sociale des auteurs et autrices jeunesse, dont peu d’acteurs du livre avec qui nous avons affaire ont conscience, car notre travail est souvent encensé (merci !), et la vitalité de la littérature jeunesse est souvent louée...
Si nous ne sommes pas vigilant·e·s tous et toutes ensemble, non seulement la condition des artistes-auteurs et autrices va se dégrader encore davantage, mais en plus l’ensemble des autres professions risque de s’y aligner peu à peu, puisque la tendance actuelle est de prendre le modèle le moins satisfaisant comme exemple ultime pour participer au redressement économique de la France... On ne peut laisser aucune profession dans cet état, c’est un devoir moral, civique et politique.
Si l’on veut préserver la vie culturelle de notre pays, il faut absolument que le statut social des auteurs et des autrices soit plus digne, que le régime dont ils·elles dépendent soit mieux adapté et davantage discuté et pris en compte. Demandons la création d’un statut spécifique. Ceci est l’affaire de tous et toutes.
Sous le mot d’ordre #auteursencolère, pour dialoguer sur l’avenir du statut social des auteurs et autrices, ainsi que sur les modèles économiques dans le secteur du livre, le 22 mai 2018 auront lieu les « États Généraux du Livre » à la Maison de la poésie à Paris (si vous aussi vous souhaitez que l’Etat nous prenne davantage en compte dans la réforme sociale et fiscale à venir, signez la pétition !).
Florence Hinckel, romancière
Je remercie la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, pour m’avoir fourni toutes les informations et les conseils nécessaires à la rédaction de cet article.
Je remercie toutes les associations et les syndicats d’auteurs qui se battent pour que la situation des auteurs et autrices s’améliore, et qui font un gros travail d’information qui ne leur est normalement pas dévolu, et ce avec très peu de moyens.
39 Commentaires
sb
07/05/2018 à 20:16
- Limiter la surproduction : donc est-ce que pour vous ça veut dire que certains auteurs ne devraient pas être publiés pour que vous, vous puissiez vivre de l'écriture ???
- une profession qui doit expliquer comment être rémunérée à ceux qui l'emploient : les assistantes maternelles je pense
- Pas normal de travailler sans être rémunéré ? Donc chaque fois qu'un professionnel vous fait un devis (plombier , artisan, électricien, garagiste ...) vous le rémunérez pour ce travail évidemment ^^
- Vous n'êtes pas rémunérée quand un journaliste fait un article sur vous ? Ce serait plutôt à vous de le rémunérer car c'est du travail pour lui et c'est vous qui en bénéficiez, non ?
Florence Hinckel
07/05/2018 à 23:51
Cher sb, point par point :
- Limiter la surproduction aiderait au contraire bien d’autres que moi et une poignée à vivre de l’écriture (parce que moi, ça va, je vis déjà de l’écriture, merci pour votre sollicitude).Quelques notions d’économie simples amènent rapidement à cette conclusion.
- j’ai employé des assistantes maternelles et j’ai eu toutes les infos nécessaires pour les rémunérer, infos que j’aurais recherché si je ne les avais pas obtenues facilement, parce que c’était mon rôle d’employeuse. Mais si d’autres professions connaissent les mêmes difficultés que nous, et c’est possible, je les soutiendrais.
- les auteurs et autrices font aussi des devis pour chacune de leurs interventions, sans être rémunéré·e·s, évidemment puisque ce n’est... qu’un devis.
- je pense que vous avez souhaité très fort me voir écrire l’inverse mais j’ai bien dit qu’il était normal de ne pas être rémunéré·e quand un journaliste fait un article sur ses livres. Heureuse que vous et moi soyons si attentifs aux conditions de travail des journalistes et de la presse.
Merci à part cela pour votre contribution si éclairée, renseignée, constructive, d’une bonne foi exemplaire, et qui prouve combien vous portez aux condtions de vie des auteurs et autrices une attention soutenue et bienveillante.
koinsky
08/05/2018 à 08:33
Perso, je suis sollicité par une maison d'édition de renom pour publier mon premier manuscrit, mais je me réserve le droit (si les négociations autour du contrat sont décevantes) de me tourner vers Amazone et sa plateforme de publication en ligne... Le temps est venu de nous faire respecter au même titre que les autres maillons de la chaîne du livre.
Thomas
08/05/2018 à 08:42
Que la vie serait plus simple si vous étiez salariés des maisons d'édition...
SophieLJ
09/05/2018 à 15:22
Plus simple mais aussi libre ?
koinsky
08/05/2018 à 10:15
Oui, et commencer déjà par doubler les droits d'auteur dès le premier exemplaire vendu (20 %), engagement sur un seul livre, cession des droits numériques limités à 10 ans (contre 70 pour le papier) ...
MDM
08/05/2018 à 11:12
Salariés de maisons d'édition, la panacée? Ça dépend comment!
Sachez que les lecteurs-correcteurs et les correcteurs sont des salariés des maisons d'édition... mais payés à la tâche, c'est-à-dire qu'ils vivent sur des montagnes russes avec des salaires extrêmement fluctuants et selon un tarif horaire dérisoire... Comme ils sont « salariés », ils payent des cotisations chômage mais n'ont droit à rien quand l'éditeur ne leur donne pas de travail. Ils sont en lutte depuis des mois pour l'amélioration de leur statut (mensualisation, droit au chômage, etc.). Solidarité avec les auteurs, évidemment, et convergence des luttes!
Bonne journée à tous.
LMMRM
08/05/2018 à 12:16
Stupéfiant (je parle des efforts contre-productivement déployés par l'auteur pour mettre toutes les marques — ou plutôt presque toutes les marques — de l'écriture inclusive). Contre-productivement, disions-nous, car la lecture est un peu cahotante et raboteuse.
Nous aimerions savoir si l'auteur fait de même dans ses livres pour enfant puisque c'est dès le plus jeune âge qu'il faut, selon certains, éduquer les citoyens à l'inclusivité.
Stupéfait.
Cela dit, article généreux et plein d'infos intéressantes.
Florence Hinckel
08/05/2018 à 12:33
Je reconnais que j’aurais pu simplifier mon texte en le rédigeant exclusivement au féminin puisqu’en littérature jeunesse les femmes sont majoritaires, mais j’ai fait l’effort d’inclure aussi nos collègues hommes : auteurs, éditeurs, enseignants etc..., désolée que cette inclusion masculine rende la lecture moins fluide mais c’est par souci de n’oublier personne. Sinon merci pour vos compliments !
Mona
09/05/2018 à 15:07
Votre article est superbe, claire et précis, il reprend tout ! Mais la dyslexique que je suis à beaucoup peiné pour arriver jusqu'au bout, et l'inclusion des sexe déborde malheureusement sur la lecture. Merci encore pour ce super article !
koinsky
08/05/2018 à 12:20
Je pensais à un monde de bisounours où les auteurs seraient salariés de leur maison d'édition à la fois en tant qu'auteurs (l'à valoir serait remplacé par un salaire mensuel qui les engagerait en contre partie à produire un certain nombre de pages par semaine ou par mois, à faire la réclame dans les festivals et autres salons). Mais ils toucheraient également des droits d'auteur. Solidarité avec les lecteurs-correcteurs sans lesquels mon manuscrit dormirait encore au fond de mon tiroir. ;)
MDM
08/05/2018 à 12:46
:-) :-) :-)
Mona
08/05/2018 à 12:21
Votre article est très bien (je suis également auteure jeunesse, illustratrice et auteure de BD) en revanche, je vous en pris, faite nous l'impasse sur l'écriture inclusive dont l'ortho-typographie hasardeuse rend plus que complexe et désagréable la lecture de cet article. Merci de penser au 6 à 8
Leo_Katz
08/05/2018 à 16:42
'les "autrices"': Dieu que c'est laid, et ridicule à souhait!
Lénon
09/05/2018 à 12:32
Les actrices, mon dieu que c'est laid et ridicule à souhait...
Non ? On a dû s'y faire, il faut croire.
Les intéressants travaux d'Aurore Evain montrent que ce mot est d'un usage ancien, et qu'il n'a pas innocemment été mis au placard. Lire l'article ici : http://correcteurs.blog.lemonde.fr/files/2012/10/Histoire-dautrice-A_-Evain.pdf
Par ailleurs, merci à l'autrice de cet article.
LMMRM
09/05/2018 à 15:50
— À Lénon.
Le mot «autrice» me choque également, m'indispose; je serais né avec il ne me choquerait probablement pas. Il ne choquera pas un enfant qui connaîtrait le mot «auteur» et à qui on apprendrait que le féminin est «autrice».
Le mot a beau être ancien, il aurait beau avoir été utilisé par les meilleurs auteurs, il me choquerait quand même; peu importe qu'il soit correctement formé; et peu importe également que l'Académie, Larousse et Robert l'avalisent.
Comme on dit, ce sera sans moi, qui trouve qu'il est artificiel, forcé, inindispensable, un peu risible, et qui évite son utilisation.
Il m'agrée si peu qu'il ne me déplaira pas — l'idée m'en vient soudain — de m'en moquer en inventant la graphie «autrisse», qui fera connaître implicitement à mon lecteur ce que j'en pense et, comble de sournoiserie, ce sera sans guillemets ni italique.
Lénon
09/05/2018 à 16:13
Ma foi, les goûts et les couleurs... mais si vous vous épargnez la peine -un peu rageuse, il me semble- de l'orthographier de façon grinçante, il vous importunera peut-être moins à l'avenir.
Moi aussi, les premières fois, il crissait à mon oreille. C'est pour ça que j'ai découvert le travail de cette historienne. C'est justement à cause des raisons historiques - et fort politiques - qui l'enterrèrent ou tentèrent de l'enterrer en leur temps que je l'utilise aujourd'hui avec grand plaisir. L'égalité est aussi dans la langue française, une langue vivante qui évolue avec ses locutrices, et même ses locuteurs.
Avez-vous lu ou parcouru l'article d'Aurore Evain ?
LMMRM
09/05/2018 à 18:22
— À Lénon
C'est bien une question de goût et de sensibilité, mais aussi plus que ça. En tout état de cause, le mot ne me plaît pas, j'ai envie de m'en moquer, je suis loin de m'en cacher.
J'ajouterai pour finir que «auteur» a une aura riche et méliorative, «gratifiante», comme auraient dit il y a encore quelques années les gens à la mode (les mêmes gens qui apprécient «autrice» aujourd'hui?*), mais «autrice» n'a pas d'autre aura que celle de la militance féministe, parfois brouillonne, il n'a pas de connotations riches de culture, et on peut comprendre que certaines femmes préfèrent l'appellation «auteur». Idem pour «le secrétaire perpétuel de l'Académie» (plutôt que «la»), que préfère la sémillante et sympathique Mme d'Encausse.
L'ancien sens d'«autrice» semble d'ailleurs avoir une aura péjorative si je m'en tiens à l'exemple donné par Charles Pougens dans son «Archéologie française, ou Vocabulaire de mots anciens tombés en désuétude et propres à être restitués au langage moderne»**, t. I p. 42-43.
* Je plaisante, bien sûr.
** Téléchargeable ici sur Gallica.bnf.fr : http://bit.ly/2yZKcXb
Florence Hinckel
09/05/2018 à 20:23
Lire ici pour trouver toutes les références qui passionneront tous ceux et toutes celles qui s’ intéressent à ce mot : http://florencehinckel.com/tranche-de-vie-2-moi-autrice/
Des recherches universitaires pour savoir de quoi on parle. Spoiler : le titre d’aucune de ces recherches n’est « esthétique et aura », mais j’avoue que ça aurait de la gueule.
Lénon
09/05/2018 à 22:32
Bien envoyé. Merci pour cet article aussi, il n'y a pas que des pdf de 9 pages sur le sujet en effet.
Florence Hinckel
10/05/2018 à 07:11
Merci aussi Lenon pour votre vigilance et vos réponses. On voit qu’il faut encore faire preuve de pédagogie, dans ce domaine aussi. La France est quand même un pays sacrément en retard sur bien des notions intellectuelles importantes.
Lénon
09/05/2018 à 22:09
L'astérisque "je plaisante" était valable pour la phrase entière, j'imagine ? Il eût peut-être mieux valu la placer en fin de paragraphe ?
On peut toutefois imaginer qu'autrice, en 2018 et au vu de l'histoire de ce terme (utilisé dès l'Antiquité, puis vilipend afin d'invisibiliser les femmes téméraires qui se risquaient à des activités considérées comme masculines) ait quelque connotation féministe, ou en tous cas égalitaire. Cela contribue, en ce qui me concerne, à lui donner un bel attrait.
Merci pour le lien vers Charles Pougens, et sa page 42 "autrice : celle qui est la première cause de quelque chose". Je n'ai pas trouvé l'exemple péjoratif (Brantôme?), bien qu'il cite Tertullien, auteur cité également, à côté de Saint Augustin, dès le début de l'étude d'Aurore Evain qui fourmille d'emplois nullement péjoratifs - du moins avant le IVeme siècle.
Mais je ne paraphraserai pas l'autrice de ces lignes, qui dresse un tableau passionnant de cette querelle auteur/autrice (notamment au XVIIeme) en seulement 9 pages. je remets donc le lien : http://correcteurs.blog.lemonde.fr/files/2012/10/Histoire-dautrice-A_-Evain.pdf
Louise Michel
08/05/2018 à 17:08
Sans auteur, sans traducteur, sans lecteur-correcteur, sans correcteur, le livre ne sort pas… Qu'on se le dise !
Sans actionnaires, tout va mieux :-)
Solidarité avec les auteurs et convergence des luttes !
Florence Guiraud
09/05/2018 à 10:13
Chère Florence
Je te remercie et te félicite pour cet article à la fois complet, instructif et parfaitement réaliste sur notre situation d'auteur et d'illustrateur.
Amicalement
BibiJeanbi
09/05/2018 à 12:33
Bonjour,
j'avais écrit une longue réponse à ce texte que je trouve mauvais et larmoyant, car il mélange beaucuop de choses, n'affronte pas vraiment la question du lien éditeurs/auteurs et surtout, fait la preuve que son auteur n'a pas compris la nature de son activité. Elle ne travaile pas, au sens éconopmique du terme, elle crée de la propriété. Et cela fausse tout le reste de sa démonstration. Si elle souhaite "travailler", cela a déjà été dit, il faut s'interroger sur le lien qui unit maison d'édition et auteurs, comme pour les traducteurs. Sinon, on parle dans le vide. Dire qu'un auteur est un travailleur dans la situation actuelle française est une aberration.
Je passe les très (trop ?) nombreux paradoxes. Mais une chose quand même : si c'est si dur, compliqué, que vous êtes si seule, pourquoi ne pas passer par un agent littéraire ? Je vous renvoi vers ce billet de blog de Samantha Bailly qui a déjà quelques années : https://blogs.mediapart.fr/samantha-bailly/blog/170316/pourquoi-je-suis-desormais-representee-par-un-agent-litteraire
ou
https://www.actualitte.com/article/tribunes/samantha-bailly-pourquoi-j-ai-choisi-de-travailler-avec-un-agent-litteraire/70901
qui est pourtant également auteur jeunesse.
De nombreuses choses sont écrites et dites sur ce sujet depuis de nombreuses années. Des expériences, des mutations du droits d'auteurs (curieux de connaîte l'avis de l'auteur du texte sur les autoédités ? sur les écrivains sous libre diffusion ?) sont en cours et cela n'est évoqué nulle part dans ce texte. Ce que je lis en filigranne, c'est une liste de récriminations, sans s'attaquer au problème de fond, à savoir la relation auteur/éditeur avant toute chose (ce qu'a courageusement fait Samantha Bailly, au moins sur la remise en cause).
Très très agaçant.
Florence Hinckel
09/05/2018 à 14:12
Bonjour, merci pour votre réaction. Vous aurez du mal à mettre en opposition Samantha et moi (elle est aussi présidente de la Charte, m’a demandé ce texte pour la Charte et m’a conseillé pour l’écrire), car même avec un agent j’aurais pu écrire le même article, c’est juste un intermédiaire de plus. Le désaccord majeur avec vous c’est que je nous considère bien comme des travailleurs et c’est bien là la clé de mon article. Les auteurs et autrices travaillent bien au sens économique, pour percevoir des droits d’auteur certes mais aussi pour permettre à toute une industrie d’exister. Sans auteurs, pas de livres.... Le problème des traducteurs que vous évoquez très justement est exactement le même en effet, car ils sont considérés comme des auteurs.. Et tant que nous ne serons pas perçus comme une force économique (nous produisons des oeuvres qui elles-mêmes produisent des revenus qui font vivre toute la chaine du livre dont je liste les responsabilités), nous serons considérés comme une variable d’ajustement facile. Pourquoi serait-ce une aberration de dire que l’auteur travaille au même titre qu’un autre maillon de la chaîne ? Ce sont ses livres qui font travailler et vivre toute l’industrie du livre. C’est dire le contraire que je trouve aberrant vu tout ce qui repose sur nous à la suite de notre travail. Ma tribune invite à la réflexion sur une mutation de notre statut, et pourquoi pas de nos droits d’auteur, en posant le constat et les problématiques de départ, via les difficultés que vivent les auteurs et les autrices au quotidien dont nous ne cessons de parler entre nous, qu’on ait un agent ou pas (on est sur la même planète) : vous voyez que je ne me sens pas seule du tout, et cette tribune n’est pas le reflet de ma seule pensée (ni le reflet de mes plaintes, car je ne cesse de répéter que je ne suis pas à plaindre, moi, et que j’écris ce type de texte beaucoup par solidarité, et pour amener la réflexion, et surtout le dialogue avec les autres acteurs de l’industrie du livre).
vincent godeau
09/05/2018 à 13:08
Super article, très complet, clair et instructif, même pour un illustrateur professionnel connaissant déjà en parti ces données.
merci
Effectivement il me semble que la surproduction est un vrai problème. Il semblerait que certains éditeurs font le choix (car plus rentable?) de sortir une flopée de livres, sans prendre le risque de gros tirages, plutôt que de croire et pousser vraiment une sélection de livre en lesquels ils croient vraiment.
Certains libraires semblent également perplexes devant cette quantité de livres qui sortent sans cesse
Bibijeanbi
09/05/2018 à 13:30
La surproduction est un problème ? On en peut pas se dire défendre la diversité culturelle est trouver que la surproduction soit un souci. Ça aussi, c'est un gros paradoxe.
De plus, tous les auteurs sont les surproduits d'un autre. On fait comment pour choisir ? On édite une carte d'artiste d'Etat comme la Tunisie de Ben Ali ? On laisse les lecteurs choisir au risque de formater la production ? Vous comptez faire comment ? Parceque je crois bien que ni Florence, ni Vincent, ni qui que ce soit ne se sente comme un auteur favorisant la surproduction ? Et quand bien même : en quoi empêcher des auteurs de sortir leurs livres va-t-il les aider à manger ? Non mais sérieusement ...
Florence Hinckel
09/05/2018 à 14:55
Cher Bibijeanbi, ce serait plus facile de vous répondre si vous me disiez qui vous êtes : libraire ? éditeur ? auteur ? Quoi qu'il en soit, si, bien sûr il y a des années où j'ai participé à la surproduction, je l'ai favorisée et j'aurais aimé avoir la possibilité de produire moins. La diversité culturelle ne gagne absolument rien à cette surproduction, au contraire, elle ne laisse émerger que peu d'ouvrages, car peu sont réellement défendus par les ME qui d'ailleurs prennent de moins en moins de risques, publiant des ouvrages plus formatés dans l'espoir qu'ils sortent du lot. La diversité culturelle en pâtit beaucoup. Ce que je constate par ailleurs, surtout, c'est que cette critique de la surproduction fait peur à certains auteurs et certaines autrices, craignant ne plus être publié·e·s si on la réduisait. Ce n'est pas ce qui se passerait, j'en suis sûre, autant seraient publiés, mais chacun·e pourrait se permettre de prendre davantage le temps de créer. Et enfin certains ouvrages qui ne servent que de chair à office pourraient éviter d'être publiés... Ainsi avec moins de concurrence (souvent ce sont les mêmes auteurs qui s'autoconcurrencent avec plusieurs sorties dans l'année), les ouvrages se vendraient mieux individuellement, les droits d'auteur augmenteraient mécaniquement et donc oui les auteurs et autrices vivraient mieux. Sérieusement.
vincent godeau
09/05/2018 à 14:01
J'aurai tendance à prendre ce "problème" dans l'autre sens.
Peut être qu'une économie plus saine peut solutionner ce problème? Il ne s'agit pas de faire de la censure. Simplement choisir les projets en lesquels on croit vraiment (c'est valable tant du point de vue des auteurs que des éditeurs)
Si les auteurs étaient payés plus convenablement (
Berthe
09/05/2018 à 14:52
Effectivement, je ne m'explique pas pourquoi et comment dans un monde informatisé depuis longtemps maintenant, il n'existe pas de plateforme pour connaitre en temps réel le nombre d'exemplaires vendus (sans nous rabattre les oreilles avec les 30
Cédric
09/05/2018 à 16:41
Malgré que, part certains aspects, cet article reste un poil complexe, il en demeure très intéressant. Merci. Et oui, comme toujours, c'est le créateur qui est désavantagé. Et il semble culturellement admis que travailler par plaisir n'ouvre pas le droit à rémunération. Il faut que le travail soit difficile et peu épanouissant pour être considéré comme du travail. Et si en plus vous fabriquez du loisir ou de la culture, il est presque indécent de demander rémunération et reconnaissance. Et oui, produire du "plaisir" ne demande par d'effort, semble-t-il...
Cela dit, tous les corps sociaux-professionnels critiquent les autres : les artisans critiques les fonctionnaires, qui critiquent les cheminots, qui critiquent les députés, qui critiquent les artistes, qui critiques les chefs d'entreprises, qui critiquent les ouvriers, qui critiquent les banquiers, qui critiquent les avocats qui critiques les artisans, etc.
Cela dit, les auteurs ont cette chance d'être, à l’unanimité, critiqués par l'ensemble des travailleurs. Il semble normal qu'ils ne soient pas rémunérés (à combien de débats est-ce que j'ai assisté sur la perception de ces auteurs de bande-dessinées qui ne créent jamais mieux que dans la précarité ? Si si !!...)
Des premières pistes de sortie de l'obscurité : rendre public, pour chaque partie, les comptes des distributeurs et diffuseurs ? Taxer les bénéfices pour rémunérer les auteurs à la manière de la SACEM ? Baisser la TVA à 2,1% et affecter la différence aux auteurs ? Obliger les maisons d'édition à employer les auteurs sous la forme d'un CDDU, avec en plus une rémunération sur ventes ?
LMMRM
10/05/2018 à 00:19
— À Lénon et à Florence Hinckel.
Trop de casseroles sur le feu et de bouilloires qui sifflent: je n'avais pas prévu que cette discussion serait si longue, mais je crois avoir dit l'essentiel.
Je développerai peut-être plus tard (ici ou sur mon propre site) ma vision de «l'affaire autrice», mais avant il faut que je lise ce dense PDF de neuf pages et l'article auquel renvoie Florence Hinckel, et là le temps me manque et pour lire et pour vous répondre.
De plus, répondre à une personne est en général assez faisable, mais avec deux ça demande une disponibilité et une résistance au tournis (et au vertige) que je n'ai pas pour le moment.
Deux articles à lire plus deux réponses à faire, ça fait quand même quatre casseroles (si j'ose dire).
Peut-être à plus tard ici ou sur le site de Florence Hinckel si je peux y laisser des commentaires.
LMMRM
10/05/2018 à 12:08
— À Lénon et à Florence Hinckel
[Citation] «Les intéressants travaux d'Aurore Evain montrent que ce mot est d'un usage ancien, et qu'il n'a pas innocemment été mis au placard.» [Fin de citation]
J'y pensais en faisant mon repassage: n'y a-t-il pas un peu de paranoïa («pas innocemment») là-dedans?
En effet, on pourrait renverser le raisonnement: des hommes qui aujourd'hui considéreraient les femmes comme leurs égales leur diraient: «A travail égal, appellation égale» ou «Ce terme n'est pas notre propriété exclusive, continuons à le partager» ou «Profitez de ses connotations mélioratives, de son prestige, mais libre à vous de vous trouver un terme spécifique et libre à nous aussi, si vous le voulez bien, de trouver "autrice", "auteure" et "auteuse" un brin farce; en tout cas, mesdames, vous ne pourrez interroger Mme de Staël ni Simone de Beauvoir — ni tant d'autres — pour savoir quel terme elles préféreraient qu'on emploie pour parler d'elles aujourd'hui; enfin vous voudrez bien mettre à disposition publique un registre qui indiquera à chacun et à chacune comment il pourra vous appeler sans risquer de vous froisser (auteur, auteure, auteuse ou autrice?)».
Ça, ce serait un peu ma position.
Des hommes qui considéreraient les femmes comme des êtres inférieurs ou méprisables leur diraient: «Femmes, nous ne voulons pas que vous appeliez auteurs comme nous, car vous n'êtes pas comme nous, veuillez ne pas perdre de vue cette évidence. Laissez-nous notre appellation, et trouvez-vous-en une spécifique — voire bien différenciée à la fois graphiquement et phoniquement. Qu'on ne confonde pas auteurs hommes et auteurs femmes, qu'on ne mélange pas les torchons et les serviettes comme on le fait depuis trop longtemps.»
En fait ce dernier raisonnement, c'est un peu celui des auteures, des auteuses et des autrices si je ne me trompe?
Parfois il n'est pas facile de savoir de quel côté est le sexisme (idem pour le racisme), saperlipopette.
N. B. «Une auteur» (comme «un enfant, une enfant») me dérange moins l'oreille et l'œil qu'«une auteure», «une autrice» et «une auteuse».
Cela dit, face à une certaine barbarie et même à une barbarie certaine en marche, la question n'est pas si grave ni si importante qu'il faille lui consacrer des heures et des pages. Je vois dans cette discussion actuelle un jeu, une récréation et même une franche diversion plutôt qu'un sujet qui mériterait de mobiliser pendant des heures nos trois énergies.
Pour ma part, j'ai certainement dépassé la limite du raisonnable (et je n'ai toujours pas lu Aurore Evain ni Florence Hinckel).