Dans le cadre de son opération de lutte contre les discriminations « Émancipé.e.s », prévue en janvier, février et mars, la mairie de Lamballe (Côtes-d'Armor) a invité la compagnie Broadway French pour l'animation d'une heure du conte en bibliothèque. Mais l'intervention de drag queens est critiquée par des adhérents du parti VIA — La voie du peuple de Jean-Frédéric Poisson et Christine Boutin.
Le 17/01/2023 à 11:39 par Antoine Oury
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17/01/2023 à 11:39
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Deux pétitions mises en ligne sur le site CitizenGo s'opposent à l'organisation d'une heure du conte animée par des drag queens de la compagnie Broadway French à la bibliothèque de Lamballe, le samedi 21 janvier. Ce temps de lecture, organisé dans le cadre de l'opération « Émancipé.e.s », est qualifié de « spectacle de Drag Queens effaçant l’identité sexuée, adressé aux enfants à partir de 3 ans » par le parti VIA — La voie du peuple, à l'origine d'une de deux pétitions.
En revanche, la seconde, qui cumule plus de signatures, n'indique pas son auteur, et le parti VIA n'en est pas à l'origine. Elle rejoint la première dans son objectif de contestation, assurant que l'ensemble de la programmation de la ville de Lamballe pour lutter contre les discriminations relève de « l’idéologie du genre ».
Philippe Lecat, délégué local des Côtes-d’Armor de VIA, nous précise « être parti sur une initiative locale après avoir pris connaissance de cette intervention à la bibliothèque ». Il n'a contacté ni la bibliothèque ni la mairie, mais aurait reçu le soutien de l'opposition municipale. D'après lui, l'heure du conte relève de la « propagande déconstructiviste, qui, derrière ce genre d'action, cherche à déconstruire la filiation ».
Évoquant l'organisation d'événements similaires à Bordeaux ou Rouen, le délégué de VIA y dénonce une « stratégie de conquête culturelle, également menée dans le cadre d'un autre changement civisationnel, mené cette fois par l'islam, selon un même schéma : victimisation, conquête culturelle et conquête du pouvoir ». Un discours réactionnaire nourri des interventions de Jean-Frédéric Poisson, auxquelles s'est référé notre interlocuteur, lors de cet entretien.
Citant la lutte pour la PMA pour tous en France, mais aussi les discussions européennes autour de la gestation pour autrui, Philippe Lecat diagnostique un « effacement de l’ascendance maternelle et paternelle ». Un discours qui rappelle l'opposition au mariage pour tous, portée par Christine Boutin à l'époque. Citant un sondage effectué par l'émission Touche Pas à Mon Poste, en décembre dernier, sur le spectacle destiné aux enfants d'une drag queen à Bordeaux — que 85,2 % du public désapprouvait — le délégué local assure que le grand public est « défavorable » à ce type d'action.
Il pointe également la bande dessinée Peau d'homme de Hubert et Zanzim (Glénat), qui sert de supports à des événements que programme de la mairie de Lamballe. La « symbolique transexuelle » et la « sexualité débridée promue par l'album » sont tout aussi condamnables à ses yeux, même s'il n'a pas lu la BD, mais seulement « une analyse sur internet ». « Ce simple événement peut paraitre anodin, mais il s'inscrit dans une action globale civisationnelle », conclut-il.
Du côté de la compagnie Broadway French, qui assume l'événement, aucune « action globale civisationnelle » en vue, simplement « la lecture des contes, l'échange, le dialogue avec les enfants et les parents », nous précise Mathieu Guiral, le metteur en scène.
Compagnie de spectacle vivant fondée en 2018 et basée en Bretagne, Broadway French réunit 6 comédiens professionnels et une quarantaine d'amateurs autour de la pratique de la comédie musicale. Parallèlement, les 6 professionnels de Broadway French pratiquent le drag, le boylesque et le burlesque.
« C'est en sortant de la comédie musicale Everybody's Talking About Jamie que j'ai eu envie de monter ma compagnie », se souvient Mathieu Guiral. « Je fais partie de la communauté LGBT, et le drag relève de notre culture, avec sa dimension politique, évidemment. » Si la pratique reste indéfinissable tant il existe de styles différents, le metteur en scène la qualifie de « performance de genre exacerbée : on se joue du genre, on joue avec le genre, on détourne le code pour que cela soit spectaculaire ».
Le déguisement, qui permet une fluidité entre les genres, un changement de l'identité, inscrit la pratique du drag dans une longue tradition, qui va du théâtre nō (où tous les acteurs étaient des hommes) à l'opéra classique, en passant par Marivaux, Molière ou Shakespeare.
Si déconstruction il y a, il s'agit de celle des « clichés des contes traditionnels, où la princesse attend dans sa tour qu'on la délivre », précise Mathieu Guiral, par la lecture de contes contemporains, qui mettent en avant des principes d'égalité, de tolérance et de partage, dans la logique de l'événement « Émancipé.e.s ».
Spectacle drag de la compagnie Broadway French (© Laurent Tacher)
Le spectacle proposé par la compagnie n'a par ailleurs rien de sexuel, évidemment. « La proposition de la bibliothèque est cohérente avec ce que fait la compagnie : l'idée, avec les enfants, est de lire, de rigoler, de s'amuser et de se déguiser, dans une ambiance de contes de fées », résume le metteur en scène. Un dialogue se met en place entre le public et les artistes, comme cela peut arriver dans un autre contexte : « On nous demande souvent combien de temps nous prend le maquillage », cite Mathieu Guiral.
Quant à la séance de maquillage proposée, elle ne vise pas « à transformer les enfants en drag, on ne va pas faire un maquillage beauté à un enfant de 3 ans. L'idée est plutôt de faire réaliser une fleur, un dessin, par des professionnels. Et, si les adultes se prêtent au jeu, cela offre des souvenirs encore plus inoubliables à tous. »
Nous avons tenté de joindre la direction de la bibliothèque de Lamballe, qui n'était pas disponible pour le moment.
Les heures du conte animées par des drag queens ne sont pas une nouveauté dans le monde des bibliothèques. Le concept a été particulièrement éprouvé dans les pays anglo-saxons, générant là-bas également des réactions haineuses et des craintes infondées. À Paris, la bibliothèque Louise-Michel (20e) a proposé des lectures semblables, se retrouvant d'ailleurs menacée en 2019.
L'Association des Bibliothécaires de France, qui n'a pas encore répondu à notre sollicitation concernant Lamballe, avait alors défendu le principe de ces lectures. « Nous tenons à réaffirmer que c’est le rôle même des bibliothèques et des bibliothécaires que de proposer au public des services, des animations et des collections pour tou·te·s, et sur tous les sujets pour favoriser les débats, lutter contre les prescriptions idéologiques et donner aux enfants comme aux adultes les clés pour comprendre le monde dans lequel ils et elles vivent », expliquait l'organisation dans un communiqué.
Le podcast spécialisé Passion Pilon avait proposé, en 2021, dans son émission sur les « Bibliothèques inclusives », un entretien avec Amanda Fox, drag queen qui a assuré plusieurs heures du conte en bibliothèque (à partir de 3:23). Ses propos permettent de mieux cerner encore l'intérêt d'un tel événement dans un établissement de lecture publique, ouvert à tous.
La mairie de Lamballe, sollicitée par France 3, confirme le maintien de l'heure du conte du 21 janvier : « Le souhait est de mettre en débat des questions qui traversent notre société. On savait bien que si on mettait de tels sujets à l'ordre du jour, c'est qu'il y a encore un certain nombre de tabous et de préjugés et ça vient nous conforter sur l'utilité de ce type d'animation », explique Thierry Gauvrit, adjoint au maire de Lamballe-Armor et vice-président de Lamballe Terre & Mer, dans le domaine de la culture.
Philippe Lecat, délégué local de VIA, nous indique qu'il n'a pas appelé à « une action sur le terrain », mais que « des gens sont plus allant pour une intervention de ce type », le jour du spectacle.
Photographie : un « Drag Queen Story Time » à la bibliothèque publique de San José, en Californie, en 2018 (illustration, San José Public Library, CC BY-SA 2.0)
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Par Antoine Oury
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6 Commentaires
Gilles
17/01/2023 à 14:38
Donc si je comprends bien les cathos réac. terroristes, les drag queens qui racontent des histoires sont des islamistes ? o.O
Toinou
18/01/2023 à 09:18
C'est ça, et apparemment le public d'Hanouna est d'accord...
Ours polaire
18/01/2023 à 09:53
A mon avis, les gens du "VIA" ont de grands problèmes d'identité sexuelle pour avoir aussi peur de drag queens.
Pour ma part, je suis "masculin convaincu", mais les drags queens et les LGBT ne me dérangent absolument pas. Tout le monde à le droit de vivre comme il l'entend, tant qu'il n'y a pas d'irrespect ou d'intolérance envers l'autre.
Je ne me considère pas non plus comme un "gay friendly", en vertu du principe ci-dessus. Les livres sur le genre ou LGBT on leur place en médiathèque, et apprendre les notions de tolérance et d'empathie aux enfants est une bonne chose.
Notre société évolue. Certains peuvent s'arc-bouter contre cette évolution qui leur déplaît, mais ils oublient que le passé auquel il se réfère cachait bien des misères et des hypocrisies.
Ynuc
18/01/2023 à 15:54
Bravo à la mairie de Lamballe! Ce genre d'événement aura pour conséquence de renforcer les conservateurs en Bretagne qui est rappelons-le la région la plus centriste de France. Il conviendrait de généraliser ce genre d'événement un peu partout, de construire des mosquées ou des camps de "réfugiés". Car qui choisirait d'envoyer ses enfants subir un lavage de cerveau idéologique à part quelques bobos d'arrière garde ? Cela ne peut qu'inquiéter les gens "normaux", c'est-à-dire ceux qui n'ont pas perdu leur bon sens et qui ont à cœur de protéger leurs enfants contre toutes les expérimentations idéologiques!
Alain
19/01/2023 à 19:05
Aux parents d’assumer leur rôle et d’organiser , au même moment une autre activité pour leurs enfants.
Et de venir assister au conseil municipal pour soutenir , par leur seule présence , l’opposition.
Ed
20/01/2023 à 18:53
Y'a qu'à dire que c'est du carnaval. C'est bien une "bonne tradition française", le carnaval, non ? Comme ça, les trouillards qui ont peur de devenir homo en voyant un homme habillé en femme arrêteront d'emm...quiquiner les honnêtes gens et de se mêler de leur entrejambe (puisque ça semble les obséder)
Je les plains, d'avoir la trouille en permanence, comme ça...