Aujourd’hui, Raphaël Gariépy, à la suite d'un entretien avec Adrien Cavallaro, maître de conférences à l’université Grenoble Alpes, auteur de Rimbaud et le rimbaldisme. XIXe-XXe siècles, et codirecteur, avec Yann Frémy et Alain Vaillant, d'un récent Dictionnaire Rimbaud, imagine une rencontre avec le jeune Arthur, auteur de polar, sympathisant des Gilets jaunes et futur transhumaniste.
Le 09/07/2021 à 16:14 par Auteur invité
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Publié le :
09/07/2021 à 16:14
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La légende de Rimbaud illumine le paysage littéraire d’une lumière unique. La vie et l’œuvre du poète provoquent une fascination chez les universitaires comme chez les lycéens ; sa photo en noir blanc hante les manuels de littérature depuis des décennies. Cette légende, Rimbaud la doit à son génie, mais également à l’esprit de l’époque qui l’a vu naître. Un Rimbaud de 18 ans en 2021 ferait-il des vers ? Connaîtrait-il le succès ? Accéderait-il à la postérité ?
Né à Charleville-Méziaires au début des années 2000, Rimbaud aurait sans doute été moins enclavé. La détestation pour son village — qu’il surnommait avec une affection particulièrement mesurée « Triste trou » — venait en partie de cet isolement intellectuel. L’accès au livre pour le jeune Rimbaud était une question majeure, et le futur poète cherchait de toutes ses forces à mettre la main sur des revues et des ouvrages. Internet, les bibliothèques publiques ou les ebooks auraient aujourd’hui pu servir à assouvir sa soif de connaissance et à modérer quelque peu ses ardeurs.
DOUAI: les premières fugues d'Arthur
Il est cependant très probable qu’à la fin de son adolescence il ait de la même façon cherché à joindre la capitale, pour être au plus près du cœur battant du pays. Mais si au XIXe siècle c’est en poète que Rimbaud se décidait à gagner Paris, de nos jours il est difficile de savoir quelle voie le génie aurait choisi pour s’imposer. En fréquentant un collège public, Rimbaud n’aurait en effet pas reçu la même éducation qu’au siècle de la bohème littéraire. Sans rentrer dans des considérations alarmistes et discourir sur la décadence de la jeunesse, force est de constater que la place de la littérature n’est plus du tout la même dans les salles de classe.
Le jeune homme de 16 ans qui, au XIXe siècle, récolte avec une insolente facilité les prix d’excellence en latin ne posséderait sans doute que de vague notion de cette langue aujourd’hui. Le système scolaire actuel serait certainement moins capable de faire éclore un écrivain aussi précoce.
Naturellement doué avec les lettres, sans connexion avec les hautes sphères financières du pays, Rimbaud n’aurait sans doute pas eu d’autres choix que de se lancer dans l’écriture. Mais il est probable que le lucide et ambitieux jeune homme tenterait de creuser le filon du polar, ou se lancerait dans l’écriture de scénario. Les ventes de recueil de poésie étant aujourd’hui désormais trop faibles pour payer les loyers parisiens.
Lorsqu’il est en première, son ultime année scolaire, Rimbaud vit une période de basculement historique. La France est alors guerre contre la Prusse, un conflit qui ne s’achèvera qu’en 1871 avec la proclamation de la IIIe république. Cette période particulièrement mouvementée rend difficile le suivi du programme scolaire, et Rimbaud n’a pas cours durant 6 mois consécutifs. Ce moment de flottement attise sa révolte et facilite ses envies de fugues.
On peut aujourd’hui imaginer un Rimbaud quittant sa ville en pleine pandémie. Les cours sous la menace du Covid 19, – faits de visioconférences et de devoirs à distance – rendent la déscolarisation particulièrement aisée. On imagine très bien le jeune homme s’ennuyant de la voix étouffée de ses professeurs derrière leur masque, s’éloignant peu à peu des institutions et de toute forme d’autorité.
Ce qui dirigeait et dirigera sans doute toujours Rimbaud c’est un sentiment de révolte. Il est certain que ce « jeune homme aux semelles de vent » aura à cœur de ne jamais rentrer dans un cadre. L’horizon pandémique, fait de bouleversements sociaux profonds, le confortera sans doute dans cette dynamique. Le jeune auteur se tiendrait aujourd’hui comme hier à l’écart des carrières toutes tracées, des obligations et des responsabilités.
D’une manière générale, Rimbaud n’a jamais été militant. Hostile au fanatisme en général, particulièrement piquant envers l’Église catholique, il restait sceptique face à l’idée de l’engagement. Si dans le Paris du XIXe siècle, le poète assumait pleinement le caractère transgressif de son homosexualité, il est peu probable qu’il serait investi de nos jours dans les luttes LGBT.
RIMBAUD: les lettres d'admirateurs affluent, sur sa tombe
En 1871, il soutient néanmoins les communards et l’on trouve des références à ce mouvement révolutionnaire jusque dans Les Illuminations. Le jeune homme se serait sans doute enthousiasmé devant le mouvement des Gilets jaunes et aurait pris part à certaines manifestations qui ont bouleversé le pays chaque samedi durant près d’une année. Il ne serait cependant pas devenu tribun ou porteur de revendications sur les plateaux TV. Même au sommet de sa gloire littéraire Rimbaud n’a jamais joué le rôle de personnage public.
De la même manière que pour la commune, son soutien n’aura de plus qu’été temporaire. Le Rimbaud du XIXe entretient un rapport quasi spirituel avec le politique. Il s’attache à des mouvements comme l’illuminisme social, et considère les révolutions passées et à venir dans une perspective messianique. Marchant à 19 ans au côté des Gilets jaunes, Arthur se serait plus ému du pourpre du fumigène que de la réforme des retraites.
Sa légende, Rimbaud la doit aussi à son éternelle jeunesse. Le poète de tout juste 20 ans décide du jour au lendemain de cesser toute activité poétique, considérant qu’il n’avait plus rien à dire, que la littérature n’était pas un moyen d’agir. L’auteur disparaît alors pour vivre une vie d’aventurier dont seuls des éclats sporadiques nous sont parvenus.
La fascination du grand public s’est construite dans ces manques biographiques, les littérateurs et historiens comblant les blancs par des fantasmes. Dans notre monde ultra connecté, où l’envoi d’un message ou d’une photo s’effectue en une seconde, partir du jour au lendemain paraît bien plus difficile. Suivre le jeune Arthur à la trace ne serait sans doute qu’une simple formalité et des représentations du poète vieillissant et amoindri viendraient tacher de médiocrité la pureté de sa légende. Son accès à la postérité est ainsi très incertain. Mais l’immortalité peut prendre d’autres formes.
Au XIXe siècle, Rimbaud est fasciné par les technologies de son époque. S’il reste critique de la modernité, qu’il invective fréquemment, il est extrêmement intéressé par les inventions modernes de la photographie à l’ingénierie. Il aurait sans doute eu un rapport complexe à notre monde numérique et le jeune homme qui voyait dans le poète un être surhumain se laisserait peut-être séduire par les promesses du transhumanisme.
Ces quelques pistes posées, terminons néanmoins cette uchronie biographique sur les mots d’André Breton, qui assénait dans Flagrant Délit cette phrase à tous les apprentis glossateurs : « Tu ne connaîtras jamais bien Rimbaud ».
Dossier - Uchronie biographique : les figures littéraires du passé plongées dans un monde moderne
Illustration domaine public
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
1 Commentaire
AleDo
16/07/2021 à 13:25
Approche originale et très intéressante de la personnalité du poète. Remarques pertinentes, parfois troublantes. Merci beaucoup.