Associer la littérature et la fête, c’est souvent penser rapidement à Gadsby le Magnifique, le splendide roman de Francis Scott Fitzgerald. Pourtant, nombreuses sont les scènes de grands romans à mettre en scène des moments particulièrement exaltants ou, au contraire, très déceptifs et teintés de mélancolie, avec la fête et le jeu en arrière-plan.
Le 19/02/2024 à 11:40 par Victor De Sepausy
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Publié le :
19/02/2024 à 11:40
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Dans la littérature du XIXe et du XXe siècle, les scènes de fêtes ne se limitent pas à des moments de réjouissance. Elles deviennent des arènes où se déroulent des intrigues complexes et où les personnages révèlent leurs passions, leurs conflits et leurs aspirations. Ces scènes, véritables vitrines de la vie sociale de l'époque, sont souvent utilisées par les écrivains pour explorer les dynamiques humaines et les tensions sous-jacentes qui animent les interactions sociales.
Au XIXe siècle, les fêtes étaient souvent des occasions de dévoiler les hypocrisies et les faux-semblants de la société bourgeoise. Dans des œuvres comme Madame Bovary de Gustave Flaubert ou Anna Karénine de Léon Tolstoï, les bals et les réceptions sont le théâtre où se jouent les drames intimes et les dilemmes moraux des personnages. Les codes sociaux rigides et les conventions sociales étouffantes sont mis en lumière, tandis que les émotions refoulées éclatent au grand jour dans un tourbillon de musique, de danse et de frivolité.
Flaubert et le bal de province
Dans Madame Bovary (1857) de Gustave Flaubert, la scène du bal revêt une importance cruciale, symbolisant à la fois les aspirations de la protagoniste Emma Bovary et les limites de ses rêves irréalistes. Lors de ce bal, organisé par le marquis d'Andervilliers, Emma se retrouve immergée dans un monde de luxe, de sophistication et d'élégance, loin de sa vie provinciale terne et monotone. Pour elle, cette soirée incarne une évasion tant attendue vers un univers de fantaisie et de romance, éveillant en elle des désirs de grandeur et d'amour idéalisé.
Cependant, la scène du bal est également le théâtre de la désillusion pour Emma. Malgré ses attentes élevées et son espoir de trouver l'amour et la satisfaction dans ce nouveau monde, elle réalise rapidement que la réalité ne correspond pas à ses fantasmes. Elle est confrontée à la superficialité de la haute société, à son hypocrisie et à son vide moral. Emma se rend compte que le luxe et le glamour ne peuvent combler le vide de son existence ni apaiser son insatisfaction chronique.
Si l’on est loin des fêtes contemporaines, qui jouent d’ambiances musicales particulièrement travaillées, mais aussi de tout un décor absolument extravagant, il faut s’imaginer que dans le Paris du XIXème siècle, de nombreux professionnels gravitaient autour de l’organisation des bals et des dîners. Certains s’occupaient de la fourniture des habits, en proposant de riches tenues à la location, tandis que d’autres se chargeaient de la mise en valeur des lieux, avec une débauche de fleurs et de décoration éphémère. Si aujourd’hui on cultive parfois le clinquant et le baroque pour illuminer les salles de réception, comme les meilleurs jets de scène avec Sparklers Club pour se croire sur un plateau de télévision, il existait déjà de nombreux systèmes permettant de mettre en lumière l’espace et les participants d’un soir.
Balzac, un habile peintre des festivités parisiennes de son temps
Dans La Peau de Chagrin (1831) d'Honoré de Balzac, la soirée chez le banquier Taillefer revêt une signification profonde et symbolique, offrant un contraste saisissant entre la luxure apparente et la détresse intérieure des personnages. Lors de cette soirée fastueuse, Balzac expose les enjeux de la société parisienne du XIXe siècle, où l'opulence et la décadence se côtoient dans un tourbillon d'excès et de désirs insatiables. Pour se faire une petite idée de ce que pouvaient donner les bals dans la société du XIXème siècle, on peut aussi consulter l'éclairage de L'histoire par l'image.
La soirée chez le banquier Taillefer représente le sommet de l'extravagance et de la vanité de la haute société. Les invités se livrent à des divertissements somptueux, à des plaisirs sensuels et à des jeux de pouvoir, démontrant leur insatiable appétit pour le luxe et la reconnaissance sociale. Pour Raphaël de Valentin, le protagoniste, cette soirée promet la possibilité d'ascension sociale et de réussite mondaine, mais elle cache également les pièges de la débauche et de la destruction.
Cependant, derrière les apparences festives, la soirée chez le banquier Taillefer révèle les tensions et les conflits qui rongent la société. Les personnages se débattent avec leurs désirs inassouvis, leurs dettes insurmontables et leurs secrets inavouables. Pour Raphaël, la soirée représente un moment crucial où il est confronté à ses propres limites et à la fragilité de ses ambitions démesurées. Il découvre que la recherche effrénée du plaisir et du pouvoir mène inévitablement à la ruine et à la désillusion.
F. Scott Fitzgerald et l’imaginaire des folles années 20 aux Etats-Unis
Dans Gatsby le Magnifique (1925) de F. Scott Fitzgerald, les scènes de fêtes occupent une place centrale, agissant comme des catalyseurs pour l'intrigue et révélant les aspirations et les illusions des personnages. Ces scènes de festivités, à la fois grandioses et artificielles, incarnent le contraste entre le glamour de l'ère du jazz et la vacuité morale qui caractérise la haute société américaine des années 1920.
Pour Jay Gatsby, les fêtes somptueuses qu'il organise dans sa somptueuse demeure sont plus que de simples divertissements mondains ; elles sont une tentative désespérée de retrouver un amour perdu et de transcender les barrières sociales qui le séparent de Daisy Buchanan. Chaque fête est une mise en scène minutieusement orchestrée, où le luxe et l'extravagance servent à dissimuler la solitude et le vide de l'existence de Gatsby.
Cependant, derrière l'éclat des réceptions de Gatsby se cachent les tensions sociales et les conflits moraux de l'époque. Les invités, obsédés par leur quête perpétuelle de plaisir et de statut social, se livrent à des comportements décadents et superficiels. Les fêtes de Gatsby deviennent le théâtre où se jouent les drames de la vie des personnages, où les masques tombent et où les vérités cachées éclatent au grand jour.
Le regard sociologique de Nicolas Mathieu sur les festivités adolescentes dans les années 90
Si l’on s’amuse à faire un tour du côté d’un roman marquant de ce début de XXIème siècle, on peut penser à Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018. Si l’action se déroule dans le courant des années 90 en France, avec une dimension sociologique très importante, les scènes de fêtes, qui s’inscrivent dans l’univers de l’adolescence, donnent à voir toutes les tensions qui traversent la société française de l’époque. Et l’on découvre, parfois avec un humour grinçant, les fêtes organisées dans les demeures familiales d’une jeunesse qui profite de tous les avantages de la petite bourgeoisie. Mais, quand des jeunes appartenant à d’autres milieux s’invitent dans les lieux, la rencontre est parfois violente.
Ces scènes de fête agissent comme des moments de rupture avec la monotonie de la vie quotidienne pour les adolescents du roman. À travers ces moments d'évasion, ils cherchent à échapper aux contraintes sociales et économiques qui pèsent sur eux, à expérimenter leur liberté et à exprimer leur désir de vivre pleinement. Mais ce sont aussi des moments qui cristallisent particulièrement les divisions et les écarts sociaux. La fête agit aussi comme un révélateur de ce que certains peuvent faire quand d’autres n’y ont absolument pas accès. On peut d'ailleurs se demander comment Ludovic et Zoran Boukherma rendront ces scènes très intenses à l'écran dans une adaptation qui doit sortir en septembre 2024.
Ainsi, ces scènes de fête révèlent également les divisions sociales et les tensions latentes au sein de la communauté. Elles mettent en évidence les disparités entre les différentes classes sociales et les luttes de pouvoir qui en découlent. Les personnages tentent de trouver leur place dans ce monde en mutation, où les rêves de réussite et d'évasion se heurtent souvent à la réalité brutale de la vie.
Crédits illustration Pexels CC 0
Par Victor De Sepausy
Contact : vds@actualitte.com
1 Commentaire
Hélène5462
20/02/2024 à 10:20
Bonjour,
Il y a aussi la "fête étrange" dans "Le Grand Meaulnes".