« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans... » Arthur Rimbaud alimente les passions. En 1973, Patti Smith imagine passer la nuit sur sa tombe à Charleville. Pour avoir grimpé illégalement par-dessus le mur du cimetière, elle se retrouva au poste de police. En 2017, elle achète une bicoque dont le seul mérite est d’être à Roche, sur le site de l’ancienne ferme de la mère Rimbaud... Là où Arthur écrivit Une saison en enfer. Avant l’arrivée de l’artiste américaine, la maison était habitée par un certain Paul Boens qui passa sa vie à creuser les alentours, à la recherche d’une ceinture d’or que Rimbaud, de retour du Harar, aurait enterrée.
« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans... » La campagne de signatures pour l’entrée de Rimbaud et de Verlaine au Panthéon déclenche une polémique dont seule la France a le secret, une polémique digne des grands pamphlets surréalistes.
Tout commence à Douai. Rimbaud n’a pas seize ans. Georges Izambard reçoit à son domicile, rue de l’Abbaye des Prés, une lettre datée du 5 septembre 1870. « Cher Monsieur, ce que vous me conseilliez de ne pas faire, je l’ai fait : je suis allé à Paris, quittant la maison maternelle ! Arrêté en descendant de wagon pour n’avoir pas un sou et devoir treize francs de chemin de fer, je fus conduit à la préfecture, et, aujourd’hui, j’attends mon jugement à Mazas ! »
Professeur de lettres au collège de Charleville, le Douaisien Izambard a perçu très tôt le talent et la sensibilité de son jeune élève qui, cette fois, l’appelle au secours. Après avoir vendu quelques livres, ses premiers prix de collège, Rimbaud fugue vers Paris, mais dans le chaos de la guerre, la ligne de chemin de fer pour la capitale est coupée. Passé par la Belgique, Rimbaud prend à Charleroi une correspondance, mais la vente des livres n’est pas suffisante pour le prix du billet de train.
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Il se fait arrêter gare du Nord. « Si vous ne recevez de moi aucune nouvelle mercredi, avant le train qui conduit de Douai à Paris, prenez ce train, venez ici me réclamer par lettre, ou en vous présentant au procureur, en priant, en répondant de moi, en payant ma dette ! »
Georges Izambard paye immédiatement et indique au procureur qu’il peut accueillir le jeune homme. Parti de Charleville le 29 août sous l’Empire, Rimbaud arrive à Douai alors que la République vient d’être proclamée.
Installé au premier étage de l’actuel numéro 309 de la rue de l’Abbaye des Prés par Izambard et par les sœurs Gindre qui composent la famille d’adoption du professeur, Rimbaud plonge dans la bibliothèque de la maison. On le cajole.
Lui qui moquait le « patrouillotisme » des Ardennais se fait engager comme « garde national volontaire ». Les entraînements ont lieu à la Berce Gayant, un pré entre les remparts de la ville. La République est à défendre. Le 18 septembre, Rimbaud écrit une lettre de protestation au maire de Douai pour se plaindre du manque d’armes.
Le 23 septembre, il assiste à une réunion publique, rue d’Esquerchin, pour former les prochaines listes électorales. Le lendemain paraît dans Le Libéral du Nord un compte rendu non signé, dont le ton est ironique envers les notables de la ville. L’auteur n’est autre que Rimbaud qui, à l’insu de son professeur, s’est exercé au journalisme.
Pendant son séjour, Rimbaud rencontre Paul Demeny dont le recueil Les Glaneuses vient d’être publié par La Librairie Artistique, une maison dont il est le copropriétaire. Rimbaud voit en lui l’occasion d’accéder à l’édition. Il lui confie ses premiers poèmes.
Au verso de larges feuilles − en imprimerie on n’écrit pas au recto − Rimbaud recopie fiévreusement ses premiers poèmes, les corrige, fixe son écriture.
Avec Izambard, il partage une vraie complicité. Les deux hommes se baladent le long de l’Escrebieux, vers le château de Wagnonville (actuellement le lycée agricole). Dans ses mémoires, Izambard note que Rimbaud chantait un air populaire : « Avène, avène,/Que le beau temps t’amène... » Un rythme que l’on retrouvera plus tard dans Chanson de la plus haute tour : « Qu’il vienne, qu’il vienne,/Le temps dont on s’éprenne. »
Mais la réalité rattrape Rimbaud. Deux lettres de sa mère Vitalie, datées du 17 et du 24 septembre, ordonnent son retour à Charleville. Le 26, Arthur se précipite chez Demeny, au 39 rue Jean de Bologne, l’actuel numéro 171, à deux pas de La Chartreuse. « Je viens pour vous dire adieu, je ne vous trouve pas chez vous. Je ne sais si je pourrai revenir ; je pars demain, dès le matin, pour Charleville, j’ai un sauf-conduit. Je regrette infiniment de ne pouvoir vous dire adieu, à vous. »
Sous la porte, Rimbaud glisse ses poèmes de jeunesse recopiés, améliorés, parfois créés à Douai. Dans le lot, il y a Roman... « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. »
Rimbaud reprend le train pour Charleville avec Izambard. À l’arrivée, le professeur décrit lui-même la scène : « Très au vinaigre, à son habitude, la maman de Rimbaud flanqua comme de juste une pile monstre à son petit prodige de fils et m’admonesta pour mon compte en termes si âpres que j’en restai d’abord tout ébervigé, et bientôt m’enfuis sous l’averse. »
Arthur ne se résout pas. Dès le 6 octobre, il fugue à nouveau. Direction : la Belgique. Dans le train, il écrit Rêvé pour l’hiver. Il tente, mais en vain, de se faire embaucher au journal de Charleroi dont le directeur est le père d’un ami de collège. La halte au cabaret La Maison-Verte nourrit son inspiration dans Au cabaret vert et La Maline.
Alerté par la mère de Rimbaud, Izambard se lance à la recherche du poète, mais perd sa trace. Quand il revient à Douai, quelle n’est pas sa surprise d’y retrouver Rimbaud, choyé par les sœurs Gindre ! Comme en septembre, Arthur recopie les poèmes qu’il a composés sur la route, et les confie à Demeny. Parmi ces textes, on retrouve Ma Bohème et Le Dormeur du Val.
Le 20 octobre 1870, on fête à Douai les seize ans d’Arthur Rimbaud. Derniers instants de bonheur... Fidèle à son engagement, Izambard a prévenu Vitalie. Elle alerte la police pour exiger le retour de son fils. Le 1er novembre, le poète revient à Charleville, encadré par la maréchaussée.
Les sœurs Gindre remarquent sur la porte d’entrée de la maison de l’Abbaye des Prés quelques vers écrits à la main... en guise d’adieu. Izambard ne nota pas le texte. Les vers sont à jamais oubliés. Quelques mois plus tard, les 13 et 15 mai 1871, Arthur Rimbaud envoie à Georges Izambard puis à Paul Demeny les lettres dites du « voyant » qui bouleversent la poésie française.
Le 10 juin 1871, Rimbaud écrit une dernière fois à Demeny pour lui demander de brûler et de détruire ses textes. Par indifférence, le Douaisien n’en fit rien et vendit les manuscrits pour 700 francs, dix-sept ans plus tard, à Rodolphe Darzens, un journaliste et directeur de théâtre qui envisage l’écriture d’une biographie. En 1914, lors d’une vente aux enchères à l’Hôtel Drouot, c’est au tour de l’écrivain Stefan Zweig de se porter acquéreur.
À sa mort, la belle-famille cède le manuscrit à la British Library de Londres. Réunis dans ce qu’on appelle les « cahiers de Douai », les poèmes y sont toujours, avec cette écriture à la plume qui possède toute la force et la vigueur d’une éternelle jeunesse.
À Douai, Daniel Vandenhoecq a beaucoup œuvré pour déceler les moindres traces de passage du jeune Carolomacérien. Président des Amis de Douai, il est décédé subitement en ce mois de décembre de la Covid-19, après avoir participé à la mise en place de tout un programme d’actions. Avec le Cénacle de Douayeul, des balades littéraires sont organisées au départ de la gare.
À deux pas de chez Demeny, le musée de la Chartreuse organise une exposition « Rimbaud aujourd’hui », de CharlElie Couture. Le peintre et chanteur exprime sur la toile toute la modernité de l’homme aux semelles de vent. Il a aussi mis en musique des poèmes de Rimbaud et participé avec Brigitte Fossey, Sanseverino ou HK au tournage de 22 clips (les 22 poèmes des « cahiers de Douai ») qui seront projetés dans différents cinémas de France ou de Belgique, et sans doute diffusés sur France 3.
Un coffret sera édité, avec en bonus un reportage sur Daniel Vandenhoecq dans les pas de Rimbaud. Ayant grandi dans le voisinage de la rue de l’Abbaye des Prés, Jacques Bonnaffé et la journaliste Christelle Massin participent de cette aventure, mise sur pied par le Service mobile d’animations culturelles de Douai.
Conférences à l’université d’Anchin, expositions à la bibliothèque et aux archives municipales, lancement par les éditions du Douayeul d’une action d’art postal, sortie d’un recueil de nouvelles à destination des collégiens et des lycéens aux éditions Nord Avril : même chahutés par la crise sanitaire, les actions et les projets ne manquent pas.
Dans la cité de Gayant, 150 ans plus tard, Arthur Rimbaud reste présent, dans la force de ses seize ans.
Par Hervé Leroy
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