Dans le roman du XIXème siècle, le duel est, par excellence, l’étape incontournable dans l’intrigue. Ce moment d’intense tension dramatique permet de construire avec efficacité de redoutables scènes de suspense.
Le 15/03/2024 à 13:06 par Victor De Sepausy
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Qui n’a pas rêvé de duels après avoir refermé quelques-uns des grands romans de la littérature française. A chaque auteur ses pratiques et ses singularités dans la façon de rendre compte de ce moment longtemps attendu par les lecteurs. Si ces scènes de confrontations viriles s’enracinent dans les pratiques nobiliaires liées à l’honneur, elles deviennent vite des incontournables du roman, avec des individus qui cherchent toujours à prouver leur courage tout autant que leur honneur.
Les duels sont des affrontements entre deux personnes qui cherchent à régler un différend en utilisant des armes. Cette pratique, qui remonte à l'Antiquité, a connu son apogée au XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier dans la noblesse et la bourgeoisie européennes. À partir de la fin du XVIe siècle, une forme de confrontation privée a commencé à se substituer au combat judiciaire public.
Cette pratique s'est répandue dans les rangs de la noblesse puis de la bourgeoisie au XVIIe siècle. Bien que le roi Charles IX ait interdit le duel dès 1566, l'attitude envers les duellistes a varié selon les monarques, allant de l'indulgence à la sévérité. Les duels ont inspiré de nombreux écrivains, qui ont utilisé cette pratique pour explorer les thèmes de l'honneur, de la bravoure et de la virilité.
Le duel, une scène incontournable du roman :
Dans la littérature française, le duel est souvent associé à l'honneur et à la bravoure. Dans Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas, par exemple, les personnages principaux, Athos, Porthos et Aramis, sont des experts en duel et utilisent cette pratique pour défendre leur honneur et celui de leur reine. Dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, le personnage principal, Cyrano, est un bretteur hors pair qui utilise son épée pour se défendre contre ses ennemis et défendre ses idéaux.
Le dramaturge, auteur de L’Aiglon et de Chantecler, s’inspire précisément de Savinien de Cyrano de Bergerac, un écrivain libertin qui a réellement existé au XVII, un siècle profondément marqué par les duels dans les milieux aristocratiques. On peut penser à la trace théâtrale qu’il en reste dans Le Cid de Corneille, et ce fameux duel tout autant que dilemme pour Rodrigue qui va être forcé, pour sauvegarder l’honneur de sa famille de provoquer en duel et de tuer Don Gomès, le père de Chimène, sa bien-aimée.
Pendant longtemps, les duels ont eu lieu à l’épée. Mais, progressivement, les pistolets ont été adoptés, avec des armes spécifiquement conçues pour ce type d’échange. On parlait alors de pistolet de duel, proposés en coffret, réunissant donc deux exemplaires parfaitement similaires pour offrir aux duellistes la certitude de se confronter à armes égales. Loin des armes modernes, comme les semi-automatiques que développe la firme autrichienne Glock, et la réplique Glock 17 que l’on peut acquérir librement, les pistolets utilisés au cours du XIXème siècle proposaient une imprécision de tir qui permettait d’avoir de sérieux espoirs de s’en sortir vivant !
A chaque roman, sa situation de duel, et son jeu autour des conventions du genre. Pensons par exemple à Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. On peut dire que pour prouver son héroïsme, Julien recherche le duel. Il finit par le trouver dans un café, en croisant un homme aux manières particulièrement frustes. Ce dernier lui jette sa carte : c’est un certain M. de Beauvoisis. Malheureusement pour Julien, il s’agissait du valet de ce chevalier…ce dont il se rend compte en se rendant chez lui. Mais, nouveau rebondissement, Julien Sorel va finir par obtenir son duel, effectivement avec ce M. de Beauvoisis ! Stendhal joue jusqu’au bout avec cette scène tant attendue par les lecteurs de romans au XIXème siècle.
Maupassant, un détracteur des duels
Dans son roman Bel-Ami de Guy de Maupassant, le personnage principal, Georges Duroy, est impliqué dans un duel avec le comte de Vaudrec. Le duel est provoqué par une dispute autour d'une femme, Clotilde de Marelle, que les deux hommes convoitent. Georges, qui est amoureux de Clotilde, décide de relever le défi lancé par le comte de Vaudrec pour prouver sa bravoure et sa détermination à conquérir le cœur de la jeune femme.
Le duel se déroule dans un bois à la périphérie de Paris, tôt le matin. Les deux hommes sont accompagnés de leurs témoins respectifs, qui sont chargés de veiller au bon déroulement du duel et de s'assurer que les règles sont respectées. Les armes choisies sont des pistolets à un coup, que les deux hommes doivent charger eux-mêmes. Le duel est rapide et brutal : les deux hommes tirent en même temps, et Georges est légèrement blessé à la main, tandis que le comte de Vaudrec est touché à la poitrine et meurt peu après. Le duel est un tournant dans la vie de Georges, qui gagne ainsi le respect de la société parisienne et la reconnaissance de Clotilde, qui accepte finalement de l'épouser.
Pour l’anecdote, le 8 décembre 1881, Guy de Maupassant publie un article intitulé « Le duel » dans le journal Gil-Blas sous le pseudonyme de « Maufrigneuse ». Dans cet article, l'écrivain dénonce la pratique du duel, un rituel alors très répandu en France, notamment dans les milieux politiques et journalistiques. Selon Maupassant, le duel est une coutume désuète et sans objet, une parodie des duels d'honneur d'autrefois. Il critique également les journalistes qui descendent souvent sur le pré pour régler leurs comptes, et qui utilisent le duel comme un moyen de se faire de la publicité. Deux ans plus tard, Maupassant écrira une nouvelle sur le même thème, Un duel, parue dans le journal Le Gaulois.
Dans son article, Maupassant explique que la pratique du duel est si répandue en France que refuser un duel, c'est s'exposer à se voir exclu de la société. Il dénonce l'absurdité de cette pratique, qui consiste à se faire des « piqûres à la main dans les environs de Paris, avec des baguettes d'acier pointues qu'on agite éperdument au bout du bras ». Pour Maupassant, le duel a pu avoir son utilité dans le passé, mais il est désormais une coutume sans objet, une parodie des duels d'honneur d'autrefois. Il critique également les journalistes qui utilisent le duel comme un moyen de se faire de la publicité, en descendant souvent sur le pré pour régler leurs comptes. A contrario, Marcel Proust tirera une certaine gloire du duel qu'il eut au tout début de sa carrière contre un méchant chroniqueur.
Des duels très attendus mais qui finissent par ne pas avoir lieu…
Ou de l’art de la déception en littérature ! La tension romanesque atteint son paroxysme grâce à l'annulation ou au report du duel, pour diverses raisons. Il y a une expression que Victor Hugo semble avoir inventée dans Han d'Islande qui vient caractériser cet ajournement du duel : le « duellum remotum ». Chez Balzac, par exemple, dans Le Bal de Sceaux, le duel entre le comte de Kergarouët et Maximilien Longueville est annulé lorsque le comte découvre l'identité de son concurrent. Dans Usule Mirouët, l'un des adversaires trouve la mort… avant le duel. Pour ce qui est de L'Éducation sentimentale, le duel entre Frédéric Moreau et Cisy ne peut avoir lieu parce que le pauvre Cisy finit par perdre connaissance.
Certains affrontements prennent des formes différentes dans ces récits. Dans Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas, d'Artagnan est provoqué en duel à trois reprises dès son arrivée à Paris, par chacun des mousquetaires, pour des motifs futiles à chaque fois. Toutefois, aucun duel ne se déroule, car ces confrontations sont remplacées par des affrontements plus généraux avec les gardes de Richelieu, qui deviennent le catalyseur de l'amitié naissante entre le jeune provincial et les mousquetaires. Les romanciers, tout au long du XIXème siècle jouent avec cette scène, s’amusant à tisser des échos avec de précédentes narrations de duels. Et le lecteur se retrouve souvent floué dans ses attentes.
Crédits illustration Pexels CC 0
Par Victor De Sepausy
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