Tirant leurs racines du feuilleton littéraire publié dans la presse au XIXe siècle, les séries connaissent des heures de gloire. En 2011, le marché international des contenus audiovisuels jurait qu'elles ne connaissaient pas la crise, voire accaparaient l'audience. On négligerait à tort le trio gagnant des revenus : diffusion télé, DVD, produits dérivés. La transition de l’imprimé aux écrans reflète une continuité, quand les fictions audiovisuelles puisent leur matière dans la littérature même.
Le 04/01/2016 à 16:33 par Nicolas Gary
Publié le :
04/01/2016 à 16:33
Fleur Pellerin a récemment confié à Laurence Herszberg, directrice du Forum des Images et du festival Série Mania , l’analyse de faisabilité d’une manifestation internationale, dédiée aux séries télévisées. L’idée que la France en soit l’hôte enthousiasme Nathalie Piaskowski, directrice générale chez la Société Civile des Editeurs de Langue Française (SCELF). « C’est une excellente initiative, dès lors que l’adaptation y a sa place », précise-t-elle. La Société, chargée de la perception des droits et du reversement aux éditeurs, qui rémunèrent alors les auteurs, a déjà engagé plusieurs opérations pour fluidifier les échanges entre studios et éditeurs.
Le SCELF « contribue à mettre en lumière le travail des éditeurs, par des rencontres au Salon du livre de Paris, avec de plus en plus de succès. De même, nous avons organisé Shoot the Book, au Festival de Cannes. Il s’agit qu’un éditeur pitche ses livres auprès de producteurs ». Le tout opéré en partenariat avec la Région Île-de-France et le Bureau international de l’édition française. Dans le même ordre d’idée, les éditions Gallimard prennent part, lors du Salon des lieux de tournages, à une opération de découverte très porteuse. Des auteurs viennent pitcher leurs livres devant des réalisateurs : la rencontre presque idéale.
Pour Nathalie Piaskowski, « les romans anglo-saxons sont peut-être plus prisés pour les adaptations en séries, mais le marché français n’exclut aucune piste. La série policière Boulevard du Palais est dérivée des Orpailleurs ». De même pour le policier Le sang de la vigne, puisé dans les livres de Jean-Pierre Alaux et Noël Balen (chez Fayard).
À ce jour, aucune statistique n’existe pour mesurer l’incidence de la littérature dans les séries. « Ce format a considérablement augmenté et pris une place bien plus importante dans la programmation télévisée. Le livre y a tout à fait sa place, et il semble normal qu’il soit présent : la littérature reste un puissant creuset d’inspiration. »
Le sociologue Clément Combes avait publié une large étude sur La pratique des séries télévisées. Il rappelait ainsi l’origine de la création audiovisuelle, en reprenant les épisodes romanesques, diffusés dans la presse
Au mélodrame imprimé en vogue au XIXe siècle vient désormais s’ajouter le film à épisodes. Les deux sont d’ailleurs en interrelation constante. Le jeune cinéma n’hésite pas à puiser dans le fond livresque et romanesque, comme en témoignent les premières adaptations des aventures de héros de la littérature populaire tels que Nick Carter, Fantômas, Zigomar ou encore Nat Pinkerton. Les premiers films à épisodes sont des adaptations filmiques de récits romanesques.
Avant d’envisager la production française, parler de séries revient à se tourner vers les réalisations anglo-saxonnes – américaines, plus spécifiquement. La particularité du réseau câblé américain est sa propension à produire de la fiction, indique Alexandre Letren, journaliste et rédacteur en chef de Season One. « En France, OCS et Canal + ont ces missions-là, mais on constate que la production est encore loin d’être majoritaire. Et la TNT ne joue pas son rôle. »
Dans cette production, la part tirée de la littérature n’est pas négligeable. House of Cards, le grand carton de Netflix, est en effet indirectement inspiré des livres de Michael Dobbs, lesquels avaient été porté en série... pour la radio. La saison 1 représentait un investissement considérable, pour le lancement en 2013 : plus de 100 millions $. Et 10 % des 33 millions d’abonnés au service avaient alors regardé la première saison (audience de mars 2013).
Le lien avec le Big Data devint alors évident, au point, souligne Pierre Langlais, spécialiste des séries chez Télérama, que l’on reproche aujourd’hui à Netflix de produire des séries reposant sur un examen trop attentif des cibles potentielles. « Ce n’est pas sans cynisme : la contrepartie à l’exploitation des données, plus efficace que jamais, c’est de réaliser des séries conçues pour séduire un type de public, avec une matrice de production. » Le nouvel âge d’or devient celui des pures players, bâti sur des données.
Netflix, qui plus est, a tablé sur les super héros, passant un accord avec Marvel. « Ici, c’est plutôt un moyen pour faire du cinéma, sans les contraintes exercées sur les studios hollywoodiens. Et puis, le show runner peut croiser les univers, comme Daredevil et Jessica Jones. »
Cependant, la littérature a plusieurs vertus. Selon Alexandre Letren, deux éléments ressortent : « D’abord, il est prestigieux – voire très chic – de dire que l’on adapte un roman, ou un personnage célèbre de comics. Adapter une œuvre, c’est aussi s’appuyer sur une marque connue. De même qu’au théâtre, on rejoue Molière ou Shakespeare, avec des comédiens différents, une mise en scène revisitée. C’est un souffle nouveau avec des histoires qui préexistent auprès du public. »
Pour sortir du lot, les producteurs capitalisent alors sur leur capacité à créer des séries originales. Leur crédibilité en dépend. Ainsi, d’Amazon à Netflix, on mise sur la faculté de capter l’attention. Sociétés de ces écrans modernes, et plus encore, parfaitement adaptées à la mobilité, aux tablettes et smartphones, ces firmes convoitent les œuvres de l’écrit, comme autant de succès à venir.
D’autant plus que les scénaristes sont parfois même ceux qui produisent les œuvres originales. C’est le cas des auteurs de Walking Dead, les zombies qui ont conqui les librairies, et explosent sur le petit écran. « Ce n’est pas vraiment une problématique d’adaptation littéraire que de réponse à la mode », estime Pierre Langlais.
« Il s’agit d’un reflet de ce mouvement : la pop culture, voire la culture geek – ces dénominations sont trop réductrices, j’en ai conscience – sont passées du genre sous-culture, à celui de culture dominante. Star Wars, au cours des 40 dernières années, c’est l’expression même de ce glissement, du public de connaisseurs, au mainstream. C’est la même chose pour Lord of The Ring, qui découlait en plus de la trilogie de Tolkien, devenue best-seller. »
Impossible alors de passer sous silence Game of Thrones, devenue spectaculaire et populaire au point d’empêcher George RR Martin de boucler son futur livre. Certes moins dense que l’ouvrage, la série multiplie les points d’entrée et les personnages – certainement pas pour rien qu’elle fut la plus piratée de l’année 2015. D’ailleurs, les livres étaient relativement négligés par son éditeur français, avant que la série ne devienne si prisée.
Évidemment, les super héros apportent un capital d’aspiration puissant : les multiples déclinaisons d’univers et de personnages alimentent facilement la production des studios. Mais cette tendance ne date pas non plus d’hier : « Dans les années 50, les sources littéraires des séries ne manquaient pas », indique Alexandre Letren. « Et par la suite, les super héros n’ont pas non plus manqué à l’appel : le Batman de 66, de William Dozier, restera encore culte. »
La production française ne sera pas non plus de reste. C’est plus ou moins officieux, mais le romancier Emmanuel Carrère avait pris part à la scénarisation de Les revenants. Et s’il l’avait pu, Philip K. Dick aurait certainement voulu prendre part à la scénarisation du Maître du Haut Château, actuellement produit par Amazon Video. David Simon, le romancier, est auteur de Baltimore, qui a été adapté par HBO pour sa saga, The Wire.
Il a travaillé comme scénariste, y compris pour la mini série The Corner, également inspirée d’un de ses livres. Et toujours chez HBO, The Leftovers provient directement du livre de Tom Perrotta, qui en assure le scénario. Or, si la première saison est adaptée du livre, la deuxième s’en écarte assez librement.
En France, LePassager de Jean-Christophe Grangéa été diffusé sur France 2, tandis que TF1 s’intéresse aux Rivières pourpres (porté par Luc Besson). Et Canal + doit s’emparer de Barbarella, modèle de la contre-culture, prochainement. « On ne peut pas oublier Hercule Poirot ou Sherlock Holmes, dans les années 80, ou encore Harlan Coben, dont le roman a été porté par TF1 sur petit écran. On joue avec les séries de la même frustration que celle qu’Alexandre Dumas provoquait avec ses feuilletons parus dans la presse. Et toujours avec ce cliffangher pour susciter l’attente », note Alexandre Letren.
Dans tous les cas, le lien entre littérature, comics et séries ne s’effacera pas. « Le jour où on considérera les séries comme un genre noble, on verra une évolution plus forte. Des scénaristes de 30/45 ans aujourd’hui savent qu’il ne s’agit pas d’un sous-genre, et n’ont aucun problème pour citer Gide ou Proust en modèle. Et puis, les œuvres de l’écrit seront toujours là pour pallier le manque d’imagination... », estime Pierre Langlais.
Signe de ce lent processus de séduction, en France, moins d’une trentaine de livres portant sur l’écriture de scénario pour le cinéma, ou l’apprentissage a été publiée entre 2004 et 2015. Aux États-Unis, les experts considèrent en revanche que la production verse dans un certain déséquilibre : trop de séries, et pas assez de scénaristes.
Or, Amazon, bien implanté dans la production de séries, s’est également mis à recruter des scénaristes. C’est que tout ce qui est relié à un écran, et dispose d’une connexion au net peut devenir producteur. L’exemple de la Xbox, où Microsoft s’est associé à Ridley Scott, a abouti à la création d’épisodes inspirés d’un jeu vidéo, Halo.
La série semble finalement le genre qui se prête le mieux à l’adaptation, et sa popularité, en tant que format court et décliné sur différents genres, a tendance a fédérer le public. « Nous avons modifié nos modes de consommation : les appareils nous procurent une immédiateté, à laquelle répondent les diffusions de saisons en intégralité, chez Netflix ou Amazon, par exemple. Les studios n’ont pas de nécessité à puiser dans la littérature, mais elle leur apporte beaucoup. »
Aujourd’hui, les deux scénaristes les plus en vue, à Hollywood, seraient JJ Abrams (Star Trek, Star Wars épisode 7 ou Lost) et William Shakespeare : tout est dit. Le Mipcom a probablement raison, de souligner que le genre de la série a le vent en poupe. Et probablement trop : une sorte de bulle susceptible d’éclater se profile même. Le nouvel âge d’or s’accompagne d’une offre immense, où il faut faire des choix – alors même que l’on ne peut pas tout voir. Et moins encore, tout lire ?
« Mais disons pour aller vite que, outre la proximité temporelle (moins de deux siècles), l’héritage du roman-feuilleton, et plus tard du serial et du feuilleton radiophonique, paraît d’autant plus saillant qu’ils participent de conditions socio-économiques relativement analogues à celles des téléfictions. Les héros romanesques, cinématographiques, radiophoniques et télévisuels sont des avatars des médias de masse », écrivait Clément Combes.
Et d'ajouter : « Cette filiation est de prime abord rendue visible par l’adaptation à la télévision, à ses débuts et par la suite, de nombreux succès de la littérature populaire. Les héros et personnages “de papier” tels qu’Arsène Lupin, Rouletabille, d’Artagnan ou encore Rodolphe se retrouveront, pour certains à plusieurs reprises, portés à l’écran (à la télévision comme au cinéma d’ailleurs). »
Les livres auront-ils plus que plus leur mot à dire ? Amicalement vôtre…
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