En juin dernier, ActuaLitté établissait un constat assez édifiant quant à l’offre de livres pirates que l’on pouvait retrouver sur la plateforme Calaméo. Ce service de publications de documents a pour modèle économique les abonnements et l’affichage publicitaire. Or, si une liste d’œuvres contrefaites est bien présente, l’entreprise ne s'est pas empressée de présenter ses mesures de lutte contre le piratage...
Il suffirait de se pencher pour en prendre la mesure : Calaméo sert aux maisons d’édition françaises, notamment, qui y publient des extraits ou de catalogues de publications prochaines. Mais Calaméo peut également servir à des particuliers, qui uploadent des documents personnels – dont ils devraient détenir les droits, dans tous les cas.
Un vaste balayage avait permis à ActuaLitté de pointer l’ironie de la situation : d’un côté, l’édition française alimente Calaméo en documents, de l’autre, la plateforme hébergerait des œuvres piratées, qu’uploadent des internautes.
ActuaLitté avait recensé – sans exhaustivité – des dizaines de romans et de livres contrefaits dans les espaces de Calaméo. Mais l’entreprise, dans un droit de réponse, tentait de décrédibiliser notre constat – notamment en réfutant la présence de contenus piratés. Peu après, nous avions constaté qu’une partie des documents évoqués dans notre premier article, de même que certains des comptes diffusant des œuvres pirates, avaient été supprimés.
« Nous continuerons à travailler main dans la main avec notre communauté et à développer les systèmes nécessaires pour identifier et bloquer tout contenu qui ne respecterait pas l’utilisation correcte de Calaméo », assurait la société. Soucieux d’obtenir des précisions, nous avons à plusieurs reprises sollicité Jean-Olivier Berard, cofondateur de Calaméo : en vain. Pas plus de nouvelles du côté du service de communication : Calaméo lutterait bien contre le piratage, mais le “comment” restera un mystère.
Ayant réfuté la véracité de nos informations, Calaméo n’apportait ni preuve de ses actions ni d’autres réponses que celle de supprimer les comptes que nous avions pointés. Mais il en reste de nombreux, et les œuvres piratées ne manquent pas.
Ainsi, Astérix le Gaulois, premier tome de la bande dessinée publiée aujourd’hui aux éditions Albert René, propriété du groupe Hachette Livre. On peut d’ailleurs distinctement lire sur la couverture Scan by Ediamah – certainement pas une garantie de légalité. Et bien entendu, la totalité de l’album est disponible en lecture... depuis plus de deux ans.
En fouillant plus loin, le compte de Léa Simonet met en ligne depuis trois ans des ouvrages des éditions Robert Laffont – mais également un Astérix de l’époque où les albums étaient publiés chez Dargaud (on retrouve d’ailleurs le prix exprimé en francs, 34F90, amusant).
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Sur ce même compte le livre Unbreak Me de Lexi Ryan, paru chez Hugo Roman, ou encore Bleeding Hearts, d’Alexandra Harvey, chez l’éditeur Bloomsbury ou encore Tes mots sur mes lèvres de Katja Millay, chez 12-21, l’éditeur numérique du groupe Editis. Les locuteurs espagnols apprécieront pour leur part de retrouver le premier tome de Dune, dans la version traduite par Domingo Santos, datée de 1995.
La présence de contrefaçons dans toutes les langues est assez évidente – bien que nous n’ayons pas insisté dans cette voie. D’ailleurs, si l’on préfère lire les aventures du petit Gaulois en espagnol, le dixième tome, Astérix légionnaire est disponible depuis 7 mois... En revanche, il faudrait se lever matin pour tenter une seconde fois de nier la présence d'oeuvres contrefaites dans le site Calaméo – et surtout, sans apporter de réelles explications sur les outils de lutte contre le piratage.
Le premier problème rencontré est que ni sur la page des documents publiés ni dans l’espace liseuse, n’est mise en avant une fonctionnalité qui permettrait de signaler une œuvre contrefaite. Un premier pas bienvenu vers un nettoyage bienvenu, pour respecter le droit d’auteur.
Dans un coin de ses pages, Calaméo propose pourtant bien une méthode en cas d’infraction constatée au droit d’auteur. Il faut aller chercher en pied de page, dans la rubrique Plus, et ouvrir le menu déroulant, pour tomber sur l’onglet Copyright.
Par précaution, Calaméo indique dans un autre espace, Propriété intellectuelle : « L’Utilisateur est seul responsable du contenu qu’il met à disposition sur le Site, et en particulier de celui qu’il inclut dans ses Publications (ci-après le “Contenu de l’Utilisateur”), et ce quelle que soit la forme dudit contenu. L’Utilisateur s’assure à ce titre de la licéité du Contenu de l’Utilisateur au regard de l’ensemble des dispositions légales applicables. L’Utilisateur s’interdit de publier sur le Site tout Contenu de l’Utilisateur dont il ne serait pas l’auteur ou sur lequel il ne détiendrait pas les droits nécessaires pour effectuer une utilisation de ce contenu sur le Site. » Du classique.
Sauf que l’on ignore encore comment cela peut être vérifié et comment l’entreprise prévient des cas de violation du droit d’auteur. En guise de solution, lorsqu’une infraction est constatée, l’ayant droit est donc invité à faire parvenir une lettre RAR. Une adresse email est également suggérée. (la procédure usuelle est décrite ici)
En tant qu’hébergeur, Calaméo n’effectue que des prestations techniques, facilitant les usages des internautes. Sa responsabilité ne peut donc être engagée que s’il apporte des modifications techniques au contenu publié. En effet, dans un tel cas, il devient éditeur, et là, les choses sont différentes. De même, l’hébergeur doit répondre aux notifications et demandes de retrait, et ce n’est qu’en cas de démonstration de faute à propos dudit retrait qu’il peut être mis en cause.
Qu’en conclure : que rien n’est fait pour faciliter une notification — comme cela peut se constater sur différentes plateformes hébergeant d’autres types de contenus. Allez chercher sur YouTube comment demander en un clic une suppression de contenu… Sauf lorsqu'il s'agit d'un hit de l'été et que la demande vient d'une major.
En regard de notre premier article, Calaméo a agi promptement, faisant disparaître les contenus litigieux que nous avions désignés. Gageons que ceux présentés dans ce nouvel article seront également rapidement dégagés. Reste que, heureusement, on n'en est pas au niveau de Scribd, particulièrement contaminé par la contrefaçon.
« Trouver une approche vertueuse est pourtant assez simple, sans que cela n’implique de lourds développements technologiques », assure Juan Pirlot De Corbion, CEO de YouScribe. La plateforme, fondée en 2011, sur le modèle de Issue ou Calaméo, a profondément évolué, pour aboutir à « une bibliothèque numérique, disposant de contenus premium », précise-t-il.
Ainsi, de l’approche outil, servant à la publication de tout type de document, comme YouTube peut héberger tout type de vidéo, Youscribe a basculé vers une tout autre approche. « La fonction d’upload de documents est toujours accessible et plusieurs médias s’en servent régulièrement », indique le fondateur. Mais pour lutter contre le piratage, la structure a adopté une méthode radicale.
« De fait, tant que l’utilisateur n’a pas été reconnu comme un tiers de confiance, rien ne sera référencé, ni sur les moteurs de recherches externes ni sur le nôtre. » De la sorte, ce n’est qu’après examen, et avoir passé certains barrages — tout contenu de plus de 50 pages est filtré à travers un système de reporting — qu’un document peut être consulté.
En outre, de multiples avertissements sont opposés à l’internaute, durant tout le processus d’upload. Et pour les ayants droit, dans l’hypothèse où un contenu aurait passé les filtres, les éléments de notification pour une demande de retraits sont facilement accessibles.
« Nous avons cherché depuis quelque temps un procédé de lutte qui soit efficace : si une œuvre contrefaite n’apparaît jamais, alors elle ne peut être ni consultée ni partagée. » Et pour qui soulignerait qu’une BD peut contenir moins de 50 pages, la réponse existe déjà : « Nous réduirons cette barrière à une quarantaine, mais d’ores et déjà, la présence de livres contrefaits est combattue activement. »
En outre, précise-t-il, « l'usage de la liseuse mobile et web est accessible gratuitement à tous les éditeurs qui le souhaitent. Elle alimente la visibilité de leurs titres, d'autant plus que la plupart des extraits sont déjà inclus dans le catalogue de YouScribe. »
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