On apprenait, fin juillet, la décision de la préfecture de Police de Paris de déménager les bouquinistes des quais de Seine pour raisons de sécurité, à l’occasion des Jeux olympiques 2024. Risquer de détruire un certain nombre de ces boîtes vertes caractéristiques, et empêcher les libraires des quais de Seine de profiter d’un afflux de touristes et de la période estivale, l'annonce ne passe pas…
Le 04/08/2023 à 16:00 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
04/08/2023 à 16:00
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« Avec quoi ces gens-là vont vivre », se demande celui qui fut du métier durant une dizaine d’années, avant d’ouvrir sa librairie à Montparnasse, Hubert Bouccara. Il développe : « Il s’agit pour beaucoup de leur seule source de revenus. Ils n’ont pas de boutiques de repli. Qu’est-ce qui autorise à retirer leur moyen de subsistance ? Comment vont-ils régler leur facture EDF ? Les bouquinistes sont-ils destinés à devenir des SDF ? Tout ça manque d’abord d’humanité ».
Camille Goudeau, elle-même bouquiniste, co-fondatrice du festival Paname Bouquine avec Elena Carrera, et auteure d’un roman qui témoigne de son expérience de libraire des quais de Seine, Les chats éraflés, ajoute : « Les bouquinistes sont des commerçants très précaires. Certains sont âgés et pourraient difficilement se remettre d’un mois d’arrêt en juillet-août (Les JO 2024 se tiendront du 26 juillet. au 11 août 2024, sans parler des temps de déménagement et de remise en place). On compte sur la saison estivale pour préparer l’hiver. »
Face à cette décision des autorités, cette dernière se dit « très surprise, en colère et attristée ». De son côté, celui qui fut installé quai Voltaire dans le 7e arrondissement, entre Le pont du Carrousel et Pont royal, se demande : « En connaissant leurs conditions, à vivoter, pourquoi ne pas leur laisser profiter de cette manne touristique ? » La raison de cet ordre de déménagement par la préfecture de police de Paris est claire : garantir la sécurité sur les quais à l’occasion de la cérémonie d’ouverture, qui ne sera pas comme à Londres ou à Tokyo dans un stade olympique, mais sur la Seine, à travers un parcours par bateaux.
La ville frappe fort : c’est la première fois depuis le lancement des Jeux olympiques modernes en 1896 qu’une cérémonie d’ouverture ne se déroule pas dans un stade. Jusqu’à 600.000 personnes pourront assister au coup d’envoi des jeux grâce à des tribunes aménagées le long du parcours. Peut-on faire une cérémonie d’ouverture innovante sans casser des boîtes vertes ?
Alors que faire ? La mairie de Paris a proposé de déplacer les boîtes à Bastille lors d’une réunion de concertation le 10 juillet dernier. Hubert Bouccara analyse : « Ils veulent faire une sorte de village des bouquinistes, de grande brocante. Déjà ils ne pourront pas tous les mettre, ensuite ce ne seront pas des boîtes, mais sous des tentes, avec là un risque de pillage. C’est infaisable. » Comme il a été largement rappelé, la catastrophe serait autant financière que matérielle : « Ce ne sont pas des stands que l’on peut délocaliser comme ça », décrit Camille Goudeau.
Face aux dégradations jugées inévitables de certaines boîtes — pour certaines installées depuis plus de 50 ans - lors du transport, la municipalité évoque la possibilité de les rénover, mais aucune garantie n’a pour le moment été donnée dans ce sens : « Et elle va aller où la marchandise ? On va tout mélanger ? », relève Hubert Bouccara.
Tous deux plaident, comme une grande partie des bouquinistes présents lors de la réunion avec la mairie, pour le maintien des boîtes à leur place : « On pourrait simplement les fermer, mettre des barrières de protection, avec la police tous les 50 mètres », suggère le libraire du XIVe arrondissement. Autre proposition, changer le trajet : « Passer au niveau de la Concorde ou du Trocadéro par exemple, il n’y a pas de bouquinistes, là-bas, ni d’habitation d’ailleurs. » La cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques 2024 se tiendra cette fois-ci entre la Place de la Concorde et les Champs-Élysées.
Camille Goudeau reprend à son compte, la jugeant « pas trop mauvaise », une seconde proposition de la mairie : laisser les boîtes à leur place, scellées et fermées 7 jours avant et durant les Jeux, et de faire venir le déminage. Reste la problématique de ne pas pouvoir profiter des festivités et leurs retombées économiques, non négligeables. Contactée par ActuaLitté, la mairie n’a pas encore répondu à nos sollicitations au sujet de sa position actuelle. Rappelons que la décision finale appartient à la préfecture de police, également sollicitée par ActuaLitté.
La maire du 5e arrondissement de Paris, Florence Berthout, qui a déposé la candidature des bouquinistes au patrimoine immatériel de l’Unesco, accompagnée du président de l’Association culturelle des Bouquinistes de Paris Jérôme Callais, regrette que la mairie n’ait pas convié à cette réunion de concertation du 10 juillet les mairies d’arrondissement concernées.
Cette dernière demandera à la rentrée une réunion tripartite entre les maires, les représentants des libraires des quais de Seine, et la préfecture et la mairie de Paris. Son objectif est de proposer une solution qui garantit à la fois la sécurité, tout en maintenant cette activité « qui fait notre fierté, une singularité multiséculaire de la capitale ».
Pour le moment, l’élue penche pour une fermeture des boîtes durant la soirée d’ouverture, avec des mesures de sûreté appropriées, puis de faire participer les bouquinistes aux festivités.
Il y a les questions économiques et logistiques, mais aussi la dimension symbolique de cette décision. Hubert Bouccara développe : « Les bouquinistes existent depuis 450 ans. Et depuis qu’ils sont régis par l’hôtel de ville, personne n’avait pensé à les retirer. Même durant l'Occupation, on ne les a pas bougés de leur place. J’ai trouvé, et des amis également, des photos d’époque où des soldats allemands farfouillent à la recherche de livres. »
Pour la co-fondatrice du festival Paname Bouquine, les bouquinistes ne sont pas « simplement des gens qui vendent des livres », mais choisissent cette activité par « passion de la rue, des livres, du contact particulier avec les gens qui s’arrêtent ». Avec Paname Bouquine, dont la 3e édition s’est tenue en juin dernier, elle la romancière relie les libraires des quais de Seine avec les street artistes, le spectacle de rue, la littérature contemporaine… afin de mieux vivre cette relation à l’espace public, entre échanges et transmissions auprès des jeunes générations.
« C’était une occasion rêvée de présenter le métier, nos ouvrages, notre culture, ce travail collectif », se déplore-t-elle, et de continuer : « C’est clairement pour nous une grosse claque. On se sent un peu comme des objets remplaçables à l’envie. La France et la littérature entretiennent un lien unique au monde, qui prend place dans la rue. On scinde par ailleurs sport/divertissement et culture, alors que ça devrait fonctionner en symbiose. »
« Hélas, comme cela arrive très souvent, on sépare rigoureuse ce qui qui relève du domaine sportif et du culturel », confirme Florence Berthout, qui se demande par ailleurs si le ministère de la Culture a été convié à la réunion de la mairie de Paris de juillet dernier.
La rue, c’est également une pénibilité spécifique : « C’est très dur », témoigne Hubert Bouccara : « Un coup il fait trop chaud, un coup trop froid, d’autres moments il pleut… » Dans l’absolu, un bouquiniste doit être présent au moins 4 jours par semaine, avec la possibilité de se faire remplacer une fois. En échange, ils n’ont ni loyer ni charges à payer.
Celui qui possède toujours beaucoup d’amis dans le métier intrinsèquement lié à la capitale, a lancé le 26 juillet dernier, une pétition pour les soutenir, s’engageant malgré d’importants soucis de santé qui l’ont récemment forcé à passer un mois entier à l’hôpital.
Une initiative qui révèle l’attachement des Parisiens et des Français à cette particularité hexagonale : « Les commentaires sont unanimes, on n’imagine pas Paris sans les bouquinistes. Il y a même des signataires des États-Unis et d’Israël », s'étonne Hubert Bouccara. » La pétition réunit actuellement plus de 53.000 signataires. Les bouquinistes sont déjà inscrits au patrimoine culturel immatériel français depuis 2019.
À LIRE;18 nouveaux bouquinistes sur les quais parisiens en 2022
Le libraire termine en forme d’interrogations : « Qu’est ce que cette ville va devenir sans les bouquinistes ? » Le libraire parisien a par ailleurs reçu le soutien de l’association Urgence Patrimoine, qui se propose d’épauler toute action pour empêcher le déménagement des boîtes vertes. Des avocats, clients des bouquinistes, ont également proposé leur service aux libraires dans cette même optique.
Florence Berthout, qui milite également pour l’ouverture des commerces le dimanche durant les Jeux, espère trouver une solution de compromis, pragmatique, dépassionnée, par l’entremise d’une réflexion entre tous les partis : « Sacrifier une activité essentielle n’est pas la réponse appropriée », conclut la maire du Ve arrondissement de Paris.
La préfecture de police de Paris nous confirme « la nécessité » de l’enlèvement des boîtes installées sur les quais, pour des raisons « évidentes et impératives » de sécurité, dans le cadre du périmètre de protection mis en place pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques.
Et d’ajouter : « Des discussions auront lieu à la rentrée entre les acteurs concernés, l’objectif étant d’aboutir à la réinstallation des boîtes le plus rapidement possible, après remise en état le cas échéant, la ville ayant pris un engagement en ce sens pour que la gêne soit la plus limitée possible. »
Crédits photo : Francesca Mantovani (Gallimard) / Mairie du Ve arrondissement
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 02/03/2023
204 pages
Editions Gallimard
8,90 €
11 Commentaires
jujube
05/08/2023 à 05:12
De tout mon coeur, j'espère qu'on trouvera une solution qui convienne tant aux bouquinistes comme aux responsables de l'idée de les déplacer des quais. Sans les bouquinistes, les quais resteront nus et tristes et l'âme de ceux qui les aiment pleurera en secret. Paris aussi.
Bridie
05/08/2023 à 16:52
Je suis complètement d'accord avec vous. Comme anglaise francophile, mes séjours à Paris ne sont jamais finis sans une flânerie le long des quais, où j'ai passé des moments enrichissants en parlant avec des bouquinistes.
Je suis avec les bouquinistes de loin!
Cyril Van Eeckhoutte
05/08/2023 à 10:28
Dire que j'avais proposé ma candidature au directeur pour devenir bouquiniste sur les quais de la Seine à Paris...
serge Dupont-Valin
05/08/2023 à 12:22
« Vieux bouquiniste,
Belle fleuriste
Comme on vous aime,
Vivant poème !
Sur les quais du vieux Paris,
De l'amour bohème
C'est le paradis... »
(Chanson de Lucienne Delyle)
Comme Notre Dame, la tour Eiffel, le Louvre, les ruelles de Montmartre ou la place des Vosges, les bouquinistes sont l’âme de Paris. Et l’on voudrait en effacer l’image ? Mais au contraire, mettez-les en lumière lors de la cérémonie d’ouverture, ils sont Paris, ils sont la ville lumière et associons sport et culture, non ? Faites ce pas en avant…
Serge Dupont-Valin
Duraffourg xavier
05/08/2023 à 21:13
Charles Nodier, Anatole France, Remy de Gourmont et bien d'autres (!) vont se retourner dans leurs tombes.
Les bouquinistes et autres libraires anciens sont les derniers zélateurs et gardiens d'une tradition bien française qui vénère à la fois la littérature, les écrivains et les livres dans leur substance charnelle parce qu'il faut de la morasse et du poinçon, de l'encre et du labeur pour faire du livre et de l'estampe cette matière onirique qui saisit notre affectivité profonde lorsqu'on s'en saisit. Un livre, plats, tranches et dos est un corps à part entière qui nous offre fraternellement son contenu, son histoire et son aura au sens benjaminien du terme.
Que serons-nous quand tout sera immatériel et désincarné ?
Les âmes du purgatoire numérique.
J'espère que les édiles parisiens sauront raison garder.
Car les bouquinistes comme les scribes antiques, tout modestes qu'ils apparaissent, sont toutefois les vrais hérauts de la galaxie Gutenberg !
jujube
06/08/2023 à 06:51
J'ai bien aimé votre définition du livre.
Merci.
PHL
06/08/2023 à 01:14
C'est la culture qu'on assassine au nom du barnum sportif. Vive le fric à bas la culture : un pur scandale d'état !!!
caylar
06/08/2023 à 04:46
JE PENSE QUE C'EST D'UNE STUPIDITE TOTALE ET INCROYABLE AVEC UN MEPRIS TOTAL DU PASSE DU QUARTIER LATIN ET DES QUAIS DE LA SEINE ET DES BOUQUINISTES
jE REVIENS QUELQUES FOIS DANS LE QUARTIER LATIN OU J'AI HABITE ET FAIT TOUTES MES ETUDES LES LIBRAIRES ONT PRESQUE TOUTES DISPARUES ;
VOUS TROUVEREZ MACDONALD ET BURGERKING RUE SOUFFLOT ET QUICKBURGER BVD SAINTMICHEL
FORMIDABLE NON
LE TRAIT PEUT PARAITRE FORT MAIS MADAME HIDALGO ME RAPPELLE MADAME CEAUSESCU EN ROUMANIE MAIS JE NE LUI SOUHAITE PAS SON SORT
lES JEUX OLYMPIQUES VONT COUTER DES IMPOTS SUPPLEMENTAIRES AUX PARISIENS ET ET A TOUS LES FRANCAIS
BRAVO ET CONTINUONS COMME CELA
Caroline
10/08/2023 à 14:38
"mettre des barrières" ça ira mieux.
PHL
13/08/2023 à 08:47
L'alibi sécuritaire n'est que le faux nez du spectacle de la marchandise sportive.
mikael
22/08/2023 à 14:01
Mais comment ces gens qui sont censés réfléchir, en principe, sont ils devenus si cons? Brassens le chantait si bien "on n'a peu de chance con de détrôner le roi des cons." Et ils sont nombreux sur la liste.