Avec son recueil de nouvelles, Extorsion (trad. Jean-Paul Gratias, Rivages, 2015), James Ellroy exhibait pour la première fois Freddy Otash, personnage directement inspiré du vrai Fred Otash. Ancien flic ripou au LAPD, il devint journaliste à scandale, détective privé, mais aussi maître chanteur, proxénète, et finalement tout ce qui pouvait apporter de l’argent dans les mondes interlopes du Los Angeles d’après-guerre. Le voici de retour dans un roman délirant et provocateur, où il côtoie John Kennedy, James Dean, ou le premier flic de La Cité des Anges, William H. Parker. Que du beau monde…
Le 30/05/2022 à 09:15 par Hocine Bouhadjera
368 Partages
Publié le :
30/05/2022 à 09:15
368
Partages
« La société où vous vivez a pour but de vous détruire. Vous en avez autant à son service. L'arme qu'elle emploiera est l'indifférence. Vous ne pouvez pas vous permettre la même attitude : passez à l'attaque ». Michel Houellebecq dans Rester vivant. Sacrée vision !
Les grands lecteurs du non moins grand James Ellroy le savent : tous les romans de ce dernier prennent place dans une Amérique qui se veut réelle, s’appuyant sur de véritables faits divers comme de vraies figures de l’Histoire hallucinée du pays de John Wayne. Mais ce qui intéresse en priorité l’écrivain, c’est dévoiler les vrais visages derrières les masques de la représentation, et l’envers du décor de ces grands événements présentés au public dans un récit officiel. The Irishman de Martin Scorsese a été l’occasion de découvrir les coulisses mafieuses des élections qui amenèrent John F. Kennedy au pouvoir, quand dernièrement, pour la France, Éric Vuillard révélait les dessous de la guerre d’Indochine.
On a appris également, à l’occasion de la sortie d’Hollywood Babylone et Retour à Babylone (Trad. Gwilym Tonnerre), du luciférien Kenneth Anger, que l’industrie à rêve américaine (et de Soft Power) avait sa part sombre, et c’est un euphémisme. À ce sujet, James Ellroy a décidé d’enfoncer le clou. L’auteur du Dahlia noir (Trad. Freddy Michalski) connaît d’ailleurs parfaitement le Los Angeles des années 46-58, années où se déroule la majeure partie du récit, puisque c’est dans cette période que se situe son premier Quatuor de LA.
Elles sont aussi les grandes années de Freddy Otash. On le retrouve d’abord en 2020 dans une prison. L’ordure veut se confesser. Il est enfermé depuis 28 ans. On passe par l’année 92 avant d’entrer dans le vif de la pénitence du violent ancien Marine, et parfois si tendre « Libanais lascif ». On est en 46, et le policier Otash tue un délinquant désarmé qui a blessé un flic, c’est la coutume. Il est baptisé au LAPD et à la psychose. Un état mental sur lequel il s’appuiera pour la suite de sa « carrière. » L’homme est torturé. Pourri jusqu’à l’os. « Je suis terriblement corruptible et appâtée par le gain. Je vis pour la calomnie en cavale. C’est mon destin existentiel. »
Rien ne l’empêchera de se laisser aller à toutes les corruptions, en compagnie de tous les vicelard(e)s, de quoi joliment arrondir ses fins de mois, entre infos de première main pour les tabloïds, trafics de vidéos interdites, de cartes vertes… Avant de se faire virer de la police pour une raison à découvrir... Il se lance alors dans le journalisme à scandale, et propose de révolutionner un journal à ragots, Le Confidential. Comment ? À coup d’écoutes, de soudoiement, de son vaste réseau ; et contre les risques judiciaires, de menace physique… « On a créé la culture des médias modernes qui déballent tout. » Il devient « le roi du scandale », le plus renseigné de la Cité des Anges (exterminateurs).
On bascule dans le roman noir et la farce, où les enquêtes s’entremêlent, et les figures, réelles et délirées, défilent, entre l’acteur de série B Steve Cochran, dit « Steve Zob », à l’attirail nazi fourni et au projet de film très particulier… Liz Taylor et ses parties à trois, l’homosexuel Rock Hudon à qui l'on doit trouver une femme pour sa carrière, John Kennedy qui trempe dans une sale histoire de meurtre, Simon Liberace légèrement plus trash que chez Soderbergh… Marlon Brando sous son plus beau profil, ou encore James Dean, personnage important qui passe de débutant détraqué à star d’Hollywood, sans avoir rien perdu de sa démence première. Et autour, une galerie de personnages plus cinglés les uns que les autres, et les noms d’anciennes stars hollywoodiennes qui défilent bien après le générique (vintage Hollywood oblige). Même Sartre en prend pour son grade.
Otash carbure au Dexedrine et au Old Crow, enquête sur un ancien réseau de communiste dans le contexte du maccarthysme, ou cherche les prochains scoops pour le Confidential grâce aux micros qu’il a placés dans les différents hôtels et maisons de stars, avec son équipe de Marines que la guerre de Corée a cassée. Comme dans le dernier Céline, on retrouve même l’arnaque du faux mari qui prend sa femme en flagrant délit d’adultère, avant de demander réparation…
À l’image de La Tempête qui vient (Trad. Jean-Paul Gratias et Sophie Aslanides), qui précède ce livre, les intrigues s’entrelacent et l’action cavale. Une littérature à l’os, sans fioriture. Le souffle du grand Ellroy, 74 ans, n’est pas coupé, et sa verve sans retenue rappellera au Pulp de Bukowski. « Vulgarisez et vitalisez. Fabriquer un parler phénoménaaaal. Faites en chanter la débauche. » L’univers corrompu de l’auteur de la saga Underworld USA fait toujours autant d’effets, à base d’affaires aux ramifications politiques, judiciaires et médiatico-artistiques.
Des running gags, comme les séances d’interrogatoire des Hats, molosses du super flic Parker, participent à l’humour noir de l’auteur de Perfidia (Trad. Jean-Paul Gratias). Une oeuvre plus réjouissante que réaliste, tant l’auteur prend un malin plaisir à transformer des situations historiques, comme le tournage de La Fureur de vivre, en véritables délires et jeux de massacre. Les résolutions des différentes histoires sont balancées, et la dernière partie perd un peu du souffle des deux précédentes.
Un texte jubilatoire pour ceux qui aiment le trash, le (faux) bête et méchant ; moins ambitieux que d’autres de ces textes, mais tellement bien mené.
Paru le 11/05/2022
329 pages
Rivages
23,00 €
Paru le 11/05/2022
763 pages
Rivages
12,00 €
Paru le 11/03/2015
135 pages
Rivages
6,00 €
Paru le 17/08/2016
928 pages
Rivages
10,50 €
Commenter cet article