Attendue comme le Père Noël, l'offre d'abonnement Kindle Unlimited vient enfin de jaillir, avec fanfare et tambours. Une communication qui s'appuie sur plus de 768.000 ouvrages, dont 20.000 en français, avec un premier mois d'essai à 99 centimes. Du bonheur, mais qui soulève plus que jamais la question de la légalité de cette offre d'abonnement, quel qu'en soit le prestataire.
Le 12/12/2014 à 10:39 par Nicolas Gary
Publié le :
12/12/2014 à 10:39
On trouve de jolies choses dans le catalogue de Kindle Unlimited : des éditeurs Eyrolles, La Musardine sont présents, ou encore un catalogue de BD avec, notamment, Mango Jeunesse ou Fleurus, et de la fantasy avec Bragelonne et même le Dictionnaire de la philosophie de l'Encyclopédia Universalis. Bien entendu, la saga Harry Potter est disponible.
Il était une fois, une proposition de loi...
Pour structurer son offre, Amazon s'appuie largement sur les titres d'autopublication, qui permettent de faire augmenter le nombre de livres proposés en français. Parce que les éditeurs sont encore frileux : en effet, on remarquera l'absence des grands groupes éditoriaux comme Hachette Livre, Editis et Gallimard/Flammarion, Actes Sud ou Albin Michel. Petit ajustement : on retrouve des titres Monsieur, Madame, dont les versions papiers sont publiées par Hachette Jeunesse, mais pour lesquels la maison ne dispose pas des droits numériques.
Une absence qui laisse songeur, alors même que le PDG d'Editis, Alain Kouck, ne semblait pas avoir d'objection à s'engager dans l'offre d'abonnement. « On ne combat rien du tout, notre souci que les œuvres de nos auteurs, dans lesquelles on investit, puissent rencontrer leur public. Le seul souci, c'est de connaître les conditions dans lesquelles cela peut se réaliser. »
Si les frimas hivernaux justifieraient à eux seuls la frilosité de ces derniers, peut-être s'agit-il aussi de questionnements justifiés. Qu'en est-il de la conformité d'une offre d'abonnement, en regard de la loi sur le prix du livre numérique ? Il faut arriver à remonter le temps, pour mieux comprendre ce texte. Initialement, la proposition de loi présentée par Catherine Dumas et Jacques Legendre disposait :
Les offres groupées de livres numériques, en location ou par abonnement, peuvent être autorisées par l'éditeur, tel que défini à l'article 2, au terme d'un délai suivant la première mise en vente sous forme numérique. Ce délai est fixé par décret.
Autrement dit, l'offre d'abonnement était prévue par le législateur, et dans les prémices du texte de loi, ce dernier envisageait l'introduction d'une chronologie des médias, permettant à l'éditeur de constituer une pareille offre, après un certain délai. Oui, à l'éditeur...
Les offres groupées, sous le contrôle de l'éditeur
Au terme des débats parlementaires, il est apparu que cette disposition ne convenait pas aux professionnels, et la Commission du Sénat a choisi de supprimer cet article. La contrepartie fut alors de prévoir que les offres d'abonnement entreraient dans le champ d'application de l'article 2 de la loi. Il dispose que l'éditeur fixe le prix pour les offres groupées de livres numériques.
À l'article 3, la Commission de la culture du Sénat a supprimé une disposition qui encadrait la pratique des offres groupées de livres numériques, de type location ou abonnement, en prévoyant qu'elles ne pouvaient porter que sur des livres numériques commercialisés depuis un certain délai. Elle a parallèlement élargi l'application de l'article 2 à ce type d'offres groupées afin qu'elles entrent bien dans le champ d'application de la loi et se voient donc attribuer un prix de vente par l'éditeur, tout en supprimant toute notion de chronologie de vente.
L'article 2 de la loi sur le prix unique du livre numérique devenait donc le garant de la fixation par l'éditeur d'un prix de vente, et ce dernier était alors tenu, pour assurer la diffusion commerciale en France de « fixer un prix de vente au public pour tout type d'offre à l'unité ou groupée».
Il faudrait alors se montrer particulièrement retors pour nier que l'expression « offre groupée » ne puisse pas qualifier et donc englober une offre d'abonnement. Tout porte alors à croire que le législateur estime qu'une offre d'abonnement, qui ne serait pas pilotée par un éditeur directement, ne serait pas conforme à la loi.
"Une légitime défiance des éditeurs français"
Du côté des organisations professionnelles, obtenir une réaction est plus délicat. Le Syndicat national de l'édition est aux abonnés absents sur le sujet. Les maisons elles-mêmes, indépendamment du syndicat, sont confuses : étant donné qu'il s'agit d'une offre commerciale, cela relèverait, dit-on, de la politique propre à chacune. Mais sur la question de la légalité, il est plus douloureux d'obtenir une réponse claire.
Nous avons d'ailleurs tenté de joindre Vincent Montagne, président du SNE, et président de Média Participation (qui comporte entre autres Dargaud, Dupuis, Le Lombard ou Fleurus). En effet, depuis quelque temps, une offre de BD de son groupe, ainsi que des titres de Fleurus sont proposés en abonnement chez d'autres services d'abonnement – un choix qui fait grincer des dents. Pas de réponses non plus du Syndicat de la librairie française.
Pour Vincent Monadé, président du Centre National du livre « la faiblesse de l'offre en français démontre la légitime défiance des éditeurs français sur cette proposition émanant d'un opérateur qui, jusqu'à présent, a surtout refusé de jouer le jeu du respect de la chaîne du livre et de la fiscalité de notre pays. Au-delà, dans ces modèles d'abonnement, la question de la rémunération juste et équitable des auteurs demeure prégnante.
Enfin, il faudrait disposer d'une véritable étude juridique : l'abonnement est-il compatible avec la loi sur le prix unique du livre et du livre numérique ? Aujourd'hui je n'en sais rien. Sur le fond, l'abonnement est refusé aujourd'hui par presque tous les éditeurs français et ceux-là mêmes qui s'y engagent le font avec prudence, pour tester le modèle économique plutôt que pour le valider. Les uns comme les autres sont, je le crois, bien inspirés de garder raison. »
Et, en effet, pour les auteurs, la question tourne également autour de cette légalité de l'offre, mais avant toute chose, quid de la rémunération dans ces offres ? On sait, pour exemple, que les éditeurs britanniques se sont retrouvés embarqués de force dans l'offre Unlimited, par un habile procédé. Les maisons concernées seraient « impuissantes » à retirer contractuellement leurs propres titres du nouveau service d'Amazon.
Car la firme de Jeff Bezos les rémunère selon son modèle revendeur, c'est-à-dire que, chaque fois que ces titres sont consommés via Unlimited, les éditeurs sont rétribués comme s'ils avaient été acquis au détail. Et de même pour leurs auteurs – il faut toutefois qu'une certaine quantité du livre soit parcouru, pour que cela s'applique. Bien entendu, cette parade n'est possible que dans un pays ne disposant pas de législation par laquelle l'éditeur fixe un prix de vente.
Une offre multiéditeur consentie ? Certainement pas !
Le contrat d'édition, qui a été formalisé ce 10 décembre par la signature d'un accord entre le Syndicat national de l'édition et le Conseil Permanent des Ecrivains, évoque pourtant bien la rémunération des auteurs, dans le cadre d'offres d'abonnement. Mais à la condition sine qua non qu'elle provienne d'un éditeur. Ainsi :
dans les cas où il n'y a pas de prix de vente à l'unité (bouquets, abonnements, etc.), l'auteur sera rémunéré sur la base du prix payé par le public au prorata des consultations et des téléchargements de l'œuvre. Les modalités de calcul du prix public de vente servant de base à la rémunération, lorsqu'il fait l'objet d'une reconstitution par l'éditeur, seront communiquées à l'auteur, sur simple demande de celui-ci. Dans l'hypothèse où l'éditeur ne serait pas en mesure d'effectuer ce calcul, l'auteur sera rémunéré sur les recettes encaissées par l'éditeur au prorata des consultations et des téléchargements de l'œuvre.
Il se trouverait toujours un joyeux farfelu pour opposer que, après tout, les éditeurs peuvent très bien s'accorder pour que le prix de vente de leurs œuvres soit de 9,99 €. Mais l'argument se balaye comme une feuille (même de papier électronique) sur un trottoir : une offre multiéditeur serait tout simplement une entente sur le prix. Il est donc impensable, et donc impossible que les éditeurs fixent ensemble le prix de vente de leurs œuvres.
Quant à entendre que l'offre d'abonnement d'Amazon participe à la promotion de la lecture, cela prête à sourire. Plus il y a de lectures sur un ouvrage, moins le service est rémunérateur pour Amazon. Raison pour laquelle le catalogue est le plus fourni possible.
Enfin, l'arrivée de Kindle Unlimited s'accompagne, plus discrètement, d'un coup de fouet aux orties pour les professionnels. Sur les pages des ouvrages inclus dans l'offre d'abonnement, on peut lire cette mention : «Lisez ce titre pour 0,00 € et obtenez un accès illimité à plus de 700 000 titres, dont plus de 20 000 en français. » Une note qui frise la provocation, aux yeux de beaucoup, autant qu'irrespectueuse, du travail des éditeurs, et plus encore, de celui des auteurs.
Il est vrai que, présenté de la sorte, n'importe quel écrivain pourrait se demander, sans limites, ce que peut bien valoir son livre...
Commenter cet article