Le couvre-feu national qu’a instauré le gouvernement fait frémir les commerces. Pour la librairie, qui sort d’une année où le pire a été évité, ces deux semaines de nouvelles mesures sanitaires contraindront-elles à une adaptation nouvelle? Pourtant, certains s’interrogent : la nécessité de limiter les déplacements, en regard du contexte sanitaire, oui, mais pourquoi dans ce cas encourager les commerces à ouvrir le dimanche ?
Publié le :
15/01/2021 à 10:56
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À La Manœuvre, librairie du XIIe arrondissement à Paris, Jérôme Cuvilier le souligne : « Nous mesurerons les impacts rapidement : la boutique fait l’essentiel de son chiffre d’affaires sur deux périodes 12/14 h et 18/20 h. En l’état, j’imagine mal des gens qui sortiraient du travail pour acheter des livres entre 16 et 18 h : les journées de boulot deviendraient courtes. »
L’établissement a opté pour une ouverture plus matinale, dès 9 h. « Généralement, nous sommes fermés quand les gens partent au travail. En ouvrant une heure et demie plus tôt, on espère capter un flux de clients supplémentaire durant la période. » Et pour ce qui est du dimanche, La Manœuvre accueille toujours ses clients l’après-midi. « On module, entre 14/19 h ou 15/20 h selon les saisons. Là, on bascule sur 13/18 h, mais rien ne garantit le succès : le dimanche est souvent plus propice aux balades en famille qu’à des achats. »
LIBRAIRIES: la douloureuse année Covid
Après un mois de décembre où les ventes ont explosé, entre 20, 30 voir 60 % de croissance, pas question d’ouvrir cependant le lundi en plus. « Les libraires sont à genoux après le mois passé : les faire bosser tous les jours, ça nous envoie dans le mur, avec burnout et arrêts maladie. Il faut souligner que le confinement n’est pas vécu de la même manière selon que l’on soit en télétravail chez soi ou en boutique avec des clients. Il faut avant tout ménager les équipes. »
Toutefois, janvier reste un mois fort de l’année, avec sa rentrée littéraire — certes moindre qu’en septembre. Mais bien plus significatif qu’en mai. Julie Houillon, de la librairie Momie de Clermont-Ferrand le souligne : « D’abord, je suis forcément inquiète à l’idée de nous voir amputés d’une partie de notre amplitude horaire. Ce créneau nous permettait de toucher les personnes qui sortent du travail. Ici, nous réalisons 1/3 du chiffre d’affaires journalier sur le créneau 16 h-19 h. »
COVID: un couvre-feu national pour la France à 18 h
Pour cette fameuse journée du dimanche, elle pointe l’autorisation annulée par le tribunal administratif, pour tout le Puy-de-Dôme. Il estimait que l’ouverture dominicale risquait « d’augmenter de fait les jours de circulation et donc de contamination par le virus, alors même que la période officielle des soldes ne commence que le 20 janvier ».
La librairie La Manoeuvre adapte ses horaires...
Le réseau Momie qui compte une dizaine de librairies s’est posé la question d’ouvrir le dimanche. « Personnellement, je trouve difficile de demander un effort supplémentaire à mes salariés déjà très sollicités en décembre et qui subissent déjà eux aussi la situation stressante. » Et d’ajouter : « Je ne crois pas non plus que les clients des librairies viendront entre 9 h et 10 h. »
La perspective attendue serait alors un décalage des pics de fréquentation, avec des clients qui adaptent eux aussi leurs horaires. « Mais enlever une heure de liberté à nos clients qui ont déjà beaucoup à faire entre les enfants, les courses, etc. se fera à mon avis de toute façon au détriment des loisirs. »
Située à Lisieux (commune de 20.000 habitants), la gérante de la librairie Les grands chemins, Anne-Sophie Baert, se montre plutôt optimiste. « Ici, nous fermons à 19 h, alors, évidemment, nous avancerons l’horaire d’ouverture, pour nous conformer au couvre-feu. Mais dans l’ensemble je ne vois pas très bien ce que cela changera. » En effet, depuis l’instauration du premier couvre-feu à 20 h, la libraire observe une raréfaction des lecteurs dans le créneau 18/19 h.
« L’impact ne devrait pas s’avérer trop important, d’autant que janvier est pour nous un mois creux. Une partie de nos clients viendra entre midi et deux heures, et l’expérience nous a montré que les gens se sont déjà parfaitement adaptés aux multiples modulations mises en place. Nous avons, à ce titre, la chance de jouir d’une clientèle extrêmement attachée au lieu. »
Au cours de l’année passée, les soutiens multiplés et les encouragements ont aidé à tenir bon. « Il faut rester optimistes, sinon nous arrêtons nos métiers. Bien entendu, cela m’a mis un petit coup au moral, parce qu’il faut une fois de plus s’adapter. Cependant, d’un point de vue économique, je ne suis pas inquiète. D’abord, nous sommes à peine remis de décembre qui a été un mois exceptionnel. Ensuite, comme les lecteurs seront confinés plus tôt, ils achèteront certainement plus de livres. »
De son côté, Sandrine Babu, qui a ouvert L’Instant dans le XVe arrondissement de Paris en novembre 2017, reconnaît « n’avoir pas été très étonnée : l’annonce bruissait depuis quelques jours. Sur le bien-fondé de la mesure, je n’en sais rien, mais pour la capitale, un tel changement devient compliqué. Et pour la librairie, c’est évidemment plus délicat ». Les ventes réalisées entre 18 et 20 h « sont loin d’être négligeables. J’ouvre déjà à midi, impossible de jouer sur ce créneau. Penser que les clients viendront le matin, c’est une option à réfléchir, je me donne le week-end pour trouver… »
De toute évidence, changer les habitudes des Parisiens n’est pas chose aisée, « même si tout le monde devra s’adapter. D’autant que le click & collect ne fonctionnera pas tant que cela : personne ne viendra chercher les livres commandés entre 18 et 20 h, alors cette option, je la laisse de côté ».
Pour cette petite librairie, l’incertitude ronge : « Il va falloir préserver le chiffre d’affaires, conserver les résultats — j’ai engagé une personne à mi-temps que je souhaite pérenniser… Après tout, l’instabilité a marqué l’année 2020 : qui dirait ce qu’il en sera de 2021. » Pour elle, l’unique variable serait l’ouverture le lundi, « mon unique journée de repos durant la semaine ».
Le président du groupe Gibert, Marc Bittoré, pointe que le mois de janvier commence de manière très dichotomique. « Durant la première semaine, nous avons, comparativement, enregistré une croissance de 10 % en regard de la même période de 2020. Mais la seconde, plus morose, nous a fait perdre toute l’avance : au final, à ce stade de janvier 2021, nous enregistrons des résultats en tous points comparables à ceux de l’an passé. »
Un effet météo, avec le brusque refroidissement, une inquiétude, ou au moins une attente des annonces présentées ce 14 janvier, les causes sont multiples. Mais le groupe n’envisage pas de généraliser une ouverture le dimanche pour pallier les manques. « C’est d’une part complexe pour la clientèle, qui n’est pas forcément présente. D’autre part, en termes opérationnels, nous ne sommes pas persuadés de la nécessité de cette mise en place. »
Pour l’heure, les développements qu’envisage l’entreprise se poursuivent, notamment après un récent rendez-vous concluant, mené avec la Semaesst. « Nous effectuions un point sur les locaux disponibles pour déployer notre projet de corner Gibert, et les projets se poursuivent. »
Dans le sud-ouest, Ingrid Filet et Marie Hamon, qui ont inauguré Rêves de mots à Pessac (Gironde) en février 2020, prennent les choses avec le sourire, et philosophie. « Nous aimons les défis », plaisantent-elles. « Après l’année chaotique de 2020, nous laissons venir, de toute manière, il n’y a pas d’alternatives. » L’établissement, spécialisé dans la jeunesse, garde donc le moral.
Toutes deux sont allées chercher les informations auprès de consœurs et confrères basés dans l’Est, qui connaissent depuis plusieurs semaines le confinement à 18 h. « Manifestement, il n’y a pas de baisse significative des ventes pour eux. Les reports à la pause méridienne s’effectuent facilement, et nous ouvrirons le lundi désormais. De toute manière, c’est moins terrible qu’un véritable confinement… »
Pour ces jeunes entrepreneuses, il faut de toute manière se faire connaître. « Nous préparons la communication sur les réseaux sociaux, en expliquant les modifications, la poursuite du click & collect ou encore les changements d’horaires. Bien sûr, nous devons réadapter notre organisation personnelle, mais les clients sont aussi habitués aux changements. Cela devrait bien se passer… »
4 Commentaires
Libre sans air
16/01/2021 à 17:34
Délicate question : s'adapter ou s'adapter. Le choix est impressionnant...
De toute manière, fin du click & collect avec ce couvre-feu, personne ne viendra chercher de livres, plus le temps.
Ce sera pire encore pour les restos qui faisaient de l'emporter, cela dit : on mange rarement à 17h45...
Ensuite, les horaires de midi risquent d'être accaparés par d'autres emplettes, pour ceux qui peuvent.
Et qui quittera le travail à 16h30 ira faire des courses pour le soir même.
Maintenant, cela ne doit durer que 15 jours. Jouable. Pénible, mais jouable. Le prolonger de 15 jours sera déjà plus délicat.
Mazon
17/01/2021 à 07:03
A la question "oui, mais pourquoi dans ce cas encourager les commerces à ouvrir le dimanche ? " la réponse est simple : pour faire plaisir à la grande distribution qui en rêve depuis longtemps.
Et surtout pour préparer le monde d'après car cette mesure, ne soyons pas dupe, et surtout pour le monde d'après.
Ces heures d'ouvertures réclamées depuis longtemps par la grande distribution, refusées par les syndicats pour refus de destruction de la vie familiale des employés, vont être mise en place sous couvert de COVID et de baisse des luttes syndicales, et après on laisse en place et le tour est joué.
Le MEDEF en rêvé, Macron l'a fait, comme toujours.
Libraire épuisée
17/01/2021 à 21:05
Très bon article. Par contre le réseau momie qui compte plusieurs dizaines de librairies ? Dommage !
Team ActuaLitté
17/01/2021 à 21:08
En effet, le rédacteur a eu la main un peu lourde.
On le renvoie à ses bandelettes ^^