Voilà quelques jours, le président de l'Association des éditeurs indépendants, Gérard Cherbonnier, également directeur des éditions du Petit pavé, tirait la sonnette d'alarme. À l'occasion du Salon L'autre livre, qui se déroulera du 16 au 18 novembre, les éditeurs indépendants sont anxieux, tout en acceptant « de vivre en grande partie dans la précarité, par nécessité, passion, engagement philosophique ».
L'Autre livre doit réunir des éditeurs qui aujourd'hui prennent la parole, réagissant aux propos de Gérard Cherbonnier :
L'industrie du livre aux mains de ces groupes financiers pratique les recettes habituelles de monopole de distribution et de vente, de réseau médiatique et de déferlement publicitaire, et fait perdre ainsi le rôle essentiel du livre : son lien social, son rôle d'émancipation culturelle. Bien sûr ces profits faits sur le livre passent par l'exploitation des salariés de ces groupes, sous-traitants et collaborateurs qui, eux, ont le plus souvent gardé l'amour du livre, permettant ainsi, sans en être conscients, de présenter l'industrie du livre sous un visage pseudo culturel. Mais, de fait aujourd'hui la valeur d'un livre est uniquement fonction de son retour sur investissement et non de son contenu. (voir sa tribune)
Plusieurs éditeurs, présents à l'Espace des Blancs-Manteaux, ont pris la parole pour apporter leur témoignage. Nous les proposons ici, pour enrichir un débat qui commence à vieillir, mais reste, bien entendu, extrêmement moderne.
ErosOnyx Editions :
« En tant que petit éditeur (avec distributeur et diffuseur), nous aimerions dire qu'un salon des Editeurs indépendants est plus que nécessaire à une époque où, dans une conjoncture économique difficile, le livre papier doit affronter le livre numérique et où la TVA à 5,5 % est plus que jamais souhaitable.
On a pu constater, sous la présidence précédente, que le livre n'était pas à l'abri des augmentations fiscales et peut-être de l'abrogation de la loi Lang sur le prix unique. La disparition progressive des petites librairies (comme celle des disquaires de CD et DVD, qui est totale aujourd'hui en province) ne facilite pas la diffusion des livres des petites maisons d'édition, les achats en ligne ne pouvant en être l'équivalent : nos livres ont besoin d'être vus, touchés, feuilletés... »
Les Forges de Vulcain :
« L'édition est en train d'évoluer très vite, sous l'effet d'une révolution technologique. Cette révolution inspire de la peur et de l'espoir. Nous manque la détermination pour puiser, dans ces nouveaux moyens, des outils au bénéfice du plus grand nombre. Pourtant, il n'appartient qu'à nous, éditeurs indépendants, d'orienter cette évolution majeure pour augmenter la variété de nos textes, leur richesse, et leur diffusion.
Il ne tient qu'à nous de nous emparer de ces prouesses technologiques pour qu'elles nous servent à trouver de nouveaux auteurs et de nouveaux lecteurs. Il y aura toujours des fous pour devenir éditeurs, par amour des textes. Ces éditeurs indépendants sont plus mobiles, plus enthousiastes, plus idéalistes que les maisons établies, qui sont engoncées dans des contraintes multiples. Notre mission historique est de nous engager pour que cette révolution soit le début d'un nouvel Âge d'or - et non une période de ténèbres. »
Jean-François Bourdic, Les Fondeurs de Briques, qui plaide « pour une remise à plat des aides publiques ».
« Les politiques d'aide à l'édition (et à la traduction) vont actuellement dans un sens d'aide à l'entreprise et non d'aide à la création. L'argent public ne va plus vers les éditeurs qui en auraient besoin, mais vers des "entreprises pérennes et établies" selon le discours du Cnl.
Les coupes budgétaires sont un faux arguments : celles-ci touchent bien entendu plus durement les structures fragiles constituant le vivier éditorial en France. Cela n'apparaît pas une priorité du ministère de la Culture : le mot Livre n'est pas prononcé par la ministre dans un récent exposé de sa politique culturelle… »
L'occasion, par ailleurs, de revenir sur les 10 propositions pour le livre, formulée par l'Association, L'Autre livre
1 – Devant les difficultés que rencontrent en ce moment de nombreuses maisons d'édition indépendantes, difficultés qui menacent parfois leur existence même, il est nécessaire de renforcer les dispositifs existants pour l'aide publique et d'en inventer de nouveaux. Sans attendre, il semble indispensable que l'Etat intervienne auprès des banques afin que celles-ci soutiennent particulièrement l'activité des PME dans cette période de crise financière et économique, notamment par le maintien des autorisations de découvert, et l'octroi de prêts à faibles taux d'intérêt.
2 – Des aides publiques, de l'Etat et des collectivités locales et territoriales, pourraient soutenir les initiatives de coopération entre éditeurs indépendants qui décideraient de se regrouper, pour la production, la distribution, la promotion ou la diffusion. Une aide particulière devrait être apportée aux efforts menés en commun pour créer des comptoirs de vente dans les zones où il n'existe pas de librairie indépendante (notamment en banlieue, ou dans les zones rurales). De même pour faire face aux défis de la numérisation (création de sites, mise en ligne des œuvres, etc.)
3 – Il est nécessaire de mettre en débat le projet d'une réforme du CNL, afin de le doter de moyens supplémentaires et de modifier le système d'attribution de ses aides. Au système actuel, d'attribution de prêts ou subventions sur manuscrits, (qui tend à faire du CNL un ‘super-éditeur'), devrait s'ajouter, - et dans une large mesure se substituer - un mécanisme d'aide au fonctionnement des éditeurs qui ont montré leur capacité à constituer un catalogue de qualité et à prendre des risques éditoriaux pour soutenir la création littéraire et intellectuelle. Les critères devraient prendre en compte la qualité professionnelle de l'activité éditoriale (en écartant toute censure idéologique ou littéraire) ainsi que des critères économiques (statut et situation de l'éditeur, ancienneté, part de compte d'éditeur, diffusion et distribution réelles, non délocalisation des travaux de saisie ou d'imprimerie, etc.).
On pourrait aussi, comme pour le cinéma, mettre en place un système d'avance sur recette, par exemple pour les nouveautés dont le tirage initial serait supérieur à 1000 exemplaires.4 – Il a été décidé de créer un label pour les librairies indépendantes qui permet aux collectivités locales qui le souhaitent de leur apporter une aide en leur accordant des dégrèvements de taxe professionnelle. De la même façon, nous proposons que soit reconnu le fait que pour la plupart d'entre nous, l'édition est effectivement une activité culturelle à but non lucratif. Nous proposons donc aux pouvoirs publics d'étudier un statut juridique d'éditeur indépendant de création, avec possibilités de dégrèvements de taxe professionnelle, de recours au bénévolat ou à des emplois aidés, de facilités fiscales pour la création de sociétés de lecteur participant au capital, etc. Nous demandons aussi que soit respectée la représentation de l'édition indépendante dans les organismes publics du livre.
5 – Il faut prendre en compte la production des éditeurs pour définir la qualité de « librairies de référence» ; le choix des livres relevant bien sûr toujours de la responsabilité du libraire. Aussi, nous nous proposons d'établir une Charte de l'autre LIVRE, qui serait discutée avec les libraires indépendants d'accord pour agir ensemble afin de défendre la diversité éditoriale. En effet, l'existence des éditeurs indépendants dépend de manière directe de la librairie et notamment du maintien des librairies indépendantes. En contrepartie, l'existence d'éditeurs indépendants nombreux et divers est indispensable pour permettre à chaque librairie d'affirmer des choix originaux et une spécificité la distinguant des grandes chaînes et du commerce industriel du livre.
6 – Le livre n'est pas qu'une marchandise. C'est aussi un objet culturel dont la diffusion doit être encouragée ; ce que traduit par exemple la TVA à taux réduit qui lui est appliquée. Or les tarifs postaux actuels constituent une entrave à la libre circulation des idées par l'intermédiaire du livre. Ils entraînent un surcoût important pour les éditeurs, pour les libraires et tous les acteurs de la chaîne du livre. Nous demandons donc à La Poste d'instaurer un tarif postal pour le livre, comme cela existe dans d'autres pays d'Europe.
7 – Les bibliothèques qui jouent un rôle essentiel, non seulement dans la conservation des œuvres éditées, mais aussi dans la promotion de la lecture et l'animation de la vie culturelle, voient leurs missions ainsi que leurs relations avec les éditeurs indépendants mises en difficulté, par de multiples problèmes : restrictions budgétaires, pression du marché, procédures administratives lourdes, tels les appels d'offre, qui favorisent les grossistes et dont les petits éditeurs sont absents. Il faut consacrer une part des acquisitions des bibliothécaires à la production des éditeurs indépendants. Les bibliothèques relevant de collectivités publiques devraient disposer d'un fonds de nouveautés des petits éditeurs. Qu'une aide soit ainsi apportée par la Direction du livre pour les acquisitions et la diffusion de l'information, sur catalogue ou site web. Des mesures spécifiques devraient aussi soutenir la lecture publique et les bibliothèques en entreprise, qui sont aujourd'hui souvent menacées par la réduction des effectifs salariés et des moyens des CE.
8 – Le livre est actuellement maltraité dans les médias. Les grands médias audiovisuels sont quasiment confisqués au bénéfice de quelques éditeurs et de quelques auteurs. L'esprit ‘people' tend à l'emporter sur l'attention aux œuvres. Quant à la presse écrite, qui peut jouer un rôle essentiel pour l'information, la critique, voire même la publication de textes littéraires, elle tend à suivre le même mouvement. Le CSA devrait faire figurer l'attention et la défense de l'édition indépendante parmi les obligations culturelles de la mission de service public des chaînes, au nom de la défense du pluralisme, du droit de cité de la pensée critique et de l'encouragement à la création littéraire, dont certains genres (notamment
la poésie et le théâtre) sont aujourd'hui quasiment censurés dans les grands médias audio-visuels.9 – Afin de financer ces dispositions et d'augmenter de manière importante les moyens d'aide à la création, à l'édition et à la diffusion du livre, nous proposons, entre autres mesures envisageables, d'instaurer un pourcentage de droit sur les ouvrages du domaine public, afin d'abonder un fonds qui pourrait être géré paritairement et de façon démocratique par le CNL et des délégués des organisations professionnelles représentatives.
10 – Enfin, pour étudier la situation de l'édition et de la librairie indépendante, nous proposons de mettre sur pied un Observatoire du livre, réunissant, de façon transversale, des femmes et des hommes travaillant dans les différents domaines de la vie du livre (auteurs, éditeurs, diffuseurs, libraires, bibliothécaires, etc.).
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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