Comment ne pas revenir sur l'information de cette semaine, le rachat de comiXology par Amazon, et les implications pour le monde de la bande dessinée numérique ? Pour l'heure, la seule assurance que les lecteurs peuvent avoir, c'est que la marque ne disparaîtra pas, et que l'application, dans ses différentes déclinaisons, poursuivra sa route. C'est en tout cas ce que David Steinberg, l'actuel PDG, promet. Mais les prochaines ciblées concernées pourraient bien être... les libraires indépendants.
Le 13/04/2014 à 11:07 par Nicolas Gary
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13/04/2014 à 11:07
David Steinberg le promet : « Amazon, quand il achète une entreprise qui fait du bon travail, lui laisse la possibilité de déployer ses ailes. Cela leur donne les ressources et leur permet de poursuivre leur chemin, plus rapidement, en étant meilleur et plus fort. » Pour l'instant, il faudra donc s'en tenir à cette déclaration.
Or, à bien des égards, la stratégie déployée depuis ces dernières années, par comiXology, est identique, quasi point à point, à celle qu'Amazon a pu mettre en place. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que David Naggar, le vice-président d'Amazon assurait : « Nous admirons depuis longtemps la passion de comiXology », en vertu de l'adage Qui se ressemble, s'assemble...
L'autopublication, et le format propriétaire
L'un des développements particulièrement marquants, c'est l'ouverture à l'autopublicaiton de comics et romans graphiques. On sait que c'est là l'un des fers de lance d'Amazon dans sa conquête de parts de marché sur le noir - la littérature, en général. Depuis 2013, comiXology dispose en effet de sa propre plateforme de commercialisation, à destination des auteurs indépendants.
Submit, permet aux créateurs, après approbation de la société, de vendre leurs oeuvres. L'intervention des équipes de comiXology s'effectue pour maintenir un niveau professionnel des oeuvres, avant l'ajout au catalogue. Au terme de la vente, comiXo empoche la moitié du prix net - là où Amazon reverse jusqu'à 70 % du prix de vente. Sauf qu'en une année de service, un petit millier de titres a été accepté : on est encore loin de la machine Kindle Direct Publishing.
Avec cette acquisition, nous le notions hier, Amazon dispose toutefois de la plus importante plateforme de vente de BD numérique. Alors que ce marché représente plus ou moins 12 % du marché global du comics, il « est trusté quasi exclusivement par comiXology. Et il suffit de penser aux différentes applications que la société a développé pour les éditeurs de comics. Marvel, par exemple, est réalisé par eux [NdR : celle de Delcourt et de Glénat, itou, pour la France]. C'est un acteur particulièrement dominant, et qui est très fort, parce que talentueux sur ce marché, incontestablement. À ceci près qu'ils sont sur un format propriétaire », nous précisait un observateur.
D'un côté, donc, le format propriétaire Kindle, de l'autre, le format propriétaire de comiXology, assurément, la tactique de la prison dorée va pouvoir agir comme un rouleau compresseur sur la quasi-totalité du marché du livre numérique outre-Atlantique. Sauf qu'en plus de son développement américain, comiXology a démarché et signé plusieurs acteurs français au cours des derniers mois. Glénat, ou Delcourt, pour ne citer que les poids lourds, voilà qui a de la gueule. Et nul doute que, si la marque et ses canaux de vente persisteront, on assistera prochainement à une intégration bien plus poussée de l'application au sein de l'environnement Kindle, et plus encore, dans le cas des tablettes d'Amazon, les Fire. Il suffirait d'ailleurs d'intégrer nativement l'application comiXo aux tablettes pour faire très mal à la concurrence...
Une activité débordante ces six derniers mois
En janvier dernier, comiXology présentait une brève synthèse de son lectorat : 51 % des utilisateurs présents en Amérique du Nord, et pls spécifiquement aux Etats-Unis. Et pour rester dans les chiffres, le catalogue se portait à 45.000 titres, en provenance de 75 éditeurs. Avec 6 milliards de pages de romans graphiques et de comics fournies, contre 2 milliards en 2013, l'application semble régner en maître dans le monde du comics. Pour iOS, cette dernière s'était d'ailleurs classée en troisième position du secteur livre, fin janvier, pour le grand bonheur du fondateur.
Avec 200 millions de téléchargements en octobre 2013, la vitesse de croissance de l'application, au moins pour iOS est impressionnante. La première application de lecture ComiXology a vu le jour en 2009, et, trois ans plus tard, atteignait les 100 millions de téléchargements. Depuis, elle a visiblement gagné en popularité, puisqu'il ne lui a fallu qu'une année pour doubler ce score. « Sur un marché d'un milliard de dollars, avec la concurrence d'environ un million d'applications, il est assez gratifiant de se classer dans le Top Grossing, hors jeu vidéo, des applications iPad, sur l'ensemble des app de l'iTunes App Store. Cette année passée a été une grande année pour la bande dessinée et ComiXology », exultait David Steinberg.
On apprenait que sur les 20 % des acheteurs numériques qui ont réalisé leur premier investissement, 64 % ont également acheté des titres imprimés. Et que 20 % des acheteurs sont des femmes, contre 5 % au moment du lancement. Elles sont également plus jeunes, en moyenne, que les acheteurs masculins.
Durant l'année 2012, le marché du comics aux États-Unis a totalisé 750 millions $ de chiffre d'affaires, contre 665 millions $ en 2011 - une croissance de 13 %. Pour les éditions numériques, l'augmentation des ventes a été bien supérieure, représentant près de 9 % du marché, avec 70 millions $ en 2012, contre 25 millions $ en 2011.
Or, ce qui est clair, c'est que le marché numérique pousse et dynamise le marché papier, notamment grâce à la création de Bundles. « Les offres Bundle [« packs » de comics, NdR] et Suscribe [l'abonnement] sont deux options développés pour les États-Unis, et des perspectives légales et commerciales doivent être prises en compte, mais leur développement en France n'est évidemment pas exclu » nous expliquait alors Alexandre Castanheira, responsable du développement commercial de ComiXology Europe.
Le programme pour les librairies indépendantes
À ce titre, on pourra toujours attendre avec suspicion une réaction d'Apple, puisque l'une des plateformes majeures pour la lecture de comics, en terme de confort, reste encore l'iPad. Avec une offre de plus de 50.000 titres, la machine de guerre comiXology est déjà solidement implantée, et ne manquera pas de profiter du moteur de croissance que peut apporter Amazon.
L'application comiXology pour KIndle Fire...
Jason Lamb, spécialiste de la BD numérique, note dans Forbes que cette alliance pourrait avoir des conséquences inattendues - voire inenvisagées encore - sur le monde des libraires. On sait qu'Amazon a déjà tenté de faire des appels du pied aux librairies indépendantes, en proposant la commercialisation de leurs Kindles dans les établissements, avec une approche très simple : proposer une offre numérique, et partager les recettes. Sauf que les ventes d'ebooks continueraient de se faire au travers de la plateforme propriétaire. Amazon Source, le programme en question, tentait de racheter une virginité à la marque.
Russ Grandinetti, vice-président Amazon Kindle assure que les revendeurs, en ligne ou physiques, ont une clientèle à satisfaire, avant toute chose. « Depuis de nombreuses années, des libraires vendent des livres imprimés sur Amazon. Amazon Source étend cette possibilité aux livres numériques. » Les clients n'ont plus à choisir entre leur librairie de quartier et une version numérique : Source propose les deux.
Deux programmes sont mis en place :
Bookseller Program : pour chaque livre Kindle acheté depuis un appareil Kindle, que l'on s'est procuré dans leur établissement, 10 % du prix sont reversés au libraire. Et ce, pour une période de deux années à compter de la date d'achat du matériel.
General Retail Program : Un rabais important est accordé pour l'achat d'appareil Kindle, mais pas d'intéressement sur les ventes. Et si un revendeur souhaite ne plus commercialiser le Kindle, Amazon rachètera l'intégralité du stock détenu depuis les six derniers mois, sans regimber.
Personne n'était vraiment dupe de cette approche, le loup, même grimé en agneau, est reconnaissable, et l'on parlait alors sans peine « de coup de poignard déguisé en rameau d'olivier».
La voie royale ?
Saut que.... comiXology disposer déjà d'un programme similaire, mis en place avec les libraires indépendants américains. Il permet aux magasins locaux de vendre les titres numériques du catalogue comiXology et de percevoir un petit pourcentage. Pour Jason Lamb, si l'acteur numérique représente un concurrent sur la commercialisation, et la vente au détail, difficile de ne pas imaginer la suite des évènements.
Deux solutions : soit le programme est supprimé - ce qu'envisage Jason Lamb, mais qui paraît complètement à côté de la plaque - soit il est consolidé. Suivez mon regard : dès lors qu'Amazon peut mettre plus facilement un pied dans les boutiques physiques, comment ne pas envisager que l'expansion de comiXology sera poussée dans ce sens, et qu'Amazon trouvera les solutions pour intégrer sa propre offre numérique - voire son Kindle dans le même mouvement.
Dans un passé proche, Amazon avait négocié avec DC Comics une distribution numérique exclusive des titres, sur son Kindle - et ce, en réaction à une décision de Marvel de privilégier, grosso modo, la plateforme d'Apple. Avec le programme de comiXology, Amazon dispose de l'ouverture parfaite pour rentrer dans les librairies indépendantes. À pas de loup...
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