ENTRETIEN – Dans une France qui n’a jamais été aussi attaquée, où le débat intervient comme un corollaire de notre démocratie, les librairies fermeraient leurs portes pendant le confinement. Quand des foules haineuses, constituées d’ignorants, s’en prennent à la France, comment imaginer ce Confinement-2 sans un accès facilité aux livres ? Jean-Yves Mollier, Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines intervient dans nos colonnes.
Le 30/10/2020 à 09:20 par Nicolas Gary
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Publié le :
30/10/2020 à 09:20
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« Je m’apprête à vivre un confinement avec la chance de posséder une belle bibliothèque, dont je n’ai pas lu tous les livres », nous indique l’enseignant. Mais derrière le clin d’œil, une autre réalité point : la fermeture programmée des librairies et des bibliothèques. « Le Syndicat de la librairie française a appris de ses erreurs : en n’acceptant pas la perche que Bruno Le Maire lui tendait en mars dernier, il a commis une erreur grossière. »
Sa position, amplement détaillée dans une tribune publiée dans Livres Hebdo le 14 avril dernier, n’a pas changé. « Seuls les acteurs ont été remplacés : désormais, le SLF a, et ce pour la première fois dans son histoire, une présidente, Anne Martelle, à sa tête, et celle-ci a immédiatement pris position en demandant au gouvernement l’ouverture des librairies. Malheureusement, son syndicat se trouve piégé pour avoir affirmé, durant le premier confinement, que la librairie n’était pas un commerce essentiel (Xavier Moni à Livres Hebdo en mars 2020) ».
L’intervention d’Anne Hidalgo ou celle de François Hollande récemment est salutaire, « mais rien ne nous assure que l’on obtiendra un revirement au cours de ces deux prochaines semaines », estime l’universitaire. Entre temps, Roselyne Bachelot a confirmé que les établissements devraient attendre les 15 premiers jours de période d'observation...
À ce titre, il apporte « un plein et entier soutien aux décisions prises par les jurys de prix littéraires. Délibérer aujourd’hui reviendrait à ce que les centaines de milliers d’exemplaires généralement vendus à cette occasion ne profitent qu’au commerce en ligne — soit à plus de 80 %, à Amazon, ainsi qu’aux grandes surfaces non spécialisées ».
Lors du Confinement-1, se souvient Jean-Yves Mollier, le centre commercial dans lequel il faisait ses courses a poursuivi la vente de livres, alors qu’il était censé privilégier la nourriture. « En ne fermant pas les autres rayons, les grandes surfaces ont continué de vendre tout ce qu’elles avaient en rayons — avec, vraisemblablement, un réapprovisionnement chez les distributeurs. »
De quoi menacer, à l’époque, la librairie indépendante, et plus encore aujourd’hui.
« Au déconfinement, et durant les mois qui ont suivi, les libraires que j’ai pu solliciter m’ont assuré qu’ils réalisaient de bons chiffres d’affaires. C’est encourageant : je redoutais que l’habitude du commerce en ligne ne s’instaure, mais elle n’a, en regard de ce mouvement très positif, pas pris le pli d’un habitus. »
En revanche, un second confinement qui s’éterniserait changerait peut-être les habitudes des clients.
L’idée qu’au déconfinement, les beaux jours aient entraîné les lecteurs dans les librairies ne lui semble d’ailleurs pas sérieuse. « Que le changement de saison joue véritablement, je n’en suis pas certain. Dans l’hypothèse optimiste d’un déconfinement au 1er décembre, et d’attribution de prix, admettons entre le 1er et le 6 décembre, les ouvrages arriveraient en librairies et seraient vendus à peu près normalement comme les autres années. »
Toutefois, d’autres scénarios doivent être explorés. Parce que la démarche des jurés, que de reporter la remise des prix, n’a de valeur que si l’on respecte une certaine temporalité : reporter, oui, mais gare à des reports prolongés.
« Envisageons un confinement moyen, de 8 semaines : cela nous entraînerait autour du 20 décembre. À ce moment, les familles sortiraient pour des achats de bouche – dinde, huitres, chacun selon ses moyens. Le livre ne sera, de toute évidence, plus du tout essentiel. » Et toute annonce passerait totalement au-dessus des intérêts du public.
Pire encore : une projection à 13 semaines, qui nous entraînerait fin janvier, rendrait les prix caducs. « Les jurés pourront toujours se réunir, la saisonnalité aura été manquée, les librairies n’auront pas effectué les habituelles ventes de fin d’année… » Ce serait une sorte de catastrophe programmée…
L’alternative passe donc par une campagne importante, et l’universitaire s’est rapproché de Marie-Rose Guarnieri (librairie des Abbesses, Paris XVIIIe), qui avait porté la voix d’une ouverture, durant le Confinement-1. « Si nous intervenons dès à présent, on peut espérer légitimement qu’autour du 15 novembre, cette question de l’ouverture des librairies considérées comme des commerces essentiels soit réglée. Et que la librairie redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un commerce vital. »
Marie-Rose Guarnieri ne fut pas la seule libraire à se battre, et à refuser le dogme imposé par le SLF. « Dans le sud-ouest, certains libraires ont rejeté la fermeture : cela leur a parfois valu quelques amendes. Au contraire, en Bretagne, il semble que la police ait fermé les yeux, préférant laisser les libraires en paix. Et ils sont quelques centaines à avoir considéré que leur devoir était de se mettre au service des lecteurs. »
Et de s’adresser plus directement au président de la République en affirmant : « Indépendamment de l’ENA et de sa carrière de banquier d’affaires, Emmanuel Macron a tout de même passé un DEA en philosophie [sur Hegel et Machiavel, Ndlr]. Il en aura peut-être retenu que le pain de l’esprit est aussi essentiel que le pain du boulanger. »
De même, le SLF aurait « tout intérêt à solliciter, si ce n’est pas déjà fait, l’attention de Bruno Le Maire. D’ailleurs, dès le départ, ce Normalien agrégé de Lettres classiques, passé ensuite par l’ENA, leur avait tendu la main. Il faut donc intervenir de nouveau auprès de Bercy en rappelant que la librairie n’est pas un commerce comme les autres ».
En cette période, les librairies disposent des ressources « pour sortir de la logique infernale du confinement. Les courbes, les contaminations, les cas contacts et les lits en réanimation, tout cela nous échappe. En revanche, agir sur les ministres, Mme Bachelot et d’autres, cela vaut le coup », insiste Jean-Yves Mollier.
Même avec une heure de sortie par jour, le temps pour aller dans une librairie peut être trouvé, « mais à condition qu’une véritable mobilisation interprofessionnelle – pas simplement des syndicats qui ont déjà signé, mais de toutes les organisations, ainsi que des écrivains et des intellectuels les plus connus, soit mise sur pied. Tout le monde doit se lever pour défendre la librairie et le droit de lire des livres ».
Et de conclure : « Maintenant que le SLF a compris qu’il avait eu tort d’adopter la position qui fut la sienne, officiellement, durant le confinement de mars, il faut espérer que la nouvelle présidente saura porter un nouveau message et convaincre tout le monde que lire est un besoin aussi vital que manger et boire. L’adage humaniste demeure vrai en ces temps troublés : “Là où il y a des livres sont les hommes libres” et là où il n’y a ni livres ni écoles, les hommes sont livrés au fanatisme et à la barbarie. »
Le Syndicat de la Librairie française vient d’obtenir du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, la fermeture des rayons livre de la Fnac et de la grande distribution. Avec d’autres mesures à venir.
Jean-Yves Mollier vient de faire paraître Interdiction de publier, chez Double ponctuation (9782490855049 – 14 €).
De tous temps, les censeurs cherchèrent à interdire les livres qui mettaient en danger leurs pouvoirs, leurs profits, leurs idéologies.
Tout en resituant ces "interdictions de publier" dans une perspective historique, Jean-Yves Mollier explore les formes les plus actuelles de censure, directes ou indirectes qu'elles soient inspirées par l'intégrisme religieux, par les enjeux économiques ou par le spectre du politiquement correct.
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 01/09/2020
174 pages
Double ponctuation
14,00 €
1 Commentaire
Julie
30/10/2020 à 21:17
Chacun a le droit d accéder au support livre. Je constate la recrudescence de personnes qui rechrchent cet incontournable support. De 6 mois à 99 ans chacun cherche une pepite de bonheur à découvrir n enlevez pas cela à une population déjà touchée de plein fouet par des événements que personne n a ni souhaite ni recherche.