Le réseau des bibliothèques italiennes a su s’adapter aux urgences de la pandémie : le nombre de prêts numériques a remarquablement augmenté au printemps dernier et l’extension généralisée du système de prêt à domicile sera bientôt effective pour plusieurs établissements.
Le rapport sur la production et la lecture des livres publié par l’Istat (Institut National de Statistique) en 2018 nous rappelle l’importance des bibliothèques dans le système cultural italien : près de 9 millions de personnes affirment être allées au moins une fois dans une bibliothèque au cours de l’année 2018. De plus, d’après l’article de Sara Dintola paru dans la revue « Bibliothèques d’aujourd’hui » (Biblioteche oggi) en août 2020, depuis plusieurs années les bibliothèques ont investi dans l’achat de livres et services numériques : déjà 6500 d’entre elles sont affiliées au MLOL et 3000 à l’Indaco, deux plateformes pour l’agrégation de ressources numériques.
Selon les données de MLOL, entre le 24 février et le 24 mars, les prêts de livres électroniques ont augmenté de 104 % par rapport à la même période en 2019, alors qu’en temps normal on aurait pu s’attendre à une augmentation d’environ 20 % d’une année sur l’autre.
Le nombre de nouveaux utilisateurs a d’ailleurs également augmenté : environ 100 000 de plus que l’année dernière. Selon les données du MLOL, leur nombre augmente normalement de 15 à 20 % par an : donc on aurait pu s’attendre à une augmentation de 20 000 nouveaux utilisateurs, mais les données du MLOL ont révélé qu’ils étaient, cette année, cinq fois plus nombreux.
« C’est un projet expérimental né en 2009 », explique au Corriere della Sera Giulio Blasi, PDG de Horizons Unlimited Srl, une société fondée en 1993 par un groupe d’étudiants d’Umberto Eco. Il s’agit d’une plate-forme numérique, MediaLibraryOnLine (Mlol), disposant d’un catalogue de titres numériques que les bibliothèques achètent. Il suffit de s’inscrire sur www.mlol.it pour accéder au prêt virtuel, pendant 14 jours, d’un livre ou de l’une des autres ressources disponibles dans le catalogue.
Mais qui utilise ces ressources ? « Les usagers du Mlol — en Lombardie comme dans les autres régions d’Italie — se situent principalement dans la tranche d’âge des 25 à 65 ans, avec des pics entre 40 et 50 ans (…) » – précise Blasi « Nous savons aussi que ce sont surtout les lecteurs forts qui utilisent ces ressources, des lecteurs pour lesquels la différence entre numérique et analogique est beaucoup moins pertinente qu’on ne pourrait le penser ».
Et le développement de ce type de prêt a été tellement élevé que l’AIB (Association des bibliothèques italiennes) a proposé cette année une version actualisée du Manifeste pour les bibliothèques numériques, conçu pour la première fois en 1999.
Ce phénomène a été certainement lié à l’impossibilité d’emprunter des livres en papier (11.608 bibliothèques ont en effet été fermées au public au printemps dernier). Cependant, il faudrait souligner l’engagement de nombreuses d’entre elles à rendre le service de prêt numérique plus accessible, ainsi qu’à développer eux-mêmes du contenu multimédia et à mettre à disposition, à travers un travail de filtre et repérage, les contenus déjà gratuits sur le web.
Par ailleurs, de nombreux bibliothécaires ont suivi des formations en ligne pour améliorer leurs compétences numériques. De plus, un accord a été signé le 16 mars 2020 entre le MLOL et le groupe Mondadori, pour permettre aux utilisateurs l’accès simultané — en prêt numérique — à un même titre parmi ceux des éditeurs du groupe.
Néanmoins, il faut considérer que la situation varie beaucoup selon les différentes régions d’Italie, en fonction du nombre de bibliothèques qui permettent le prêt numérique : elles sont beaucoup plus concentrées dans les régions du Nord, notamment en Lombardie, et à Rome.
Finalement, pendant la pandémie les bibliothèques ont œuvré au maintien d’une ouverture virtuelle, à l’achat des livres électroniques et au développement de leurs canaux de communication (même si leur présence sur les réseaux sociaux est encore assez faible, à l’exception de Facebook). Cependant aujourd’hui les bibliothèques restent encore majoritairement fournies de livres en papiers et, dans certaines circonstances, la transition vers le numérique est encore assez lente.
D’après le site bergamonews.it, deux étudiantes de l’Université de Bergame ont en effet essayé de découvrir combien de ressources en ligne l’Université met-elle à disposition, si l’on considère que les bibliothèques des facultés de droit et d’économie possèdent plus de 70 000 volumes et que la bibliothèque dédiée aux matières littéraires en compte environ 120 000.
Elles ont décidé d’étudier un échantillon total de près de 300 livres, comprenant uniquement des livres adoptés par les enseignants au cours de l’année académique 2020/2021. Cela a permis de constater que seuls 12 % des 288 livres étaient disponibles en ligne, tandis que 88 % n’étaient disponibles que dans les bibliothèques, c’est-à-dire en format papier.
Parmi les dépenses ordinaires annuelles de l’université de Bergame, un million d’euros est prévu pour l’achat de matériel pédagogique et un autre million pour l’achat d’équipement pour l’enseignement en ligne (comme l’a déclaré l’université sur son compte Instagram le 14 juin 2020) : il serait donc judicieux de dédier ces fonds à l’achat de livres électroniques.
Interrogée à ce sujet par bergamonews.it l’Université a expliqué que le fait que « la plupart des manuels nécessaires à la préparation des examens ne sont pas disponibles sous forme électronique ne dépend pas de la bibliothèque ». D’après eux, l’alternative électronique n’est que très peu disponible dans le cas des manuels scolaires en préparation aux examens.
Car ce sont les éditeurs italiens qui, à quelques exceptions près, ne fournissent pas une infrastructure d’accès à leurs catalogues adaptée à l’intermédiation bibliothécaire, ni ne s’appuient sur des plateformes d’agrégation. Ils préfèrent vendre directement leurs livres électroniques pour un achat personnel.
De ce point de vue, il faudrait donc encourager une meilleure synergie entre le monde universitaire et les éditeurs, même si la situation n’est pas toujours aussi sombre qu’il n’y parait, comme le rappelle l’Université de Bergame à bergamonews.it : il est en effet possible « l’accès aux collections de livres électroniques d’éditeurs scientifiques internationaux, qui comprennent actuellement plus de 200 000 titres ».
Une dernière évolution dont les bibliothèques ont été protagonistes est la mise en place de services de prêts à domicile, organisés dans certaines régions depuis la première vague de la pandémie. Par exemple chez la bibliothèque Baldini de Sant’Arcangelo, en province de Rimini, ce service a été mis en place depuis avril 2020 à l’aide de bénévoles. Le prêt à domicile a été inauguré plus ou moins au cours de la même période dans plusieurs bibliothèques en province de Ravenne.
En octobre 2020 d’autres initiatives ont eu lieu : à Putignano, dans les Pouilles, a été inauguré le service de prêt à domicile Just Book, tandis que dans la province de Lamezia, en Calabre, le système bibliothécaire a mis en place un bibliobus, c’est-à-dire un bus qui chaque jeudi matin fait le tour des livraisons à domicile. Mais c’est à Bologne que l’initiative la plus conséquente a été mise en place.
En effet le lundi 2 novembre démarrera un nouveau service de prêt à domicile gratuit. Même la restitution des documents empruntés, une fois expirée, sera prise en charge par les bibliothèques. Le service sera sécurisé par les mesures de quarantaine auxquelles tous les livres seront soumis et par le respect des protocoles sanitaires par les livreurs concernés.
Le projet est promu par l’Institution Bibliothèques de la Mairie de Bologne et financé par le Ministère des Biens et Activités Culturels et du Tourisme. La livraison sera confiée aux livreurs à vélo de Consegne etiche (Livraisons éthiques), la première plateforme coopérative de livraison à domicile impliquée sur le front de l’environnement et respectant le travail des livreurs.
Crédit photo : Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze - Kim, CC BY SA 2.0
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