Bien avant l’institution du gros barbu en costume rouge et du Black Friday, Noël a empli de joie ou fait soupirer de nombreux auteurs classiques. Des saillies dépressives de Maupassant à l’amour inconditionnel que portait Flaubert aux pantoufles, on vous propose un petit tour d’horizon de leurs visions de la fête à travers la littérature.
Fête chrétienne populaire depuis des siècles, Noël et son réveillon ont accompagné maints écrivains qui en ont parfois fait une source d’inspiration. Certains auteurs classiques ont ainsi évoqué directement la célébration, proposant des textes autour de la fête et de son folklore. Si A Christmas Carol — Un chant de Noël dans sa version française (traduction Mademoiselle de Saint-Romain) — de Charles Dickens est célébrissime et se passe de présentation, d’autres productions moins plébiscitées méritent notre attention.
Pour commencer en douceur, évoquons les Lettres du père Noël de J.R.R. Toklien. Dès 1920 et durant près de deux décennies, l’auteur emprunta les traits (et la plume) du vieux barbu pour enchanter ses petits enfants. Imitant la graphie d’un très vieil homme habitant au pôle Nord, le célèbre académicien se fendait chaque année d’une missive à l’écriture tremblotante pour raconter son quotidien de fabricant de jouets. Accompagné de splendides illustrations, ces histoires, parfois très courtes, sont de véritables morceaux bruts de magie de Noël.
L'adaptation cinématographique des lettres risque de ne pas intéresser Peter Jackson : notons tout de même que Tolkien ne s’éloigne jamais trop loin de la Terre du milieu. L’auteur n’hésitait pas à placer des gobelins entre les cadeaux et le pain d’épice. Publiées sous forme de livre jeunesse en 1976, les lettres furent traduites en français aux éditions Bourgois par Gérard-Georges Lemaire et Céline Leroy en 2004.
La littérature compte malheureusement plus de cyniques et de décadents que de grands-pères attentionnés, et il nous faut désormais nous tourner vers une tonalité plus sombre. Habitant de Saint-Petersbourg, Nicolas Gogol a longtemps enduré des conditions climatiques très proches de celle de l’homme au traineau. Surtout connu pour ses nouvelles fantastiques comme le Nez ou le roman les Âmes mortes, l’auteur russe a signé dans sa jeunesse plusieurs contes inspirés de la vie et du folklore des paysans ukrainiens.
Parmi ces courts textes, on retrouve La nuit de Noël (ed J’ai Lu - traduction Eugénie Tchernosvitow) une farce drolatique et grinçante sur le soir du réveillon. Dans un petit village, alors que tout le monde s’apprête à célébrer le christ, le diable apparait, bien décidé à gâcher la fête. Rapidement, la Lune disparait, une tempête se lève, et tout semble perdu. Écrite bien avant que l’écrivain ne sombre dans le mysticisme et la folie, la nouvelle est extrêmement rafraichissante et permet de voyager dans le Noël des campagnes russes animées notamment de petits pâtés à la saucisse et de verres de vodka.
À chaque auteur ses obsessions, et si Dieu et la transcendance ont fini par perdre Gogol, Flaubert parvint de son côté à très bien vivre son fétichisme peu avouable pour les chaussures. Les Amis de Flaubert et de Maupassantrelèvent ainsi au moins cinquante-cinq allusions directes aux souliers dans Madame Bovary — la plupart des descriptions d’Emma comprenant une mention de ses bottines. Passé sous le radar des censeurs, cet amour ne lui portera pas préjudice.
La passion de l’écrivain pour les souliers se ressent jusque dans la parole amie qui l’invite le soir du réveillon. Dans une lettre datée du 14 décembre 1869 (Correspondance de George Sand à Georges Lubin, ed Garnier), Georges Sand prie Gustave de bien vouloir faire le déplacement à Nohan — où se situe son domaine — pour le repas du 25. Les arguments, utilisés par la femme de lettres pour faire venir son camarade écrivain, laissent entrevoir un Flaubert misanthrope particulièrement attaché à son confort et à ses chaussons.
« J’ai dit à Plauchut de tâcher de t’enlever, nous t’attendons. Si tu ne peux venir avec lui, viens du moins faire le réveillon et te soustraire au jour de l’an de Paris. C’est si ennuyeux ! Lina me charge de te dire qu’on t’autorisera à ne pas quitter ta robe de chambre et tes pantoufles. Il n’y a pas de dames, pas d’étrangers. Enfin tu nous rendras bien heureux et il y a longtemps que tu promets... » Reste à savoir si cette rhétorique fut efficace.
On trouve également le motif du soulier de Noël chez Victor Hugo, mais dans une perspective un peu moins bourgeoise. Dans un passage des Misérables, on suit Jean Valjean, la veille de Noël qui s’attarde dans l’auberge des Thenardiers. Alors qu’il s’approche de la cheminée, derrière les souliers brillants des enfants des aubergistes, il aperçoit une chose informe, couverte de suie.
« Il regarda, et reconnut un sabot, un affreux sabot du bois le plus grossier, à demi brisé et tout couvert de cendre et de boue desséchée. C’était le sabot de Cosette. Cosette, avec cette touchante confiance des enfants qui peut être trompée toujours sans se décourager jamais, avait mis, elle aussi, son sabot dans la cheminée. C’est une chose sublime et douce que l’espérance dans un enfant qui n’a jamais connu que le désespoir. Il n’y avait rien dans ce sabot.
L’étranger fouilla dans son gilet, se courba et mit dans le sabot de Cosette un louis d’or.
Puis il regagna sa chambre à pas de loup. »
Pour nombre de Français, Noël est avant tout une réunion familiale. Mais des auteurs nées en des temps plus catholiques y voient l'occasion de prendre la plume pour célébrer Noël, donc le Christ. Le poème Pour le jour de Noëlde Pierre Corneille est ainsi clairement d’inspiration chrétienne :
Souviens-toi qu’autrefois, pour réparer l’injure
Que te fit l’homme criminel,
Tu pris chair dans les flancs d’une Vierge très pure,
Et voulus naître homme, et mortel.
De la même façon, Giono entre ses histoires de choléra (Le hussard sur le toit) et de tueur dans la neige (Un Roi sans divertissement) n’hésite pas à s'intéresser aux saints et à la crèche. Fidèle à Provence, l’écrivain signait notamment un texte sur les santons, ces petites figures d’argile colorées que l'on place en crèche au pied du sapin, représentant Jésus et les rois mages, mais aussi les habitants d’un village typique de la région. Hmmm... Bethléem par exemple ?
À l’inverse, d’autres écrivains, sans doute traumatisés par le catéchisme, se sont fait une joie de salir la tradition religieuse qui accompagne cette fête. C’est le cas de Maupassant, qui, dans Nuit de Noël, propose une réécriture grinçante de la nativité.
Seul le soir de Noël, le héros de la nouvelle décide d’aller chercher la compagnie d’une prostituée. Le couple fort peu chrétien commence le dîner lorsque la dame s’effondre de douleur. Alors que les voisins se précipitent, attirés par le bruit, la demoiselle donne naissance à une petite fille. Couchée, la mère restera plusieurs semaines dans le lit de notre protagoniste qui n’avait rien demandé et qui se voit contraint de verser une pension alimentaire.
Un Joseph en bourgeois pas très malin, des rois mages en voisins curieux et indiscrets et surtout une vierge Marie en prostituée, voilà qui amusa sans doute beaucoup Maupassant et ses amis peu portés sur l’hostie.
Quant à savoir avec quels auteurs il serait le plus agréable de passer un réveillon, c’est encore à vous de décider.
Photo : Victor Hugo et le Père Noël côte à côte
1 Commentaire
Chris
04/12/2020 à 08:47
Ah j'adore le "gros barbu" :lol: