Le jeune auteur anglo-égyptien Omar Robert Hamilton a fait une entrée remarquée dans le milieu littéraire anglo-saxon avec La ville gagne toujours, premier roman paru aux Éditions Gallimard au printemps dernier. Il y revient sur l'un des épisodes marquant de ces dernières années : la révolution égyptienne de l'année 2011. Salué par une critique dithyrambique, l'écrivain signe un premier roman moderne, épuré et déroutant, bien loin des sentiers battus.
Le 14/08/2018 à 08:25 par Dounia Tengour
Publié le :
14/08/2018 à 08:25
25 Janvier 2011 : l'heure de la révolution a sonné sur la Place Tahrir au Caire. Après la Tunisie, c'est au tour de l'Égypte de Moubarak de trembler face à la pression grandissante de la rue. Tout le monde s'interroge. Cette déferlante va-t-elle gagner tout le monde arabe ?
« Pour la première fois depuis un siècle, nous n'avons plus besoin de vendre nos histoires à la France, l'Angleterre ou l'Amérique. C'est ici que nous gagnerons ou perdrons tout. »
Dès les premières pages, le ton est donné. Acide. Violent. Bouleversant parfois. Omar Robert Hamilton ne fait ni dans la complaisance ni dans la demi-mesure. Il s'engage à nous raconter une révolution égyptienne, sans artifice, sans fioriture, avec son lot d'espoir et de désenchantement.
Écrit comme une véritable ode à la résilience, « La ville gagne toujours » nous plonge dans le tourbillon de la contestation portée par une jeunesse égyptienne forte de ses espoirs et de son courage. Dans un récit abrupt et vif, construit comme un thriller, on partage avec une étrange émotion le quotidien du collectif « Chaos », un groupe de jeunes révolutionnaires, composé de Mariam, l'infirmière exigeante et dévouée, Hafez, le photographe désabusé, et enfin Khalil, l'étudiant secret et replié sur lui-même, « étranger » dans son propre pays, et narrateur du récit.
Tout comme son héros Khalil, l'écrivain Omar R. Hamilton vivait aux États-Unis (à New York précisément) lorsque la révolution a débuté. Comme lui, il a pris un billet et s'est envolé en direction du Caire, avec le désir de participer à la révolution et de changer les choses.
L'auteur nous livre un texte concis divisé en trois parties sobrement intitulées : « Demain », « Aujourd'hui » et « Hier ». Curieusement le titre des parties ne correspond pas à la chronologie des événements. En effet, « Demain » correspond au début de la révolution et à la fin du régime de Hosni Moubarak. « Aujourd'hui » décrit l'installation des Frères Musulmans avec le président élu Mohamed Morsi et « Hier » évoque la reprise en main du pouvoir par l'armée avec Abdel Fattah Al-Sissi.
Dans « La ville gagne toujours », les personnages ne font pas de pause. Ils n'ont pas le temps. C'est jeune, c'est moderne, ça doit aller vite. La révolution se fait avec les outils des nouvelles technologies (Facebook, Twitter, Internet et messages instantanés). Cinéaste de formation, l'auteur nous entraîne dans le tumulte de la ville, en immersion totale, avec des scènes de manifestations dignes des plans séquences d'un film hollywoodien.
L'auteur se veut d'abord le témoin de la révolution. Il ne faut rien rater. Il faut tout montrer, tout dire, tout voir.
Mais ce n'est pas non plus un livre qui ne se limite qu'à la révolution proprement dite. L'auteur préfère inscrire l'événement dans la durée. Le processus est long. Il y a de l'agitation et beaucoup d'incompréhension, aussi. On suit des femmes, des hommes, des résistants qui veulent aller jusqu'au bout. L'insurrection ne s'arrête jamais.
Tandis que les jeunes révolutionnaires très occidentalisés s'organisent à travers Facebook et Twitter, les Frères Musulmans, agissant dans l'ombre et mieux organisés, font une OPA sur la révolution. Alors que les libéraux et les laïcs se battent pour plus de libertés et une véritable justice sociale, les partisans du courant religieux, eux, veulent purifier la société. C'est l'incompréhension totale. Mais la désillusion est rapide et le peuple découvre la règle non écrite appliquée par tous les partis islamistes. Quand on se bat pour Allah, toutes les atrocités semblent permises. Arrestations arbitraires, violences sur les femmes, violences sur les enfants, viols, tortures. La liste n'est pas exhaustive. On torture même dans les mosquées. On prône l'Islam mais on ne respecte pas la personne humaine. Pour les régimes islamistes, il n y a pas d'adversaires politiques, il n y a que des mécréants. C'est très pratique !
Sept ans après la Révolution, le sort de l'Égypte reste, comme pour de nombreux pays arabes, fragile et incertain.
Le parti pris de l'auteur est de nous faire revivre ce formidable élan d'espoir et de liberté qui a porté le monde arabe et qu'on a pompeusement appelé le printemps arabe. Mais ce printemps n'a duré que le temps d'une saison et au lieu d'être suivi par un été éclatant, il a fait place à un hiver qui a tout figé. Le beau rêve de liberté s'est brisé pitoyablement sur le mur en béton de la réalité.
Le roman brosse le portrait d'une jeunesse héroïque, portée par un idéal généreux, mais il dresse un bilan au goût amer, celui d'un échec prévisible. Le discours révolutionnaire n'a pas pris chez les couches populaires, et les martyrs qui ont sacrifié leur vie sont surtout des jeunes.
Le roman ne se veut pas pessimiste mais le constat est terrible. Les masses qui ont voté majoritairement pour Morsi contre le pouvoir de l'armée, et qui acclament désormais comme libérateur le maréchal Al-Sissi, en traitant de terroristes les fidèles de Morsi, sont-elles vraiment mûres pour une véritable démocratie ?
A la lecture des événements transcrits dans le livre, on est en droit de douter. Un moment, le personnage de Khalil fait éclater sa colère : « Comment est-ce possible ? Combien de nuits avons-nous passé ensemble à travailler et à lutter ? Quand donc sont-ils tous devenus fascistes ? ». Plus loin, Khalil exprime son amertume : « Aujourd'hui je ne vois plus que des fenêtres cassées dans des immeubles croulants »...
L'auteur décrit une jeunesse éduquée, lettrée, très ouverte sur le monde mais qui reste néanmoins minoritaire. Ils parlent et pensent comme les jeunes des pays occidentaux. On comprend aisément que cette intelligentsia cairote n'est pas tout à fait à l'image de la société égyptienne.
L'univers que nous fait découvrir Omar Robert Hamilton est un univers manichéen. Il y a les bons d'un côté et les méchants de l'autre. Les bons sont très minoritaires et les méchants sont vraiment très méchants. Mais néanmoins, « La ville gagne toujours » fait la part belle aux femmes. Elles sont fortes, courageuses, et très combatives. L'auteur reste étonnamment discret sur leur physique, mais on devine que l'héroïne Mariam est une belle jeune fille égyptienne.
Pour Omar Robert Hamilton il s'agit d'un premier roman. Il en a les faiblesses, mais il en a aussi les qualités. Une grande générosité et une spontanéité qui tiennent le lecteur en haleine. Un livre à lire absolument si l'on veut comprendre les méandres des bouleversements qui agitent l’Égypte et d'une manière plus générale, le monde arabe.
Par Dounia Tengour
Chercheuse en litterature et chroniqueuse litteraire
Omar Robert Hamilton, trad. Sarah Gurcel - La ville gagne toujours - Gallimard, coll. "Du monde entier" - 9782072723957 - 21 €
Par Dounia Tengour
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 01/03/2018
352 pages
Editions Gallimard
21,00 €
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