Depuis le début de l’année, les ventes sont en berne : un recul net s’observe à tous points de vue, avec des best-sellers qui tirent tout juste leur épingle du jeu. En période de crise, il importe de resserrer les rangs, pour que la chaîne du livre ne sente pas de relâchement. Quoi de mieux qu’une Grande Boucle pour ce faire ?
Le 08/04/2022 à 16:25 par Nicolas Gary
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08/04/2022 à 16:25
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Voici une tournée de librairies plutôt inattendue que le programme MDS : le volet distribution de Média Participations s’engage dans une série de rencontres avec les professionnels, à travers huit dates — et autant de villes. Suite à « l’accident industriel » reconnu fin novembre 2021, la structure part à la rencontre de ses partenaires. Au menu, pédagogie et explications.
Entre le 14 avril et le 24 mai, les équipes de MDS, auxquelles se joindront celles de Média Diffusion, parcourront la France : Metz, Lyon, Paris, Aix, Montpellier ou encore Lille et Bordeaux compteront comme autant de destinations pour revenir sur l’incident qui aura durablement marqué la fin d’année 2021 — et impacté les fêtes.
En effet, les librairies se retrouvaient alors aux prises avec une situation inédite : l’impossibilité d’assurer les livraisons d’ouvrages, dès lors que les commandes en réassort n’atteignaient pas un minimum de trois exemplaires. Des modalités et autant de contorsions, pour tenter de pallier une hausse d’activité imprévue — et finalement, devenue cauchemardesque.
Sauf que la librairie, et particulièrement les spés BD n’avaient pas particulièrement apprécié la démarche. Et que cette situation de crise débordait également sur la littérature — l’ensemble des maisons du groupe Le Seuil. Les fêtes de fin d’année, toujours propices aux ventes de livres, allaient souffrir — entre les libraires menaçant de ne passer aucune commande et les éditeurs, solidaires de leurs auteurs, qui redoutaient de disparaître des tables.
Dans un courrier adressé à différents interlocuteurs, Olivier Barbé, directeur de MDS reconnaît les dysfonctionnements importants qui ont malmené les activités des uns et des autres – tant côté distribution que points de vente. Depuis fin février, différentes actions auront permis un retour quasi à la normale. Pour autant, fin février, des difficultés persistaient, s’accompagnant d’un « ressentiment grandissant » chez les libraires.
Voilà un mois et demi, le directeur de MDS évoquait des mesures de recrutement, un plan de gestion, ainsi qu’une refonte du site internet pour mieux recevoir et répondre aux réclamations. Et d’assurer dans un courrier au Syndicat de la librairie française : « En aucun cas ce manque d’information n’est la marque d’une sous-estimation des problèmes créés par MDS aux libraires ou d’une quelconque désinvolture à leur égard. »
Il faut rappeler que ce dernier avait amplement savonné la planche, en recommandant à ses membres de se « reporter, dans toute la mesure du possible, vers des titres d’autres éditeurs ». Un appel clairement compris et compréhensible – bien que le SLF ait fait machine arrière par la suite réfutant d’avoir « jamais incité ses adhérents à prendre des mesures de rétorsion en réduisant ou en annulant leurs commandes ».
Étonnamment, le fameux message a depuis disparu de leur site…
D’autant que depuis, ActuaLitté fut parmi les premiers à constater un décrochage notable du marché du livre. Dans un article du 12 mars dernier, nous évoquions la diminution des ventes, en valeur et en volume, dès les semaines 7 et 8 – 14/20 février et 21/27 février. Depuis, la situation se confirme, la semaine 12 ayant encore affiché un recul : 55,82 millions € en valeur (21/27 mars), contre 66 millions € en semaine 7 (données : Edistat).
Devant l’extrême croissance enregistrée durant les années 2020 et 2021, le secteur de la librairie avait connu une dynamique inédite. « L’incertitude économique et l’inflation qui accompagnent la période poussent les consommateurs à la prudence dans leurs dépenses », reconnaissait alors Guillaume Husson, délégué général du SLF le 25 mars sur France Inter. Dix jours plus tard, dans Les Echos, il fait état d’un recul de 12 % en regard de 2021 — mais relativise, considérant une avance de 4 % sur le premier trimestre 2022, en regard de 2019.
Plusieurs professionnels nous l’indiquent par ailleurs : le décrochage qu’enregistre le SLF serait toutefois masqué par les activités de vente aux collectivités. Ces budgets étant votés, et découlant de marchés publics, il masquerait les baisses réelles directement en caisse.
La semaine 13 (28/03 - 3/04) affiche en revanche un mieux : avec 5,23 millions d’exemplaires écoulés, pour 57,96 millions €, elle redresse significativement la tête après six semaines de descente aux enfers. Les sorties en poche de Valérie Perrin, Trois, d’Agnès Martin-Lugand, La Déraison ou encore Bernard Minier, Lucia n’y sont probablement pas étrangères. Surtout quand L’affaire Alaska Sanders de Joël Dicker continue de soulever les foules et que le tome 21 de Demon Slayer (trad. Xavière Daumarie) fait une percée fulgurante.
Et dans ce contexte, les groupes Madrigall et Editis indiquent qu’ils vont appliquer une remise de 36 % minimale aux librairies physiques. Cette mesure sera mise en application le 1er juillet pour Editis et le 1er juin pour Gallimard. Un seuil minimal que salue évidemment le SLF, voyant ainsi aboutir un combat mené de longue date. Sans pour autant oublier de tacler la fusion Lagardère Vivendi au passage.
Même la Ligue des auteurs professionnels apprécie la décision, tout en considérant avec intérêt, la fixation d’un montant strict. « Alors que le taux minimum de 10 % pour les auteurs et autrices avait été considéré comme contra legem par le SNE qui jugeait la mesure contraire au droit de l’Union européenne et au droit de la concurrence, on apprend que, finalement, les rouages du droit sont plus malléables qu’ils n’y paraissent », note l’organisation. La référence aux négociations sur la rémunération des auteurs, dont la rue de Valois s'est emparée, n'aura échappé à personne.
Le contexte est pesant et l’on attend évidemment de nouveaux signes de la part des autres opérateurs de la distribution — Hachette, bien entendu, mais également MDS. À ce titre, le message d’Olivier Barbé intervient avec quelques nuances : à ce jour, le directeur général admet que des problèmes demeurent, mais que les équipes sont à pied d’œuvre pour les résoudre. Il observe également que les délais de livraison pour les colis expédiés sont revenus à des seuils plus raisonnables.
L’objectif de MDS est donc de présenter les correctifs apportés au fil du temps, ainsi qu’un plan d’action qui sera déroulé. Ainsi, le projet a été monté avec Stéphane Aznar, directeur général de Média Diffusion, nous indique Olivier Barbé, que d’aller à la rencontre des libraires. De fait, face à des reproches, parfois justifiés, les équipes ont choisi de basculer sur une autre approche, remplaçant les emails et autres communiqués par des rendez-vous concrets.
Au sein du groupe, les éditeurs apprécient la démarche, qui a bien entendu reçu le plein appui de Vincent Montagne, PDG du groupe. « Voir les gens qui sont nos partenaires, parler, écouter, et raconter ce qui s’est passé aura certainement plus d’effets », nous assure l’un d’entre eux. « Il s’agit aussi de faire “oublier” ce qui a eu lieu en décembre, en montrant l’investissement des structures. Tout le monde sait combien il est indispensable de préserver cette relation… », assure une autre.
Si certains libraires redoutent d’ailleurs « une communication descendante, alors qu’il n’y a pas eu de véritable solution de compensation », les équipes de MDS et MD feront donc amende honorable. En revanche, suite aux annonces de Gallimard et Editis – une remise de 36 % minimum garantie aux points de vente –, le groupe Media Participation ne fait aucun commentaire. Et se réserve donc l'effet de surprise – s'il doit y en a avoir. Au fil de la tournée, on finira bien par en apprendre plus.
Dans un communiqué, laconique, MDS indique simplement respecter des engagements pris et propose de « venir à la rencontre des libraires en régions et sur Paris/IDF afin d’échanger directement avec eux et leur exposer tous les correctifs mis en place et les plans d’action à venir ». Le groupe assure également : « Nous sommes également tournés vers la consolidation et le développement de nos organisations des mois prochains. »
Pour l’heure, cette initiative « prendra la forme de rencontres, organisées conjointement par MDS et Média Diffusion, et serons, nous l’espérons, des moments d’échange riches et constructifs ».
crédits photo : librairie Mollat à Bordeaux - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
6 Commentaires
D. L.
09/04/2022 à 11:33
"Librairie : en période de crise, resserrer les liens"
Quel drôle de titre !
Quels liens resserrer et avec qui?
Avec Bolloré?
Avec les actionnaires des groupes financiers qui tiennent l'édition industrielle?
Les libraires dits indépendants refusent pour grande partie de travailler avec les éditeurs réellement indépendants. Ils refusent des commandes, refusent de mettre en place des titres demandés invoquent des raisons fallacieuses, mensongères.
C'est honteux.
Alors, pleurer pour les serviteurs de la finance, merci, j'ai d'autres Ukraine à pleurer.
Les libraires ne font que suivre les tendances médiatiques dirigées elles aussi par des actionnaires en quête de dividendes.
Alors, messieurs les libraires dévoués aux financiers, ne venez pas pleurer, ne venez pas vous plaindre, vous êtes devenus des pantins au service des ogres, ne faites pas la pucelle en devant supporter leurs méthodes. Vous n'avez aucun courage, aucune pudeur, vous êtes devant ces géants comme nos dirigeants devant les dictateurs, vous faites semblant pour qu'on vous plaigne, de belles phrases creusent sortent de vos discussions… en attendant, l'édition indépendante, garante de la diversité, se bat pour survivre.
un libraire
09/04/2022 à 17:54
il faudrait des faits un peu précis ! En attendant je ne peux pas valider votre discours qui vise à mettre toutes les librairies dans le même sac. Côté maisons d'édition vous semblez distinguer celles "réellement indépendantes" des autres. Là-aussi ça mériterait des précisions. Qu'entendez-vous par "refuser de mettre en place des titres demandés" ? Dans un paysage effectivement de plus en plus concentré il y a des réalités sociales et économiques très diverses en librairie...
D. L.
10/04/2022 à 07:46
J'ai utilisé le terme de réellement pour les éditeurs face à une majorité de libraires qui même s'ils répondent à la notion d'indépendance financière, ne le sont plus car ils travaillent à 95% pour les groupes financiers de l'édition. La pression des diffuseurs est telle que le métier n'a plus rien à voir avec celui d'il y a 30 ans.
Je n'ai pas mis TOUS les libraires dans le même sac, vous avez certainement lu trop vite, mais j'ai bien écrit :
Les libraires dits indépendants refusent pour grande partie de travailler, etc.
Beaucoup de clients de librairies se sont vu répondre : Non, ce titre n'est pas disponible, ou vous ne serez pas livré avant deux semaines, ou nous avons des difficultés à être livrés…
Bref, toutes les fausses excuses tue l'amour, car ils refusent de servir des clients pour une marge réduite sur un livre à l'unité, même si l'éditeur concerné expédie chaque jour les commandes reçues.
La majorité des éditeurs indépendants, surtout en littérature générale, sont obligés de s'auto diffuser/distribuer à cause des frais dangereux des diffuseurs. Beaucoup ont coulé ou ont mis leur maison en danger à cause de ça.
Des groupements d'éditeurs tentent ces dernières années d'être entendus par les libraires, mais toutes les opérations, pourtant soutenues par de la communication et une vraie dynamique, se soldent par des échecs de pénétration. Les libraires du Sud en sont un exemple que je connais parfaitement.
Alors, même si chaque situation économique des libraires est spécifique, et que peut-être vous-même ouvrez vos tables à l'édition indépendante, la place de cette dernière est plus souvent sur tranche en fond de salle ou inaccessible qu'en face à l'entrée des librairies, quand encore elle est présente.
Vous demandez des exemples, des précisions… il y en aurait des dizaines, des centaines. Tous les éditeurs indépendants vous le confirmeront.
un libraire
10/04/2022 à 21:11
Merci pour ces précisions. Il s'avère que je connais moi aussi Éditeurs du Sud et Libraires du Sud !
Là où je travaille nous prenons toutes les commandes clients y compris quand c'est à perte avec des maisons qui font 20% de réduction avec 100% des frais de port à la charge de la librairie… Je fais aussi partie des personnes qui pensent qu'il y a trop de livres publiés en tout cas pour le circuit classique distribution-diffusion-librairie.
Libre sans air
09/04/2022 à 13:45
S'ils avaient quelque chose à dire, ce ne serait pas dilué en 8 réunions à travers la France qui s'étalent dans le temps.
Donc, le plan d'action est une fumisterie, au pire, une séance de café/croissant creuse.
Hesbay
10/04/2022 à 09:31
Très bon article, mais n’oubliez pas la Belgique francophone confrontée à un problème spécifique de distribution.