Les réactions du public à l'annonce de la loi interdisant le cumul de la gratuité des frais de port avec la remise de 5 % autorisée, pour la vente à distance de livres, sont plus que mitigées. D'un côté, les défenseurs de la librairie indépendante, convaincus du bien-fondé de la législation, de l'autre, les consommateurs d'internet, vexés d'avoir perdu leur avantage. Situation bien complexe, dont le gouvernement ne se sortira pas.
Le 13/07/2014 à 15:35 par Nicolas Gary
Publié le :
13/07/2014 à 15:35
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Le plan ne s'est pas déroulé sans accroc : d'abord, il y eut cet oubli fâcheux, des services du ministère de la Culture, qui avaient omis de prévenir Bruxelles de la modification qu'allait impliquer la loi. Puis, au cours des débats parlementaires, cette unanimité quasi-totale, en faveur d'une législation chargée de « rétablir un équilibre concurrentiel », et qui, finalement, n'apportera rien de tel. Entre les deux, des consommateurs qui s'affrontent, et l'on en compte légion dans nos colonnes : les commentaires des uns et des autres montrent à quel point la rue de Valois n'a rien géré de la communication dans ce dossier.
De toute manière, Romain Voog, président d'Amazon France, avait averti les éditeurs : s'il fallait passer par une facturation de 1 centime pour les livres, la filiale française n'aurait aucune hésitation. Il l'avait assuré en janvier 2013 auprès du président du SNE, Vincent Montagne : concernant les frais de port, « Amazon ne bougera pas sauf si le gouvernement les y contraint. Et quand bien même, la parade est toute prête en facturant les frais de port à un centime »
Puis, il y eut l'adoption au Sénat en deuxième lecture, et finalement, la promulgation de la loi au Journal Officiel. Et là encore, le ministère de la Culture ne sut pas mieux préparer les changements qu'en diffusant une infographie dans laquelle chacun pouvait lire en filigrane : ça va coûter plus cher d'acheter sur internet. Ce n'est pas faute d'avoir averti les services de Valois que, dans tous les cas, non seulement la législation ne changerait rien aux relations commerciales, mais surtout que les parades étaient déjà mises en place par les vendeurs en ligne.
L'abonnement légal et le 1 centime de rigueur
La solution, c'était le service Amazon Premium, pour la firme américaine, mais qui existe depuis quelques mois maintenant chez Fnac, avec Express +. Et sera certainement généralisé chez d'autres acteurs importants : le principe est simple, proposer un abonnement payant annuel, permettant de disposer d'une offre de gratuité sur les frais de port.
Or, Valois s'est alors retrouvé au pied du mur : Aurélie Filippetti affirmait à ActuaLitté, quelques jours après le vote du Sénat que « la loi laisse la liberté au diffuseur de choisir le mode de facturation des frais de port, que ce soit à l'occasion d'un acte d'achat ou via un abonnement annuel ». À peine votée, déjà contournée, par l'acteur le plus pointé du doigt, mais également d'autres : voilà qui démontrait, si besoin, toute l'efficacité d'une législation censée favoriser un équilibre commercial.
Romain Voog
ActuaLitté CC BY SA 2.0
Mais, de même que le président d'Amazon France avait prévenu en janvier 2013, de même sa société a su habilement gérer la communication de crise. Un message avait été rapidement expédié aux clients, le jour de la publication au Journal Officiel, pour informer des effets de la nouvelle loi. « Pour nos autres clients, non abonnés au programme Amazon Premium, nous avons fixé les frais de livraison au minimum autorisé par la loi, soit à seulement 1 centime pour une commande contenant des livres. »
Et mieux encore, Amazon a mis en place une page de questions/réponses, sur son site, pour détailler plus précisément les points que les clients pourraient ne pas comprendre. Les questions sont faussement naïves, bien tournées pour pointer du doigt le vilain petit canard de Valois, et les réponses, habilement formulées. Et l'on peut y lire : « Pour nos clients non abonnés au programme Amazon Premium, nous avons fixé les frais de livraison à seulement 1 centime pour une commande contenant des livres et expédiée par Amazon. Pour tous les clients abonnés au programme Amazon Premium, la livraison gratuite des livres est incluse dans l'abonnement annuel.»
Au royaume des communicants, Amazon est roi
Le marasme est complet : si la loi avait pour vocation de rétablir une quelconque équité entre les marchands, elle aura pour conséquence, au mieux, de faire en sorte qu'Amazon regagne obligatoirement les 5 % de remise qu'il pratiquait. Dans le pire des cas, elle verra une explosion des souscriptions à l'abonnement Premium. Dans tous les cas, elle servira à faire d'Amazon un martyr du commerce, sacrifié sur l'autel de la librairie indépendante. Et il n'est clairement pas beaucoup plus fin, de la part du Syndicat des libraires, d'affirmer haut et fort : « Un livre expédié à domicile coûte dorénavant plus cher qu'un livre acheté ou retiré en librairie. »
Depuis son arrivée sur le marché français, Amazon cherche à contourner cette loi en tentant de casser les prix, non par souci du consommateur, mais pour éliminer ses concurrents et détenir un monopole sur le marché du livre qui lui permettra d'étrangler ses fournisseurs éditeurs comme cela se passe actuellement aux États-Unis et dans plusieurs pays d'Europe.
Avant la loi, ce contournement prenait la forme d'une application systématique de la réduction de 5% sur le prix des livres et de la gratuité des frais d'expédition sans minimum d'achat. Dans ces conditions, tout livre vendu par Amazon conduisait à une vente à perte. Amazon compense ces pertes en ne payant pas d'impôts en France, son chiffre d'affaires étant rapatrié dans des paradis fiscaux, et en imposant à ses salariés des conditions sociales dénoncées dans le monde entier. Face à cette situation de concurrence déloyale, les 500 libraires proposant la vente sur Internet ne pouvaient pas offrir les mêmes conditions et leur développement sur ce marché en expansion s'en trouvait entravé.
Bien entendu, le reste du discours est tout à fait pertinent : l'optimisation fiscale, que pratiquent Amazon, et les autres grands groupes américains, est une menace, pour l'emploi, pour la fiscalité des pays, etc. Mais dans ce cas, s'en prendre aux remises de 5 % et aux frais de port n'est pas un coup d'épée dans l'eau : c'est de l'eau abondamment apportée au moulin d'Amazon.
Abus de position dominante, dernière solution ?
On pourra également se référer aux propos de Me Anne-Laure-Hélène des Ylouses, dans Challenges. Spécialisée dans les questions de concurrence, elle estime que d'autres solutions étaient possibles. D'ailleurs, nos confrères qui ont sollicité le cabinet d'Arnaud Montebourg, montrent bien que d'un ministère à l'autre, on préfère ne pas toucher à la patate chaude. « Le gouvernement aurait peut-être pu "border" la loi en obligeant le distributeur à ne pas facturer un coût de distribution inférieur au coût réel de la livraison. Il aurait aussi pu étendre la prohibition des "prix abusivement bas" (article L 420-5 du Code du commerce) à la revente de livres y compris à la facturation de leur livraison, comme c'est déjà le cas pour les CD et les DVD », précise l'avocate.
Et selon elle, il serait possible, si telle était réellement la volonté des pouvoirs publics, de faire en sorte que le 1 centime de frais de port soit tout bonnement annulé. Sur la base de l'article L 420-2 du même Code du commerce, il devrait être possible d'intenter une action pour abus de position dominante. Rappelons qu'en Allemagne, c'est actuellement sous le coup d'une plainte exactement similaire qu'Amazon est tombé, et devra donc répondre de ses actes. Au point que la Commission européenne se soit dite très intéressée par la procédure, et réclame des détails.
Valois précise d'ailleurs : « Nous avions bien envisagé que les libraires puissent baisser considérablement les frais de port. Mais comme de toute façon la réduction de 5% ne peut s'appliquer qu'en réduction des frais de port, cela revient à supprimer la réduction de 5% puisque 5% de 1 centime, cela fait presque zéro. » Joli calcul. Mais quand on joue au billard, il est bon de compter ses bandes : avec la loi, Amazon devient la victime, la librairie indépendante se trouve dans la position du commerce favorisé, et bien entendu, c'est le client qui trinque, en termes de pouvoir d'achat. « Depuis la nouvelle loi du 8 juillet 2014 relative aux conditions de vente à distance des livres, nous ne sommes plus autorisés à vous offrir ni les 5% de remise sur les livres, ni la livraison gratuite », se lamente Amazon, dans sa page de FAQ...
Joli calcul du ministère... vraiment ?
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