Le peuple des auteurs sera appelé à voter ce 18 juin, dans le cadre de l'assemblée générale ordinaire de la Sofia. Plusieurs points sont à l’ordre du jour, communiqués par voie électronique. Avec notamment une 8e résolution qui fera délicieusement froid dans le dos. Il s’agit du budget investi en 2019 sur le projet ReLIRE, le scandale que l’édition française se traîne depuis des années.
Le 08/06/2020 à 16:43 par Nicolas Gary
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Publié le :
08/06/2020 à 16:43
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Petit rappel : ReLIRE est un procédé législatif par lequel la BnF établit une liste de livres qualifiés d’indisponibles, publiés avant le 1er janvier 2000. Par indisponibles, on entend donc que l’éditeur ne les exploite plus — et manque donc par ce biais à son obligation contractuelle. Autrement dit, les auteurs desdits ouvrages seraient en mesure de pleinement recouvrer leurs droits sur les titres, et d’en faire ce qui bon leur semblera.
Mais voilà : par un jeu de passe-passe, l’État français — sous Nicolas Sarkozy, puis François Hollande — instaure un système par lequel les livres indisponibles vont être numérisés. Sans l’accord des auteurs, considérant qu’il est un peu fastidieux de les rechercher individuellement.
Conclusion : un projet de numérisation qualifié de patrimonial, où l’on liste les livres d’abord, et on demande l’autorisation ensuite. Précisément ce que Google Books avait fait en son temps, et qui avait tant fait hurler les éditeurs. Avant de leur apporter l’illumination — ReLIRE fut monté par le SNE et le ministère de la Culture, entre autres.
Des auteurs spoliés de leurs droits, qui pouvaient donc demander le retrait des titres, à condition d’être informés de ce qui se tramait. Mieux que rien, n’a-t-on cessé de nous répéter, et l’Europe préparait pire, paraît-il. Sauf que la Cour de Justice de l’Union européenne, au terme d’une fameuse action juridique, a fini par rendre le principe illégal.
La France, penaude, a vu son jouet fauché en plein vol — en partie seulement : tout ce qui avait été validé avant la décision de la CJUE pouvait continuer d’être exploité, mais interdiction de produire de nouvelles listes. Un recours avait été envisagé, pour mettre un terme même à cette survivance, mais pour le moment sans suite.
En somme, comme l’avait dit Yal Ayerdhal en son temps — lui qui avait porté le fer contre la France avec Sara Doke : le pays avait inventé une machine à spolier les auteurs. Rassurons-nous, ledit pays n’a pas abandonné l’idée de le ressusciter, tant s’en faut : encore locataire de la rue de Valois, Françoise Nyssen se désolait que le projet fut suspendu. C'était peu avant que l'on ne déclare un conflit d'intérêts entre l'ancienne dirigeante d'Actes Sud, devenue ministre de la Culture, et le secteur du livre...
Dans ce principe, la Sofia fut chargée de délivrer les licences d’exploitation à l’éditeur dont le titre avait été numérisé, ou à tout autre se présentant pour l’exploiter. Et de percevoir, comme elle le fait avec le droit de prêt, les sommes issues des ventes, afin de les répartir.
Seule vertu de ReLIRE : garantir 1 € de rémunération à l’auteur, quel que soit le prix de vente. Mais vraiment la seule. Et encore, à condition d'avoir oublié l'épisode des 30 deniers.
Voici donc que se profile l’AG de la Sofia, avec son lot de documentation à destination des adhérents — soulignons que le principe de transparence et de lisibilité des documents est un point sur lequel il sera amplement possible de s’améliorer. ActuaLitté a consulté lesdites informations — on peut les retrouver d’ailleurs à cette adresse.
La 8e résolution à adopter porte sur l’utilisation des sommes non réparties — ou irrépartissables. L’utilisation de cet argent pour un projet patrimonial posera toujours question, alors qu’il devrait être fléché vers l’Action artistique et Cuturelle. Deux sujets certes complémentaires, mais qu’un jour la Cour des comptes soit interrogée sur ce point apportera certainement une réponse claire.
Notons que dans les précédents rapports d’activités, le ministère « n’a pas émis d’observations restrictives sur cette pratique ». Et que dans les documents 2020 (pour l’année 2019), ce mode de financement est présenté « en accord avec le ministère de la Culture ». Si les mots on un sens, le changement de paradigme peut se savourer…
La Sofia indique qu’à ce jour plus de 200.000 titres sont entrés en gestion collective, et 162.784 disposent d’une licence (40 % exclusive, 60 % non exclusive). La société FeniXX est chargée de la commercialisation de 61.000 références, distribuées par Eden Livres. Ajoutons enfin que FeniXX dispose d’un nouveau président nommé le 8 mai, qui officie également comme directeur général d’Eden Livres, Alban Cerisier, secrétaire général de Gallimard au quotidien. Il occupe également un poste au Collège des éditeurs de la Sofia, et à ce titre se trouve donc membre du Conseil d'administration.
Ce catalogue représente 45.000 auteurs et sur l’ensemble 34.000 ouvrages ont été vendus, soit 180.000 ventes en tout.
Chose plus significative, la Sofia annonce que, pour la première fois depuis la création du dispositif, les sommes destinées aux auteurs ont été reversées, « au cours du second semestre 2019 ». Quel montant ? 16.736 €. Rappelons que les auteurs perçoivent 1 € garanti par exemplaire vendu…
Plus en détail : « L’ensemble des perceptions réalisées par la Sofia auprès des éditeurs et/ou de la société FeniXX se sont élevées à 91.151 €, au titre des exploitations réalisées sur 2015, 2016 et 2017 et ont fait l’objet d’une redistribution en 2019. En 2017 et 2018, les éditeurs et la société FeniXX avaient été facturés par la Sofia au titre des exploitations réalisées sur 2015, 2016 et 2017 pour un montant total de 91.151 €. L’exercice 2018 a été totalement facturé en 2019 pour un montant de 62.990 €. »
En 2018, FeniXX réalisait 240.000 € de chiffre d’affaires, pour 85.400 € de pertes.
Mais ce qu’il devient intéressant de mesurer, c’est l’investissement que Sofia a pu réaliser au cours de toutes ces années. « Ainsi, ReLIRE a été financé, en 2013, par les reliquats du droit de prêt 2003-2004 ; en 2014, par ceux de 2005 », peut-on lire dans la documentation archivée de la société de gestion collective. Mieux : « En 2014, le budget réalisé imputable à ce dossier a représenté 651.105 €, pour 610.503 € en 2013. »
Des centaines de milliers d’euros, chaque année, dont le détail n’est pas toujours bien compréhensible. Mais on peut raisonnablement estimer que depuis 2013, Sofia a injecté plus de 3,4 millions € dans son action pour ReLIRE, avec un retour sur investissement… épatant.
Rappelons tout de même qu’une partie de la réalité ReLIRE découle d’investissements en argent public — Caisse des Dépôts et Centre national du livre à la hauteur de 70 % — pour une estimation de 14,75 millions €. Ce chiffre, établi en juin 2017, n’a jamais été contesté par les parties impliquées. Heureusement, la CJUE est arrivée et l’hémorragie a cessé.
Voici donc que, pour 2019, les associés de la Sofia se voient proposer d’approuver les 278.672,96 € qui ont été investis dans la gestion des indisponibles. Et l’OGC de reconnaître, avec un sens de l’euphémisme qui défie la rhétorique, que « les perceptions sont à ce jour d’un niveau modeste ».
Outre la question du recours aux sommes dites “irrépartissables” qui est toujours contestée, peut-être que cette année, les associés prendront conscience de la situation. D’autant que l’argent des irrépartissables, logiquement, devrait leur revenir : en cette période, voyons, trouverait-on mieux à faire pour le dépenser ?
Illustration : mohamed_hassan CC 0
Photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Livres-anciens.fr
09/06/2020 à 08:45
Et encore une fois, l'état français est incapable de gérer de façon logique ses budgets et dépense sans compter au bénéfice que quelques grosses sociétés. je me permets de rappeler que ces dizaines de milliers de livres ont été numérisés à livre ouvert à partir d'un exemplaire du dépôt légal. Une numérisation à livre ouvert sans abimé le livre est facturé pas loin d'un euro la page... Alors que ce même livre est souvent disponible sur le marché d'occasion par dizaines d'exemplaires à moins de 10 €. Donc si on prend pour exemple un livre de 250 p. La numérisation a été facturée 250 € au moins (par une grande société qui a des marchés avec la BNF) alors que livre vaut 10 € en seconde main, qu'il aurait pu être coupé et numérisé dans un scanner de production pour un cout de moins de 50 € les 250 pages et avec un résultat 100 fois meilleur et 50 fois plus rapide.
Bravo la direction du projet... quand on dispose de millions pourquoi ne pas les utiliser et faire des économies en réfléchissant 5 mn ! Et les libraires en livres d'occasion auraient ravis de vendre des livres parfois invendables...
Et le pire de tout, c'est que la BNF a mis des livres dans les indisponibles, que Fenixx les commercialise en epub alors que ce même livre est disponible en POD (impression à la demande) chez l'éditeur d'origine.
Et comme un livre soit disant plus exploité est disponible à 5 ou 7 € chez FeniXX, du coup le libraire qui propose son livre d'occasion à 15 € ne le vend plus.... Où comment l'argent public sert à concurrencer de façon déloyale le marché du livre d'occasion.
SCANDALE et aucun politique ne s'en soucie !
Merci Actualitté pour ton engagement sur ce sujet
www.livres-anciens.fr
Jean-Marie Voignier
08/03/2021 à 20:43
Je découvre qu'un livre dont je suis l'auteur et que je distribue toujours, a été numérisé et est en vente sous forme numérique pour le quart de mon prix (Le répertoire des photographes de France au XIXe siècle, 1993). Quel budget prévoit-on pour indemniser les victimes de ce vol ?