Les vives critiques apportées contre le projet MyKindex - y compris celles plus réservées - pointent toutes le même écueil : une commercialisation des oeuvres, où finalement, les auteurs autoédités souscrivant au service finissent par acheter les ventes de leurs livres. Condamnable pratique ? Au regard des attaques, vraisemblablement. Mais plus largement, MyKindex met en exergue ce qu'il peut y avoir de pourri dans notre bas monde : le classement des ventes.
Le 30/07/2013 à 08:59 par Nicolas Gary
Publié le :
30/07/2013 à 08:59
Attends, pourquoi j'ai acheté ce livre déjà ?
rierdorf, CC BY 2.0
À bien y réfléchir, MyKindex est un système qui ne dépend que de la faille laissée béante par Amazon : en profitant de ce que le top des ventes se nourrit de la rapidité avec laquelle les livres sont achetés, le service s'inscrit dans une zone grise, à double titre. La première, c'est donc ce système de classements des meilleures ventes - suivant un algorithme qui dit à peu près « plus ça se vend vite dans une période brève, plus ça monte ». Évidemment, comme le souligne Amazon, ledit classement est régulièrement rafraîchi, pour apporter les informations les plus justes. Reste que dans l'intervalle, les titres ‘propulsés' par le système MyKindex peuvent trouver leur place.
Le second point, plus pernicieux, c'est la licéité du service. Dans un premier article, nous avions rappelé que ce type de méthode déboucherait, sous peu, sur top infesté de livres ‘propulsés', dénaturant complètement le principe même de ce classement, en n'y fixant plus que des livres sponsorisés. Et là, commence à apparaître le noeud gordien.
Le webmarketing du livre, ou l'art des failles - défaille ?
Sébastien Cerise, cofondateur de MyKindex, joint par téléphone, défendait son outil. « Le lecteur n'a déjà pas le choix dans ce qu'il va lire. Nous sommes dans une époque où les ventes, les coups de coeur, sont manipulés par un système. » Et pour cause : de même qu'on retrouve en tête de gondole les produits de tel fabricant de mouchoirs jetables, de même, se retrouve en exhibé en tête des ventes, un ebook qui ne doit sa place qu'au fait que l'auteur ait fait acheter ses propres livres. « Les auteurs ne sont pas obligés de souscrire à notre service. Et dans tous les cas, si le livre ne trouve pas son public, il disparaît du top », souligne Sébastien Cerise. En somme, MyKindex ne ferait que proposer, pour un montant X (149 € HT), un outil de promotion. À chacun de juger de la valeur de l'investissement.
Il se trouve que MyKindex fonctionne donc grâce à un système paresseux chez Kindle France. Et que sa licéité vis-à-vis des conditions générales d'Amazon est indiscutable : tous les points sont respectés - y compris les sacro-saints commentaires. Interdiction stricte de publier des commentaires avec de faux comptes. De ce point de vue, Sébastien Cerise est droit dans ses bottes : MyKindex ne contrevient à rien. Déplacer le débat sur des questions morales, éthiques et autres ne le concerne finalement pas, tant que sa société obéit aux règles que dicte Amazon. Inattaquable.
Que l'auteur parvienne donc dans le top en achetant son statut temporaire de best-seller n'a rien d'illégal, en regard des CGV d'Amazon. Là où le bât blesse réellement, c'est dans la relation que le consommateur entretient avec la prescription que représente ledit Top 20. Là encore, Sébastien Cerise est clair : « MyKindex propose une solution marketing abordable, pour valoriser le livre. Aucun auteur indépendant n'a les moyens de s'acheter un 4x3 dans le métro. Notre solution est donc adaptée à leurs moyens, et répond à leurs attentes. Tout en générant des ventes. »
Évidence : quel vendeur de chez JC Decaux pourrait garantir à son client des ventes parce que ce dernier a acheté des affichages dans la ville ? Avec la publicité, dans le monde physique, on vend de la présence dans le temps de cerveau. Sur internet, on vend du lien et du clic, lequel peut déboucher sur des ventes. Avec MyKindex, on devance le système : on vend des achats, qui garantiront une certaine exposition, durant un temps donné.
Ami consommateur, j'aime quand tu roucoules
Mais revenons à cette histoire de consommateur. Quelle différence existe-t-il entre une annonce google en haut des résultats de recherche du moteur, et le livre promu best-seller du moment ? La signalétique. Le lien Adsense ne se cache pas : il affiche ouvertement son fonctionnement, explique sa raison d'être. C'est un lien sponsorisé, acheté au préalable par un client et que Google valorise en fonction de la somme investie. Une publicité, en somme, et qui, pour être distinguée des résultats de recherche plus ‘naturels', bénéficie d'un design distinct. En exposant ce problème au cofondateur de MyKindex, ce dernier reconnaît un manque de transparence.
« Je serai prêt à réfléchir avec Amazon, à une autre manière de faire. Aujourd'hui, ce qui génère des ventes, ce sont d'autres ventes. Nous faisons avancer les choses, et dans le bon sens », explique-t-il. Une autre manière de faire, cela passerait donc par une signalétique expliquant au client que le livre présent dans le top doit sa présence à un système précis, résultant d'une opération marketing propre. « Si nous faisons tous les deux un tour des librairies, nous retrouverons sur les tables les mêmes best-sellers. Aujourd'hui, les libraires, contrairement aux grandes surfaces, ne négocient pas leur mise en place sur les tables. Mais cela viendra. Et ça se fait déjà chez Fnac. »
Rourou... Elle est top, cette place !
Edd Turtle, CC BY SA 2.0
Moralité, on vend ce qui se vend, et à ce titre, Sébastien Cerise à raison : ce qui génère des ventes, ce sont, plus que d'autres ventes, des ouvrages qui se vendent déjà. Ou ont accédé au statut de livres promus. À la différence d'une prescription par bouche à oreille, l'achat de sa place dans le classement des meilleures ventes se résumerait à une entreprise de marketing bien plus efficace. Mais que penserait-on d'un éditeur qui achèterait 10.000 exemplaires de son livre pour figurer dans les classements qui ont pignon sur rue dans l'édition ? Eh bien voilà : il en va de même avec MyKindex. Si l'intention peut être louable que de commercialiser un service accessible pour mettre en avant son livre, tout le fonctionnement est trompeur pour le client - le destructeur final, comme on désigne le lecteur dans le monde marketing.
Rappelons que le livre ‘propulsé' est soumis aux lecteurs membres de MyKindex, lesquels achètent le titre sur Amazon, via un lien spécifique, et se font ensuite rembourser leur achat, majoré un 20 % du prix du livre en guise de cadeau. Encore faut-il que le livre soit vendu au maximum 99 centimes. L'auteur client a donc acheté ses ventes de livres, pour profiter d'une exposition temporaire - et espère donc toucher une communauté qui le suivra.
Trafic d'influences
Prenons un autre exemple : les informations de ActuaLitté sont, comme pour beaucoup d'autres médias, diffusées sur Google actualités. Le service - en tout cas pour nous - est gratuit. Nul doute que des systèmes parallèles doivent exister pour valoriser les sujets publiés et donc rapporter un trafic supplémentaire. Or, Google actualités ne représente que 18 % de notre trafic mensuel. Cela peut monter à 22 % si plusieurs sujets ont bénéficié - gratuitement toujours - d'une mise en avant spécifique.
Mais voilà : l'immense majorité des accès à notre magazine se fait par les liens que nous diffusons sur Twitter, Facebook, ainsi qu'en accès direct au site - notre page d'accueil mise dans les Favoris d'un navigateur. En tout, ce volume de trafic représente plus de 63 %. 63 + 18 = 81 %, les 19 % restant venant de moteurs de recherches classiques (Google y compris), ou de gens qui se sont perdus depuis des liens pointant vers ActuaLitté. Ajoutons aussi la lettre d'info quotidienne et le compte doit, peu ou prou, y être.
Conclusion : la communauté des lecteurs ne provient pas de résultats de recherches, mais bien de personnes qui suivent nos publications. MyKindex, ce serait un journal qui ne vivrait que par l'intermédiaire de Google actualités - et le jour où le moteur disparaît, c'est la fin des haricots. Pire, puisque pour profiter d'une exposition maximale, le journal aurait en plus investi dans des Adsense, afin de renforcer son audience. Ce principe n'a qu'un temps - et à terme, il n'est pas viable.
Une nécessaire ère de glasnost - un air déjà connu
Quand nous évoquons le manque de transparence des livres ‘propulsés', Sébastien Cerise reconnaît cette faiblesse, tout en pointant : « Si nous introduisions un système d'affichage spécifique, cela tournerait comme pour les liens Adsense : la valeur de certains mots-clefs augmenterait, et au final, seuls les gros pourraient s'offrir ce type de présence. Il existe certainement des manières plus intelligentes, plus efficaces et plus éthiques de faire, et je serais ravi d'en discuter avec Amazon US. Amazon France n'a aucun pouvoir sur ces questions. » Resterait alors à convaincre la firme que l'on peut instaurer un outil pour fausser son Top 100 - ou plus encore, comment afficher sur ledit top, une mention explicative.
Poussez, y'en aura pas pour tout le monde
puuikibeach, CC BY 2.0
Insoluble ? Exactement. Le jour où trois, quatre sociétés se partageront le business de la ‘propulsion de livres', alors c'en sera fini du principe même de top. Mais c'est peut-être par là qu'il faudrait commencer : les contraintes du cybermarchand, de tout vendeur en ligne, sont de parvenir à établir un classement des ventes. Et pour l'heure, le meilleur outil reste le nombre de vente - que l'on pourrait cumuler avec un système de notation pris en compte, selon le nombre de commentaires positifs, d'étoiles, etc. Et nous voici retombés dans un autre côté obscur, sans parvenir à s'en sortir.
Si pour l'heure, Amazon France semble n'accorder aucune importance à la crédibilité de son top, quelle que soit la période de rafraîchissement, la méthode ne saurait subsister. MyKindex, en soi, ne fait rien de mal - légalement - donc rien de répréhensible. Son fonctionnement découle d'une faille, et cette faille n'est pas corrigée - apportant une forme de caution, alors même qu'Amazon nous a assuré être au courant du service. Dans un livre sur la drague, Neil Strauss, sacré dragueur du siècle, ou de l'année (The Game, les secrets d'un virtuose de la drague, livre paru au Diable Vauvert) disait : « Don't blame the gamer. Blame the game. »
Ne condamne pas le joueur. Condamne le jeu. Et tant que le jeu des cybermarchands reposera sur un top des ventes sans autre fondement qu'un algorithme, ce dernier n'aura aucune valeur. MyKindex est là pour le démontrer.
Commenter cet article