« Des Anglais, étonnés de l’énergie qu’il montrait sous un gouvernement absolu, lui écrivirent : À M. de Beaumarchais le seul homme libre qu’il y ait en France. » Vie privée, politique et littéraire de Beaumarchais, Charles-Yves Cousin, Chez Michel, 1802, Paris. Homme libre, voilà bien ce qui qualifie le mieux Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Tout autre qualificatif serait incomplet. Que fut Beaumarchais ? Un horloger.
Son père, André-Charles Caron était horloger, Pierre-Augustin sera donc, à partir de ses quinze ans, son apprenti. L’élève dépassera le maître quand il inventera, en 1753, le système du double échappement qui permet de réduire l’avance (ou le retard) qu’une montre peut prendre. Imprudent, il en parlera à un autre horloger, un dénommé Lepaute, qui essaiera de lui dérober son invention. Peine perdue, Pierre-Augustin, âgé de vingt ans, manie déjà bien la plume, il envoya un mémoire à l’Académie des sciences qui reconnaîtra le 16 février 1754 « que le sieur Caron doit être regardé comme le véritable auteur du nouvel échappement ». Cette invention parvint aux oreilles de Louis XV, qui lui passera plusieurs commandes. Pierre-Augustin, horloger du roi, belle aubaine pour remplir son carnet de commandes et avoir ses entrées à la cour.
Un musicien
Beaumarchais était féru de musique. Dès 1759, il devient le maître de musique de Mesdames, les filles du roi. Il leur enseigna la harpe et organisa dans les salons privés de Versailles des minis concerts. Par la suite, la musique sera toujours omniprésente dans ses pièces de théâtre. D’ailleurs, Le Barbier de Séville était, à l’origine, pensé pour être un opéra-comique, mais il fut refusé par la Comédie-Italienne en 1772. Plus tard, il proposera au compositeur Christoph Willibald Gluck de faire une œuvre commune. Gluck bottera en touche et lui proposera de travailler avec son élève, Antonio Salieri. Le 8 juin 1787 fut ainsi donnée la première représentation de Tarare à l’Académie royale de musique. Ni échec, ni triomphe, Tarare vivota jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Un blâmé
C’est au printemps 1760 que Beaumarchais rencontre Joseph Pâris-Duverney. Financiers qui ont fait fortune avec ses frères dans le ravitaillement des armées, ils sont aussi fermiers généraux et s’occupent donc de la collecte des impôts. Ils sont indispensables à la gestion des affaires financières de l’État. Les deux hommes vont immédiatement s’entendre et travailler ensemble. De fil en aiguille, Pâris-Duverney finira par considérer Beaumarchais comme son fils. Ainsi, quand dix ans plus tard, en 1770, le mentor sera sur le point de mourir, ils mettront leurs affaires en ordre et Pâris-Duverney déclarera devoir à Beaumarchais 15.000 livres. Le 17 juillet 1770, le financier meurt.
Beaumarchais essaie alors de récupérer son argent, mais le comte de La Blache, arrière-petit-neveu du défunt, ne le voit pas de cet œil. Pour lui, les documents prouvant l’arriéré sont des faux. L’affaire va devant le tribunal un an plus tard. Le 22 février 1772, La Blache est débouté. Il fait appel.
Le procès aura lieu début avril 1773.
Le 11 février 1773, M. le duc de Chaulnes et Beaumarchais se battent chez ce dernier pour une histoire de femme. Quand le commissaire arrive, Beaumarchais refuse de porter plainte, il ne veut pas d’un autre procès, surtout face à un duc. Cependant l’affaire est tout de même renvoyée devant le tribunal des maréchaux de France. Beaumarchais l’emporte, le 19 février le duc de Chaulnes est arrêté. « Quoi, un duc en prison, un Beaumarchais en liberté ? » Le 24 février, Beaumarchais est également arrêté.
Cependant, dans un peu plus d’un mois aura lieu son procès en appel contre La Blache, il lui faut le préparer. Il obtient l’autorisation de sortir de prison la journée à condition de rentrer pour dormir.
Le 1er avril 1773, « Louis-Valentin Goëzman est désigné rapporteur du procès qui oppose Beaumarchais à La Blache ». Beaumarchais souhaite le rencontrer, Goëzman refuse. Beaumarchais insiste, passe par Mme Goëzman qui lui fait comprendre que contre cent louis elle verra ce qu’elle peut faire. Première rencontre, brève. Une deuxième doit avoir lieu contre une montre et quinze louis. Si le rendez-vous n’a pas lieu, il sera remboursé. Il n’y aura pas d’autre rendez-vous ni de remboursement, le procès sera perdu, Beaumarchais blâmé et ruiné. Pour sauver son honneur, il va faire ce qu’il sait faire de mieux, écrire pour convaincre. Ça sera Mémoires contre Goëzman, succès de librairie, six mille exemplaires vendus en trois jours ! Goëzman est corrompu et parjure et cela est rendu public. Cependant « il faudra attendre la fin de l’année 1775 pour que l’arrêt du 6 avril 1773 soit cassé ; l’affaire La Blache sera renvoyée alors devant le parlement d’Aix-en-Provence, et c’est le 21 juillet 1778 seulement que Beaumarchais gagnera définitivement face à La Blache. »
Les premières missions de Beaumarchais remontent à 1764. Il doit pour cela aller en Espagne, où il doit par ailleurs régler une affaire de famille. Affaire rocambolesque que l’on nommera par la suite « l’affaire Clavijo ». Cette histoire, digne d’un vaudeville, réunit Lisette, sœur de Beaumarchais, José Clavijo y Fajardo en prétendant plus très sûr de lui qui va tenter de prendre la poudre d’escampette et Beaumarchais qui n’admet pas que l’on plante là sa sœur et qui va exiger réparation. On comprend mieux pourquoi cette histoire inspira Goethe, « Clavigo fut la première pièce qu’il publia sous son nom (en août 1774 à Leipzig). »
Mais revenons-en à ses missions, il doit obtenir « pour vingt ans la concession de la Louisiane », il faut aussi négocier le ravitaillement les armées du roi d’Espagne et enfin « fournir en esclaves les colonies espagnoles d’Amérique ». Il mène la belle vie en Espagne et ses découvertes culturelles seront bénéfiques au Beaumarchais dramaturge, mais concernant ses missions cela sera un échec complet. Première expérience non concluante, en définitive.
Dix ans plus tard, dans l’espoir de recouvrer ses droits civiques, sous le nom de Monsieur de Ronac (anagramme de Caron), il part en Angleterre où il doit détruire un brûlot intitulé Mémoires secrets d’une femme publique. La cible est alors Madame du Barry, maîtresse en titre de Louis XV, et accessoirement ancienne prostituée. L’auteur est Charles Théveneau de Morande qui, comme il est dit dans le film Beaumarchais l’Insolent d’Édouard Molinaro et de Jean-Claude Brisville, vivait de la non-publication de ses œuvres. L’idée était de menacer de publier des anecdotes croustillantes et de se faire payer pour qu’elles ne paraissent jamais. Les Mémoires secrets sont brûlés le 27 avril 1774, Morande reçoit 32.000 livres et, de surcroît, se met au service de Beaumarchais. Malheureusement, le 10 mai, Louis XV meurt sans avoir eu le temps de le déblâmer. Tout est à refaire avec Louis XVI et une affaire similaire se profile. Un nouveau brûlot apparaît sur l’incapacité du nouveau roi d’honorer sa femme. Morande aide Beaumarchais à retrouver l’auteur du pamphlet et revoici Pierre-Augustin plongé dans de nouvelles aventures qui le mèneront jusqu’en Autriche.
"Cher Beaumarchais, aidez-vous les Américains par amour de la liberté ou pour gagner de l’argent ? "
Quelques mois plus tard, en 1775, notre espion est de nouveau en Angleterre. Cette fois-ci la mission est la suivante : récupérer un plan d’invasion de l’Angleterre. Plan qui n’est plus d’actualité certes, mais qui, s’il tombait entre de mauvaises mains (anglaises) risquerait de déclencher une nouvelle guerre. Louis XV avait, en effet, envoyé un agent reconnaître « secrètement les côtes anglaises en vue d’un éventuel débarquement ». Malheureusement l’agent se brouille avec la France. Louis XV meurt, Louis XVI s’inquiète. Il envoie Beaumarchais négocier avec cet agent qui n’est autre que le Chevalier d’Éon. Après plusieurs rencontres (il y aura même des rumeurs sur une possible histoire d’amour entre eux – rappelons tout de même que le chevalier était bel et bien un homme), le chevalier d’Éon accepte la transaction et rend les documents à Beaumarchais.
Dans le même temps, Beaumarchais prend à cœur la révolution américaine. En Angleterre, il rencontre Arthur Lee, ami de Benjamin Franklin. De retour à Paris, il essaie de convaincre Louis XVI de prendre position. Le roi n’est pas contre, mais l’aide devra être clandestine. Beaumarchais se lance et crée la société Rodrigue Hortalez & Cie. Le Trésor Royal donnera un million, l’Espagne, également, le reste sera à la charge de Pierre-Augustin. L’idée est la suivante : envoyer par bateau des armes, des munitions, etc. En retour, il recevra des denrées qu’il pourra revendre. Au total quarante bateaux vont partir. Hélas le paiement ne se fait pas. Cher Beaumarchais, aidez-vous les Américains par amour de la liberté ou pour gagner de l’argent ? Voici en substance ce que pense le Congrès américain. Malaise. Le combat pour être remboursé continuera bien après la mort de l’auteur, ce n’est qu’en 1835 que sa fille touchera 800.000 livres… une broutille en comparaison de l’investissement !
Mais tous ces efforts lui permettront tout de même d’être rétabli dans ses droits civiques. Le 6 septembre 1776 le blâme est levé !
Bien sûr Beaumarchais fut un dramaturge, mais finalement assez peu. Il faut donc qu’il y ait ici du génie pour marquer autant en si peu de productions.
On retiendra surtout deux pièces : Le Barbier de Séville dont la première est jouée le 23 février 1775. Ça sera un bide ! À son texte initial, il a rajouté tout un acte reprenant ses aventures en Espagne, ça ne passe pas. Qu’à cela ne tienne, il le retravaille. Le dimanche suivant, les Comédiens reprennent Le Barbier, c’est un succès.
Le 27 avril 1784, après plusieurs navettes avec la censure, a lieu la première représentation de La folle journée ou le Mariage de Figaro. Il signe son plus gros succès, il a cinquante-deux ans.
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Ces débuts, il les fit chez Charles Le Normand, époux (cocu) de Jeanne Poisson, plus connue sous le nom de Madame de Pompadour. Il le rencontra probablement vers 1757. Charles Le Normand recevait les esprits les plus éclairés du moment, dans sa demeure, le château d’Étiolles. C’est là que Beaumarchais écrira de petites scènes qui seront jouées lors de soirées entre amis. Et puis, direction la Cour des Grands. Le 29 janvier 1767 aura lieu la première représentation d’Eugénie, par la Comédie-Française. « Honnête succès » comme l’écrit Christian Wasselin. La suivante, Les Deux Amis, sera un échec.
Durant sa vie, il va écrire six pièces. La dernière vient clore la trilogie Figaro, il s’agira de La Mère Coupable. Elle est représentée pour la première fois le 6 juin 1792. Beaumarchais y attaque les abus de la Révolution. Courage ou inconscience ?
Beaumarchais est suspect. Le 26 juin 1786, il achète un terrain pour faire bâtir une magnifique demeure « une maison de campagne au milieu de Paris, qui ne ressemble à aucune autre, bâtie avec la simplicité hollandaise et la pureté athénienne. » Au printemps 1789, elle est terminée. Elle correspond aux critères de vente recherchés aujourd’hui, elle a vu sur un monument de Paris… la Bastille ! Il a une autre excellente idée en ces temps festifs, faire visiter cette belle demeure aux Parisiens… !
Il est riche, n’appartient à aucun clan, a des mœurs légères et le revendique, la liberté passe aussi par là. La Révolution ne le tuera pas, Marat aurait bien voulu qu’il s’arrête par la case guillotine, mais Beaumarchais réussit toujours à convaincre son auditoire.
Qui était Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ? Lui qui fut aussi un éditeur, le temps de publier les œuvres complètes de Voltaire en quarante volumes ; un époux, marié trois fois dont les deux premières femmes sont mortes assez rapidement ce qui fit dire à certains que cela n’était pas des morts naturelles. Beaumarchais, assassin ? Non ! Comme le dit si bien Voltaire : « Beaumarchais est trop étourdi pour être un empoisonneur. C’est un art qui demande une prudence infinie. »
Qui était Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ? C’est finalement lui qui se présente le mieux : « Qu’étais-je donc ? Je n’étais rien que moi, et moi tel que je suis resté, libre au milieu des fers, serein dans les plus grands dangers, faisant tête à tous les orages, menant les affaires d’une main et la guerre de l’autre, paresseux comme un âne et travaillant toujours ; en butte à mille calomnies, mais heureux dans mon intérieur, n’ayant jamais été d’aucune coterie, ni littéraire, ni politique, ni mystique, n’ayant fait de cour à personne, et partant repoussé de tous. »
Les éditions Gallimard publient, en folio, une remarquable petite biographie de Beaumarchais. Son auteur, Christian Wasselin, nous rend un travail impeccable, précis et rythmé, parfait pour une première rencontre avec le sieur Caron de Beaumarchais !
Par Audrey Le Roy
Contact : aleroy94@gmail.com
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