La vie mouvementée d’Henriette Campan, tel est le titre de la biographie qui vient de sortir chez Flammarion et signée Geneviève Haroche-Bouzinac, professeure de littérature française de l’âge classique et dont les champs de recherches sont, entre autres, l’étude des correspondances et des mémoires.
Le 06/11/2017 à 10:03 par Audrey Le Roy
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Publié le :
06/11/2017 à 10:03
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Vie mouvementée, c’est un euphémisme pour caractériser la vie de celle qui fera son entrée à la cour âgée d’une quinzaine d’années pour devenir la lectrice de Mesdames, filles de Louis XV, principalement de madame Victoire (madame quatrième) et madame Louise (madame dernière) – Louis XV et Marie Leszczynska eurent huit filles dont les petits surnoms chéris étaient tout bêtement leur ordre de naissance, simple, mais efficace – ; qui deviendra la première femme de chambre de la reine Marie-Antoinette ; qui échappera presque par miracle aux folies meurtrières de la Révolution française et de la Terreur ; qui, sans un sou, repartira de zéro pour fonder une institution pour jeunes filles d’où sortira de futures souveraines.
Voici l’histoire d’une femme possédant de nombreux atouts, « l’élégance, l’éloquence, une grande culture, une intelligence intuitive des situations », mais surtout une femme convaincue de l’importance de l’éducation pour construire sa vie, d’autant plus lorsque l’on est une femme de la fin du XVIIIe siècle, début XIXe.
De l’importance d’un foyer aimant et d’une bonne éducation…
Madame Campan, née Henriette Genet le 2 octobre 1752, a été élevée dans un foyer où les parents s’aimaient. Pour l’époque, où les mariages arrangés sont légion, c’est important de le préciser. Son père, Edme Genet, est un interprète fort érudit qui aime s’entourer d’académiciens, de poètes, de dramaturges, de jésuites… . Ainsi défileront dans ses salons Marmontel, Quesnay, l’Abbé Raynal, Goldoni ou encore le poète Antoine Léonard Thomas qui inspira tant le jeune Lamartine avec ce vers « Ô Temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse. » Comment, en côtoyant, de telles personnes, ne pas développer une certaine curiosité et un certain goût pour les études ?
Si on ajoute une bibliothèque évidemment bien garnie, mais où non pas droit de citer les livres de dévotion, on ne se pose même plus la question. Et de fait, Henriette est curieuse de tout, mais développe une appétence toute particulière, à l’image de son père, pour le théâtre.
« Inventif, érudit, loyal, tout à la fois “royaliste et philosophe”, selon les termes de sa fille, tel est le père que ses enfants admirent. » Ses enfants ? Quatre filles, dont Henriette est l’aînée, et un garçon.
Les filles sont élevées à la maison, il est hors de question pour Edme de laisser leur éducation aux bons soins d’un couvent. Elles auront une gouvernante anglaise, un maître de harpe et de guitare pour les plus grandes, étudient la grammaire, les lettres, les langues, l’histoire, « le don qu’Edme fait à ses enfants est simple : faire bon usage de leur raison et cultiver leurs talents. »
Cette éducation et les facilités dont jouit Henriette ne tardent pas à faire parler d’elle en haut lieu, « c’est par la duchesse de Choiseul, épouse du ministre, que la comtesse de Périgord […] entend parler de “miss” Genet. Elle cherche une lectrice » pour madame Victoire et madame Louise, filles de Louis XV.
C’est en octobre 1768 qu’elle prend son poste et… ce fut un désastre : « il me fut impossible de prononcer plus de deux phrases ; mon cœur palpitait, ma voix était tremblante et ma vue troublée. » La jeune fille prendra néanmoins rapidement ses marques dans « ce pays-ci ». Les lectures avaient le plus souvent lieu dans le cabinet intérieur de madame Victoire, pendant que celle-ci était à sa tapisserie, lectures qui duraient régulièrement plus de cinq heures ! Pas une sinécure : « j’y fus dans un esclavage tel que vous ne pouvez vous l’imaginer. »
Ainsi, quand en mai 1770, arrive à la cour la jeune dauphine Marie-Antoinette, c’est tout naturellement que les deux jeunes femmes se rapprochent, « elle n’avait que quinze ans, j’en avais dix-sept, et j’étais la seule jeune personne dans l’intérieur des princesses. » D’autant que les vieilles filles de Louis XV ne seront pas longues à critiquer celle qu’elles appellent déjà « l’Autrichienne ».
Henriette voit sa sœur cadette, Julie, se marier avant elle avec un fringant jeune officier. Le jeune couple est amoureux. Henriette ne doute pas qu’elle fera également un mariage d’amour. De fait, elle aime et est aimée, seule ombre au tableau, le jeune homme est… protestant. Ils doivent renoncer l’un à l’autre le cœur lourd. « Henriette ne confiera son nom à personne, mais elle ne l’oubliera jamais. »
Henriette a désormais vingt et un ans, elle est au service exclusif de Marie-Antoinette et cette dernière s’est mise en tête de la marier, du reste, à son âge, il est largement temps. Le futur époux sera Pierre Dominique François Berthollet Campan, 25 ans. Le mariage a lieu le 11 mai 1774, peu de temps après, le charmant garçon annonce à sa tendre épouse qu’il n’a que faire d’elle et s’en va pour plusieurs années en Italie. Mari volage, dépensier, père violent, il ne se rapprochera de sa femme que pour demander de l’argent ou se faire soigner. Madame Campan fera vite le deuil de sa vie affective et se consacrera aux autres à défaut d’elle-même.
Si Henriette affectionne énormément Marie-Antoinette, elle n’est pour autant pas aveugle sur les capacités intellectuelles de sa, désormais, reine. Était-elle « sotte comme un panier » selon l’expression consacrée par la Palatine à propos de la Fontanges en d’autres temps ? Ne portons pas de jugement, contentons-nous de la citer : « je dois avouer ma dissipation et ma paresse pour les choses sérieuses », que chacun en tire l’enseignement qu’il veut. Quoi qu’il en soit, Henriette, elle, s’ennuie ferme et c’est avec un plaisir non dissimulé qu’elle retrouve ses proches pour avoir des conversations d’un niveau, dirons-nous, plus élevé.
Marie-Antoinette en 1783, par Élisabeth Vigée Le Brun.
Cependant, vu l’état dans lequel est son couple, on ne peut pas réellement en vouloir à la reine de souhaiter être entourée de frivolités, cela lui permet de penser à autre chose. Henriette, en qualité de femme de chambre, est bien consciente du désarroi de Marie-Antoinette et, quand un matin la reine la prend dans ses bras pour pleurer tout son soûl, elle sait à quoi s’en tenir… mais sait également rester à sa place et fait appeler madame de Polignac, « Henriette a assez de lecture et de philosophie pour savoir que l’amitié ne se pratique qu’entre égaux. »
Il est coutume de dire que les débuts de la Révolution française remontent à 1789. Et pourtant, a posteriori, que de signes avant-coureurs… Février 1781, le Compte rendu au Roi de Monsieur Necker est rendu public, il fait état des finances du pays… et ça n’est pas reluisant.
Mai 1781, une loi interdit l’accès aux roturiers à tous les grades militaires, « cette loi injuste s’étend même aux bénéfices ecclésiastiques, qui deviennent l’apanage de la noblesse », ça grogne chez les bourgeois !
27 avril 1784, la pièce de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, est enfin autorisée, « les applaudissements font trembler les planchers du théâtre tandis que le trône commence à vaciller. »
1784/1785, la retentissante affaire du collier, dont nous ne ferons pas le résumé ici, mais qui finira de complètement discréditer la reine aux yeux du peuple.
En 1786, Henriette est officiellement « installée dans la charge de première femme » de chambre. Ses tâches sont multiples : présenter le fameux livre des échantillons d’étoffes afin que la reine puisse choisir sa tenue ; tenir l’agenda, faire, le cas échéant, les présentations ; gérer la cassette de la reine, « connaître l’usage que quelqu’un fait de son argent, c’est s’approcher intimement de sa personne. Lorsqu’elle affirme avoir été dans un emploi de femme de confiance, Henriette n’exagère pas. »
Être dans un emploi de confiance auprès de la reine à cette période à couté leurs têtes à beaucoup. Mais pas à Henriette ! Et pourtant elle en a vécu des événements, tous en fait ! Ceux de Versailles, ceux des Tuileries, les lettres chiffrées qu’elle écrivait sans en connaître le code, la fuite à Varennes qu’elle aide à organiser, la prise des Tuileries où elle et ses sœurs échappent de peu à la mort.
Et puis le temps des suspicions, des emprisonnements des proches, le suicide de sa sœur Adélaïde suite à l’emprisonnement de son mari… qui sera finalement libéré. Aucune famille n’a été épargnée pendant cette période, la sienne non plus, mais elle, si proche de Marie-Antoinette, a gardé la tête sur ses épaules, au propre comme au figuré.
« Durant ses nuits blanches, elle a formé un projet. “Les monastères [sont] fermés, les religieuses dispersées”, se dit-elle. Qui va prendre en charge l’éducation des enfants, désormais ? »
Henriette prend sa décision le 4 septembre 1794. Avec une somme que lui avait prêtée Adélaïde, elle loue une petite maison à Saint-Germain-en-Laye. Ville réputée pour son bon air, n’ayant pas trop souffert de la Révolution, étant bien desservie par les transports, des « voitures à huit sièges partent à huit heures du matin de l’hôtel de Toulouse et sont de retour le soir à sept heures. L’une se dirige vers Paris, l’autre vers Versailles. » (En attendant le RER)
L’Institut national de Saint-Germain-en-Laye vient de naître.
Au début l’Institut ne compte que quelques jeunes filles, dont une majorité sont de la famille. Les temps sont durs et la disette fait rage, quelques parents payent en farine, ce qui permet de faire du pain. Henriette ne manque ni de courage ni de volonté et la chance est de son côté. Grâce aux relations qu’a son frère Edmond aux États-Unis, elle voit un jour arriver au pensionnat la fille de l’ambassadeur James Monroe, Eliza. Il paye la scolarité de sa fille d’avance et en dollars. Il va permettre de faire quelques achats et surtout d’accroître significativement la notoriété de l’établissement. Suivront, en juin 1795 « les trois filles de l’ambassadeur de la République d’Amérique en Angleterre. »
La petite maison est assez vite trop petite, il faut déménager. L’ancien hôtel de Rohan est libre, ça sera la nouvelle adresse de l’institut !
Hortense de Beauharnais par François-Pascal-Simon Gérard
Une nouvelle pensionnaire arrive, accompagnée de sa mère. La pensionnaire se nomme Hortense, sa mère Joséphine de Beauharnais, une belle amitié va naître entre les deux femmes… l’histoire est en marche.
« Henriette se souviendra d’avoir élevé ensemble une dizaine de filles de nobles guillotinés. » Elle aura également élevé de futures femmes importantes. Pour ne citer que les plus connues : Hortense, fille de Joséphine, future Reine de Hollande ; Caroline, sœur de Bonaparte, future épouse de Murat et Reine de Naples ; Aglaé-Louise, sa nièce, qui épousera Ney. « À quarante-trois ans, Henriette se sent au “matin d’une seconde existence utile et modeste” ».
Son modèle est assez évident, il s’agit de Madame de Maintenon, seconde femme de Louis XIV et fondatrice de l’école de Saint-Cyr. Mais les temps ont changé, il s’agit de moderniser un peu tout cela. S’en est terminé avec les distinctions liées à la naissance, tout le monde est élevé à la même enseigne. Elle refuse que ses élèves aient de l’argent de poche afin de ne pas susciter la convoitise des moins fortunées.
« Ce qui anime implicitement l’institutrice, c’est l’idée d’une possible évolution dans la vie d’une femme. »
Elle se renseigne des modes d’éducation dans les pays voisins ; créer des divisions en fonction des âges, mais également des aptitudes de chacune. Ses classes sont distinguées par des couleurs. Elle refuse un système basé sur la punition, la peur et la privation. Au contraire, elle prône l’encouragement. Elle est à l’origine des bons points.
Lecture et écriture sont à l’honneur dans les petites classes, en grandissant les élèves travaillent la diction qu’elle enseigne via le théâtre et la création de petites saynètes. Elle insiste sur l’importance du résumé, qui stimule la réflexion et la compréhension. Insiste également sur l’enseignement de l’Histoire et de la géographie, mais les arts ne sont pas laissés pour compte. Des professeurs renommés viennent enseigner le solfège, le chant italien, le chef d’orchestre de l’Opéra « aide les élèves à manier l’archet », le dessin et la peinture sont également enseignés. « Conquérir un statut d’artiste pourrait représenter un espoir professionnel pour ces jeunes filles dont l’avenir n’est pas assuré. »
Elle souhaite que ses élèves deviennent des femmes indépendantes : « Le message est clair : une femme n’est pas inférieure par ses moyens intellectuels ni par son courage, seule sa condition la bride. »
« Voilà Mme Campan devenue l’ancienne institutrice de reines et de princesses. » Henriette a su maintenir son école et en faire un lieu reconnu. Bonaparte lui est devenu le mari de son amie joséphine, mais surtout il est devenu Empereur. Elle, qui met l’éducation de la femme en avant, va devoir apprendre à mettre un peu d’eau dans son vin, car l’éducation des femmes n’est pas vraiment la préoccupation première de cet empereur quelque peu… misogyne (?), de plus il veut tout régenter, oui l’éducation aussi !
Il souhaite créer un nouveau système, Henriette est pleine d’idées dont elle fait part à l’Empereur, ce qu’elle ignore, c’est que « Napoléon a rédigé lui-même un texte d’encadrement ». Et si Henriette est bien nommée surintendante de la nouvelle institution, elle n’en prendra plus seule les décisions.
Nouveau déménagement, nous quittons l’hôtel de Rohan de Saint-Germain-en-Laye pour le château des Montmorency à Écouen. Les 17 et 18 novembre 1807, c’est la rentrée ! Il faudra faire avec le nouveau pouvoir en place, mais bon an mal an, Henriette maintiendra la barque… jusqu’à la chute de Napoléon, en avril 1814.
Napoléon tombé, il faut rendre le château d’Écouen aux anciens propriétaires, royalistes. C’est le temps de la retraite, mais également des deuils. Elle se jette alors à corps perdu dans la rédaction de mémoires. Un mémoire à destination de son frère Edmond et de ses neveux américains, Souvenirs particuliers ; un mémoire destiné à être publié, Mémoire sur la vie privée de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre ; un mémoire pour sa descendance, Le livre de famille.
En février 1822, elle se fait opérer d’une glande qu’elle aurait au sein gauche. L’opération se passe bien, elle semble se remettre, mais au bout de quinze jours la fièvre se déclare. « Sans une plainte, elle ferme les yeux le 16 mars 1822. »
Après la lecture de cette belle biographie, nous ne pouvons avoir que du respect pour cette femme qui consacra sa vie aux autres et à l’élévation de la femme à une époque ou (quel que soit le pouvoir en place) la place de celle-ci dans la société était loin d’être une question prioritaire. Deux mots me viennent à l’esprit pour caractériser Madame Campan : courage et humilité. À lire !
Geneviève Haroche-Bouzinac – La vie mouvementee d'Henriette Campan – Editions Flammarion – 9782081290518 24,90 €
1 Commentaire
Gabriel
24/02/2018 à 15:34
8-/découverte passionnante de ce personnage historique ce samedi matin 24 février 2018 sur R C F ! Merci.
:snake: