La Foire du Livre de Charjah, dans les Émirats arabes unis, attire peu d'éditeurs français : et pour cause, les littératures arabes ne sont pas très prisées par l'édition française, à l'exception de quelques maisons. Si les auteurs sont présents, le coût des traductions reste élevé, et les bourses, rares. Mais les marchés, dans les différents pays, se développent et s'ouvrent de plus en plus.
Comme toutes les foires professionnelles, celle de Charjah permet avant tout de rencontrer ses collègues venus du monde entier, en particulier, ici, ceux d’Asie et du Moyen-Orient : « Pour les éditeurs, le rendez-vous incontournable reste la Foire de Francfort, mais on trouve ici un cercle plus restreint et plus intime », souligne Sarah Siligaris, chargée de la collection Sindbad (Actes Sud), aux côtés du directeur éditorial Farouk Mardam-Bey.
En effet, les maisons d'édition françaises présentes ne sont pas légions : outre Actes Sud, éditeur historique de la littérature arabe en français, on y retrouve Belleville Éditions, jeune maison créée il y a quelques années et qui a publié son premier livre il y a deux ans. « Dans les Foires, et notamment à Francfort, c'est un peu formaté », explique Marie Trébaol. Avec sa collègue Dorothy Aubert, cofondatrice de la maison, elles préfèrent parcourir le monde, et notamment la Turquie, la Roumanie, l'Amérique latine ou le Liban, pour dénicher leurs auteurs : « Nous voulions donner la voix à des pays moins traduits et à des auteurs moins connus qui ont pourtant des choses à dire. »
« En 2004, les pays arabes étaient a l’honneur de la Foire de Francfort, la plus grande foire professionnelle du livre » se souvient Yasmina Jraissati, de l'agence Raya, spécialisée dans la littérature arabe. « C’était la première fois que la scène éditoriale arabe recevait une telle reconnaissance sur le plan professionnel. Je faisais alors ma thèse en philosophie et sciences cognitives à Paris, et je percevais l'édition comme un moyen crucial pour le développement de la pensée et la circulation libre des idées dans le monde arabe. Après les événements alors récents du 11 septembre 2001 aux États-Unis, il m’a paru critique que les lecteurs du monde, et du monde occidental en particulier, connaissent mieux notre littérature », explique l'agente, qui représente notamment Samar Yazbek, Khaled Khalifa, Dima Wannous, Sinan Antoon, Hoda Barakat ou encore Jabbour Douaihy pour les droits de traduction et d'adaptation.
Le roman est une forme récente sur le marché arabe, puisqu'il remonte au début du XXe siècle et se révèle essentiellement au reste du monde avec le Prix Nobel de littérature remis à Naguib Mahfouz en 1998. Créée en 1978 par Pierre Bernard, la maison d'édition Sindbad, désormais collection d'Actes Sud, a participé très tôt à la diffusion de cette littérature, en traduisant d'abord les textes classiques et la poésie arabes.
Pour les éditeurs de littérature arabe, tout l'enjeu réside dans la capacité à faire vivre ces écrits hors des « modes » ou des « bulles » suscitées par des événements politiques, comme le printemps arabe, fin 2010, qui a vu fleurir des dizaines de traductions sur le sujet, pas toujours pour le meilleur, au niveau littérature.
À la Foire du Livre de Charjah (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
La diversité des auteurs traduits est primordiale pour la jeune littérature arabe : « En Turquie, on connaît bien Orhan Pamuk, Prix Nobel, mais il reste l'auteur d'une bourgeoisie istanbuliote. C'est pour cela que des voix comme celle d'Hakan Günday, de Seray Şahiner ou d'Emrah Serbes [deux auteurs publiés par Belleville Éditions, NdR] sont intéressantes, car elles sont alternatives, marginales », souligne Marie Trébaol, de Belleville Éditions. Qui plus est, une traduction française reste auréolée d'un prestige important, qui permet aussi plus de soutien et d'éclairage dans le pays d'origine de l'auteur.
Sortir des sentiers battus est une tâche délicate : pour les littératures arabes, les aides à la traduction sont rares. « Contrairement à la plupart des pays, la littérature arabe ne bénéficie d’aucun soutien de la part des gouvernements arabes, en termes de subvention à la traduction », souligne Yasmina Jraissati.
La Foire de Charjah propose une bourse de traduction, à hauteur de 4000 $, maximum, par livre et de 1500 $ pour un livre jeunesse, qui met en avant les traductions de ou vers l’arabe : sur les 300.000 $ de budget total, 250.000 $ sont dédiés à ces dernières, le reste pouvant s’appliquer à tous types de traduction. La somme allouée peut couvrir la totalité des frais pour un éditeur des Émirats arabes unis, mais plutôt 15 à 20 % du coût de la traduction pour un éditeur français — la bourse allouée reste souvent autour de 1500 $. Cela dit, face aux conditions liées aux aides du Centre national du livre, certains s'y retrouvent.
La seule contrepartie ? Appliquer un logo de la Foire du Livre de Charjah sur la quatrième de couverture, ce qui équivaut peu ou prou aux conditions du Centre National du Livre, remarque-t-on. D’après l’expérience de certains bénéficiaires, les comités de lecture et de sélection de Charjah sont plutôt ouverts aux types de littérature et, à condition que celles-ci ne soient pas les sujets principaux des livres, sexualité ou religion ne sont pas rédhibitoires… Tant que les demandes ne sont pas celles d’éditeurs locaux, évidemment.
Le seul prérequis de cette bourse étant le fait d’avoir négocié les droits à Charjah, elle est particulièrement prisée des éditeurs de la région, notamment d’Égypte, de loin le pays le mieux représenté lors des journées professionnelles.
À la table des négociations, lors des journées professionnelles à Charjah
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Si les éditeurs français de littérature arabe cherchent des aides, c'est que les traductions sont onéreuses : « Les traducteurs sont un peu plus rares par rapport à l'anglais, ce qui augmente les prix. Normalement, si tous les éditeurs étaient honnêtes, c'est 21 € le feuillet d'après le CNL, même pour l'anglais. C'est souvent 4 à 5 € de plus pour l'arabe, sans parler du farsi, pour l'Iran, où il faut compter 15 € de plus, soit presque 40 € le feuillet », détaille Marie Trébaol.
Pour les éditeurs français, les aides à la traduction sont loin d'être l'argument décisif pour se déplacer : le défraiement intégral par la Foire du Livre de Charjah est apprécié par tous. « Soyons honnêtes, si l’émirat ne payait pas le déplacement, ce n’est pas sûr que nous le ferions », indique même un professionnel. « Au départ, nous nous sommes demandé s’il était bien moral de venir à cette Foire, étant donné que tout est pris en charge par l’émirat. Mais c’est finalement un geste d’ouverture, et il serait dommage de ne pas l’accepter. Après tout, les choses changent ici comme ailleurs, même si cela peut sembler plus lent. »
Le pays applique toujours une censure sur les ouvrages publiés ou importés dans son territoire, mais les impératifs diplomatiques et économiques font mettre de l’eau dans son vin — par ailleurs interdit — à l’émirat. « Il y a clairement un désir de libérer l’édition du joug de la censure et autres pressions sociales, mais le processus est long et complexe, et au final, éminemment politique », prédit-on du côté des salles de négociation professionnelles.
En attendant cette libération effective, les négociations avec les professionnels restent très appréciées : « C’est une façon de rencontrer des éditeurs ou autres professionnels qui ne figuraient pas auparavant dans nos carnets d’adresses, et d'élargir nos horizons », explique Yasmina Jraissati. Si les achats de titres peuvent se faire suite à la Foire, les éditeurs français ne comptent pas trop sur la vente de leurs droits à des éditeurs arabes : « Ils achètent peu, car le marché est encore restreint », explique Marie Trébaol. Avec quelques exceptions, comme l'intérêt manifesté à Charjah après l'obtention du Goncourt par Mathias Énard pour Boussole, se souvient Sarah Siligaris.
La Foire du Livre de Charjah (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
« À part les chiffres de vente de livres, nous n’avons aucune donnée qui permet de mesurer le nombre de lecteurs. D’après les éditeurs, ces chiffres sont relativement modestes, au vu de la taille potentielle du marché. Mais nous savons par ailleurs que le piratage demeure très important dans les pays arabes. Cette tendance reflète une soif certaine de lecture. Mais elle est par définition impossible à quantifier », indique Yasmine Jraissati.
La science-fiction ou la bande dessinée, y compris les comics américains, font partie des dernières tendances observées dans les pays arabes. L'émirat de Charjah tente de promouvoir la lecture à l'aide de programmes ponctuels, comme la Foire du Livre ou des concours nationaux de lecture.
Les investissements de Charjah pour s’imposer en tant que foire professionnelle finiront par payer, concède-t-on : le rendez-vous a pour lui une très bonne organisation et un certain prestige lié au nombre d’éditions (celle de 2017 est la 36e), dans une région où les foires du livre, surtout professionnelles, sont encore assez rares. L’Égypte, pays pourtant connu pour son solide système de distribution de livres et ses éditeurs chevronnés, n'organise ainsi la Foire du Caire que depuis 2015, et cette dernière, comme celles d'Alger, Tunis ou Casablanca, est essentiellement dirigée vers la vente de livres aux particuliers.
1 Commentaire
Ghalem BENNAOUM
18/10/2020 à 12:31
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Il décrit les réalités divines de cet univers avec sa fin et le Jour de la Résurrection dans un nouveau monde complètement différent du premier.