Le huitième roman de Michel Houellebecq est sorti le 7 janvier, et même une version pirate, apparue sur internet quelques semaines plus tôt, n'a pas réussi à court-circuiter l’événement. Un roman fleuve de plus de 700 pages qui laisserait penser que l’auteur de L'extension du domaine de la lutte, a décidé de réaliser son Illusions perdues, ou son Éducation sentimentale. Ce serait la moindre des choses pour l'écrivain.
Le 10/01/2022 à 14:49 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
10/01/2022 à 14:49
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« Plus j’avance, plus j’observe, plus je me regarde vivre, moins je conçois qu’il soit possible de considérer l’histoire des peuples et l’histoire de l’esprit autrement que comme une série d’alternances tantôt rapides et tantôt précipitées, de désintégrations par la connaissance et d’intégrations par l’amour. » Élie Faure, Histoire de l’Art, l’esprit des formes.
Le roman débute dans l’atmosphère raide et initiée de la DGSI, service intérieur du renseignement français. Bruno Juge, brillant ministre de l’Économie, a été victime d’une décapitation… numérique. Une vidéo, plus vraie que nature, est en effet apparue sur internet, mimant la scène d’horreur. On pense commencer un thriller ésotérique sauce Houellebecq, coloré de misère existentielle et de neurasthénie, on aura plutôt à faire, tout au long du roman, à une tendre et âpre chronique familiale, doublée d’une farce politique d’anticipation.
Un roman familial inscrit dans la grande histoire politique. À l’image de nos plus grands romans du XIXe siècle ? L’ambition est finalement bien plus modeste dans les descriptions ou le récit. Le souffle houellebecquien, quoi qu’on en dise, reste court, mais il semble bien que nous ayons affaire à son plus lumineux roman. Une œuvre qui ne fera que se bonifier avec le temps.
On suit en priorité la famille Raison, et en particulier, Paul, haut fonctionnaire à Bercy et conseiller de Bruno Juge. Ce dernier est pressenti pour être le futur candidat à la présidentielle, après les deux mandats du précédent. En parallèle, le père de Paul, ancien de la DGSI, a été victime d’un AVC, et ne peut plus interagir avec le monde extérieur. Ce drame offre l’occasion au fonctionnaire sérieux et triste de renouer avec une famille : sa sœur Cécile, fervente catholique, son mari Hervé, ancien notaire et militant au bloc identitaire originaire d’un Nord de la France décimé par la misère ; ou encore son frère Aurélien, très éloigné de lui par l’âge et la vie, figure tragique et symbolique de la faiblesse dont sont capables les hommes délaissés.
Avec Cécile, beau personnage intuitif et compréhensif, il y a Madeleine, la nouvelle femme de son père, qui rappelle la belle figure de la mère dans l’un de ces premiers romans, Les Particules élémentaires. Il y a aussi Prudence, la douce femme de Paul, Anne-Lise, la fille de Cécile, d’une légèreté confinant à l’intelligence, la Béninoise Maryse, qui découvre la tristesse des Français et leur approche du troisième âge, Solène Signal, génie de la com' employée pour façonnée une candidature présidentielle, ou encore Indy, journaliste arriviste qui a choisi la gauche à Paris, comme on pourrait choisir le mormonisme à Salt Lake City, par intérêt bien compris.
Premier aspect à mettre au crédit du roman : les plus de 700 pages se lisent avec un grand plaisir. Une écriture blanche qui coule et qu’on oublie. Oublier l’écriture, c’est peut-être la seule chose à demander à un style. La morne lucidité de Houellebecq, ou son réalisme, sonne juste, et la possibilité de l’amour est un des thèmes principaux de roman. « Il est vrai que votre père possède un compte commun avec Madeleine, ce qui est un peu inhabituel. (...) il était sincèrement ému en songeant à ce compte commun (...) son père avait décidément eu accès à des niveaux de l’expérience humaine qui lui demeuraient inconnus. » Ou encore : « Elle lui jeta un regard de vraie tendresse, davantage que de désir, c’était un regard étrange, comme une anticipation du regard qu’elle lui jetterait peut-être beaucoup plus tard, quand ils seraient très vieux. »
On identifie parfois une certaine paresse, mais l’épaisseur du roman pardonne certaines facilités, comme lorsqu’il évoque un mur jaune poussin, avant de faire se demander au personnage la dernière fois qu’il a vu un poussin…
Mais, cette fois-ci encore, le thème qui surplombe le roman rejoint celui qui parcourt toute son œuvre : la décadence de l’homme occidental. Ce grand thème passe notamment par le traitement du père, enfermé dans un Ehpad, le destin d’Aurélien, le comportement de Paul, mais également la politique, l’élite, la classe moyenne.... Houellebecq continue, en creux, son patient travail de réhabilitation de la souffrance existentielle masculine. Un désarroi qui passe souvent, outre des aspects purement physiologiques qui se répercutent dans toutes les dimensions de la vie, par son inscription dans un monde qu’il façonne lui-même, contre lui-même.
Une nécessaire charge à porter, fruit des générations de péchés dont il doit se lester ? « Était-il responsable de ce monde ? Dans une certaine mesure oui, il appartenait à l’appareil d’État, pourtant il n’aimait pas ce monde. Et Bruno, il le savait, se serait lui aussi senti mal à l’aise avec ces burgers de création, ces espaces zen où l’on pouvait se faire masser les cervicales le temps du trajet en écoutant des chants d’oiseaux, cet étrange étiquetage des bagages “pour raisons de sécurité”, enfin avec la tournure générale que les choses avaient prise, avec cette ambiance pseudo-ludique, mais en réalité d’une normativité quasi fasciste, qui avait peu à peu infecté les moindres recoins de la vie quotidienne. » Entre la vie qui se déroule, des scènes de rêve scandent le récit.
Une décadence qui passe, depuis ses premiers romans, par la lâcheté dont les hommes sont capables. Paul ne fait, par exemple, jamais le premier pas vis-à-vis de sa femme Prudence : en dépressif léger, il subit. Dans une scène, elle rejoint son lit, car ils dorment séparément depuis déjà quelques années, et lui reste alors prostré, sans bouger. « La lumière du jour avait déjà largement envahi la pièce lorsqu’il se résolut à bouger, il se rendit compte en se retournant qu’il avait terriblement peur ».
Une Vie de Maupassant à l’envers où Paul reprend le rôle de Jeanne, attendant Julien dans le lit conjugal. Le grand commis de l’État, Paul, avec un salaire confortable, est une bête apprivoisée et sans courage : il a même été sélectionné pour ça. Comme pour sa grande capacité de travail appliqué, qui n’est pas sans rapport avec ce sens de l’acceptation.
Il a également un problème sexuel, évidemment, quand Aurélien est carrément castré par sa femme. Elle explique, à qui veut l’entendre, qu’il est stérile. Plus profondément, ils sont un symbole de la société occidentale, ce que révèle leur nom, Raison. Des symboles de cette odyssée occidentale, avec ses conquêtes, et ce qu’il aura fallu abandonner sur le chemin. « À quoi bon installer la 5G si l’on n’arrivait simplement plus à rentrer en contact, et à accomplir les gestes essentiels, ceux qui permettent à l’espèce humaine de se reproduire. »
Hervé, le mari de Cécile, est au chômage, et c’est sa femme qui travaille d’abord. Quant à Bruno Juge, c’est d’abord un génie seul et sans amour. Un envers du décor que Houellebecq aime toujours autant à dévoiler : en réalité, c’est l’homme qui est, la plupart du temps, romantique et faible, et la femme, réfléchie et forte.
Le personnage d’Indy, femme d’Aurélie et archétype d’une sorte de féminisme bon genre, mondain, et conventionnelle, offre à Houellebecq l’occasion de se lâcher, que ce soit sur le journaliste, ou sur la gauche urbaine. « Indy connaissait certainement des avocats redoutables, avocat et journaliste c’était un peu pareil, enfin ça lui paraissait appartenir au même monde un peu louche, en prise directe avec le mensonge, sans contact immédiat avec la matière, la réalité, ni avec quelconque forme de travail. » Indy n’a évidemment pas besoin d’Aurélien, elle a d’ailleurs « fait un bébé toute seule. »
Cette « décadence » passe également par une institution devenue centrale dans nos sociétés, et plus que jamais dans le contexte des deux dernières années : l’Ehpad. À travers le père, devenu un « légume », citation d’Indy, Houellebecq, avec précision et détail, traite d’un thème qui lui tient à cœur : la fin de vie.
En creux, Houellebecq n’en démord pas : un monde sans dieu est malin et violent, et pire que tout, absurde. Le récit annelle une longue méditation sur les raisons de vivre. Houellebecq en établit une seule valable : se sacrifier pour les autres, ceux qu’on aime. En somme, s’oublier. Houellebecq plus sage qu’on pourrait l’imaginer. Et ce sacrifice, dans la plupart de ces romans, dont celui-là, passe par les femmes, battant en brèche une réputation de « misogynie », anathème sans valeur dans le domaine de l’art.
Plus globalement, dans son ambition d’offrir son grand roman français, c’est l’époque qui est embrassée. C Politique, Hanouna « Sarfati », Laurent Joffrin, le TGV, le quartier de Bercy, nouvel air de ces non-lieux qu’il aime à décrire. Un autre de ces thèmes de prédilection, la religion, ici à l’âge macronienne, se déploie en arrière-fond.
Avec le catholicisme, le wicca, à la mode : entre ésotérisme et fascination pour la figure de la sorcière. La deep ecology, le satanisme internet, Unabomber, les communicants roi de l’époque, Nietzsche, le Seigneur des Anneaux, cité dans le texte, sont des motifs qui colorent le roman de sa teinte générationnelle.
Houellebecq atteint un certain classicisme qui, pense-t-on souvent, est un départ, alors qu’elle ne peut être qu’une destination. Une simplification. Un roman étendu qui tente d’embrasser l’époque, sans la force évocatrice des plus grands romans du XIXe, Houellebecq n’étant pas ce monstre surhumain, tels les Balzac, Flaubert, ou parmi bien d’autres, Proust. Une oeuvre romanesque et d'une grande sensibilité, rehaussée par l’humour.
Un des grands romans du XXIe siècle français ?
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 07/01/2022
733 pages
Flammarion
26,00 €
1 Commentaire
Doridar
15/08/2022 à 11:07
Pitié ! Houellebecq, cet écrivain d'un ennui insondable, au nombrilisme pseudo avant-gardiste, franco-parisien imbuvable. Et après un interminable article qui rivalise de phrases fleuves avec son sujet, la conclusion reste la même. Qui lit Houellebecq? Il est temps d'en finir avec cette manie parisienne de trouver du génie à ceux qui caressent l'égocentrisme de certains cercles soi-disant intellectuels.