#Moliere400 - « Classique = moderne », fait écrire Jean-Luc Godard à Anna Karina sur un tableau de classe, dans l'une des plus célèbres scènes de son film Bande à part. Qui mieux que Molière pour illustrer cette affirmation sans détour, lui qui a su peut-être le mieux allier un certain classicisme de la langue avec une souplesse et une grâce indémodables ? Cette perfection de la forme conjuguée à une universalité dans les personnages qui a fait basculer la langue française dans la « langue de Molière ».
Le 05/01/2022 à 16:05 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
05/01/2022 à 16:05
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L'année 2022, riche en anniversaires : de Philip K.Dick, disparu il y a 40 ans, à Marcel Proust, mort il y a tout juste cent ans, mais aussi celui de Molière, dont on célèbre les 400 ans de la naissance. Un anniversaire fêté partout en France et par la plupart des grandes institutions culturelles françaises.
Un minimum exigé pour celui qui est devenu pour le monde, un symbole de la France, et surtout de sa langue, comme Shakespeare pour Angleterre, Goethe pour l'Allemagne, ou encore Virgile pour la Rome Antique. Mais quelles sont les raisons profondes qui ont amené à cette belle contrainte ?
Georges Forestier, professeur de lettres et biographe du dramaturge français, interrogé par l'AFP, explique que ce lègue posthume de notre langue au grand dramaturge n'a été effective qu'à partir du XIXe siècle. C'est le fameux « Roman national » des républicains du XIXe siècle, Michelet ou encore Lavisse. Une Histoire de France qui part des Gaulois, en passant par Rabelais, jusqu'à l'auteur de Tartuffe. « Au XVIIIe s'impose cette idée, autour de La Fontaine, Boileau, Racine et Molière, d'une génération de classiques », ajoute Georges Forestier.
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Car effectivement, le Grand Siècle, en littérature, est devenu celui des classiques. Des moralistes du XVIIe siècle, en passant par les tragédiens Racine et Corneille, jusqu'à Molière. Mais, si l'auteur du Bourgeois gentilhomme s'inscrit complètement dans ce leg du siècle de Louis XIV, où « ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement/Et les mots pour le dire arrivent aisément », il apporte une dimension supplémentaire.
Molière universel
Molière « touche un public très large, encore aujourd'hui, ce qui fait de lui un passeur d'une langue qui est partie intégrante de notre patrimoine », explique Céline Paringaux, agrégée de lettres.
Avant d'ajouter : « Mais s'il est une incarnation de la langue classique, en réalité la langue de ses pièces est extrêmement riche et s'écarte volontiers des normes en train de s'établir à son époque. [...] Chez Molière, on trouve aussi bien du familier que du soutenu, de la prose que des vers, même de l'occitan et du picard dans Monsieur de Pourceaugnac. La palette est tellement large que les lecteurs et spectateurs de toutes les époques y ont trouvé leur bonheur. » Ainsi, une des grandes forces de Molière, outre sa plume, c'est sa capacité à embrasser toutes les classes de la société, et tous les caractères.
Martial Poirson, auteur de Molière, la fabrique d'une gloire nationale, qui paraitra au Seuil le 21 janvier, confirme ce point de vue sur le dramaturge en expliquant : « Il réconcilie la langue des bateleurs avec celle des aristocrates et bourgeois. » Molière, entre la commedia dell' arte et le drame cornélien.
« Molière ignorait son génie : il était en train de l'inventer. Le caractère inoxydable de sa langue le distingue. Racine est complexe. Corneille peut paraitre très vieillot. Molière reste vivace », ajoute Martial Poirson.
Une universalité qui va permettre au dramaturge de rayonner au-delà des frontières : « Molière a servi très tôt, et de son vivant, d'outil d'ambassade. Le français va se diffuser dans toutes les cours d'Europe, jusqu'à celle de Russie. Sur le continent, cette langue de Molière va se positionner comme celle des classes dominantes, vecteur d'une distinction sociale », explique encore le spécialiste.
Molière moraliste
Pourfendeur des hypocrites, des tricheurs, de tous ceux qui « cumulent les bienfaits du vice et de la vertu », comme disait Péguy, Molière montre, plus profondément, à quel point les arnaqués sont les complices des arnaqueurs, et que l'un à besoin de l'autre. Illustration que les vices et les vertus sont réversibles. À côté de ces deux figures antagonistes et similaires, renvoyées dos à dos dans ses pièces, les personnages les plus loués par Molière sont toujours les plus simples et les plus équilibrés.
Quant à l'effet comique chez lui, il provient aussi de la parodie de certaines manières de s'exprimer qui complexifient inutilement ou défigurent la langue : pédantisme et afféterie, charabia, archaïsmes, emprunts étrangers mal maîtrisés... Le français le plus clair, dès lors, y apparaît en majesté.
Dans des temps actuels, très imbibés de moraline, réaction à des décennies d'une liberté qui a pu être « sans entrave », la langue de Molière est également celle, paradoxalement, de la liberté, au temps du Roi Soleil.
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Un siècle guerrier et tourmenté, entre la Fronde et 33 ans de guerre sur les 72 que dura le règne de Louis XIV, mais certainement le siècle de l'acmé de l'esprit français, entre les moralistes du XVIIe siècle, Pascal, La Fontaine, Racine, Corneille, Molière, ou encore Saint-Simon un peu plus tard. Un siècle loué par Voltaire dans son Siècle de Louis XIV, et dont les grands exemples ont été dépeints par deux adjectifs de Paul Morand, dans son Soleil offusqué : « légers et inconstants ».
Crédits : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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3 Commentaires
NAUWELAERS
05/01/2022 à 21:49
Un très, très beau sujet !
On espère que cette panthéonisation de Molière, pour laquelle certains militent -en tête de la troupe: Francis Huster -sera effective enfin cette année.
Avec un président ou une présidente, nul ne le sait encore...
Éternel Molière !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Chambaron
07/01/2022 à 17:48
Un article qui s'imposait pour ce quadricentenaire. Cela étant, et quel que soit l'intérêt que l'on porte à Molière et à son immense talent, l'expression « langue de Molière » est devenu un cliché (c'est le terme idoine en stylistique) des plus agaçants.
À la différence de ses glorieux confrères (Dante et Cervantès en particulier), il n'a en effet pas vraiment marqué la langue en tant que telle mais l'a surtout mise en valeur au meilleur moment, celui où la France dominait l'Europe.
On peut chicaner bien entendu, mais j'ai toujours personnellement trouvé que Rabelais était nettement plus marquant. C'est la Renaissance et le fantastique renouvellement lexical et grammatical qu'elle a permis par sa créativité qui ont permis de passer du moyen français au français moderne dans un incroyable feu d'artifice. Rabelais compte à lui seul 150 mots (j'en tiens la liste) qu'il a forgés et imposés au français que nous parlons, et bien plus avec ceux qui ont disparu au fil du temps.
Symboliquement, on pourra donc choisir entre des visions Grand Siècle ou Gargantua, mais moi j'ai fait mon choix : « Celle qui me plait, c'est la dive langue de Rabelais. »
NAUWELAERS
07/01/2022 à 18:51
Et mon choix à moi, c'est de refuser ce choix...cornélien (ce qui n'empêche en rien d'admirer Pierre Corneille !).
Dans un esprit rabelaisien, pulvérisons -avec une joie sauvage -ces inutiles barrières et choix réducteurs qu'il faut envoyer croupir au fin fond des oubliettes des idées foireuses !
Quant à Molière, il ne faut pas négliger ces archétypes créés par lui et qui demeurent encore, en 2021, des repères inamovibles de notre langue en perpétuelle évolution...!
Tartuffe, les précieuses ridicules, Alceste, Harpagon etc. !
Aimons Molière ET Rabelais (et Racine etc.) !
CHRISTIAN NAUWELAERS (qui espère correspondre le moins possible aux archétypes susdits !)