Poursuivant les journées de réflexions sur la place de l'auteur dans la création, et son rapport à internet, la Société des Gens de Lettres (SGDL) réunit différents acteurs pour évoquer la question du positionnement de l'œuvre au sein d'un monde dématérialisé.
Le 25/10/2012 à 10:56 par Clément Solym
Publié le :
25/10/2012 à 10:56
« Par ailleurs, n'est-ce pas l'identité même du créateur qui se trouve remise en cause? L'écrivain est d'abord celui qui crée : mais cette fonction est désormais partagée par tout internaute, la facilité de publication ôtant les derniers barrages entre auteurs reconnus et auteurs autoproclamés. L'écrivain est ensuite celui qui est lu (par un éditeur, par un libraire, par un critique littéraire, et en fin de compte par un lecteur). La désintermédiation va-t-elle brouiller son image ou n'est-ce qu'un leurre, préparant une nouvelle intermédiation ? »
Sont réunis : Annie Brigant, directrice adjointe de la Bibliothèque municipale de Grenoble ; Mathias Daval, co-auteur de l'étude e-mediation pour le MOTif ; Patrick Gambache, secrétaire général et responsable du développement numérique, La Martinière Groupe ; Christophe Grossi, blogueur et animateur du site epagine.fr ; Marc Jahjah, doctorant à l'EHESS et l'Université Laval, créateur de sobookonline.fr ; Camille de Toledo, écrivain, poète, plasticien.
En moins de deux heures, la conférence établie par la SGDL et modérée par Xavier de la Porte a tenté de poser les questions liées à l'œuvre numérique et à la notion même d'œuvre. Des interrogations-clés, comme : qui recommande et lit ces œuvres, comment se les procurer, quelle instance a décidé de les publier, qui l'a écrite ?
Crédits ActuaLitté
L'accès à l'œuvre : la question du numérique pour un éditeur traditionnel
En dépit de tout et tardivement, l'édition traditionnelle française s'est mise au numérique. Et, selon Patrick Gambache (La Martinière), la question de l'accessibilité (donc de la distribution) de l'œuvre sur Internet a amené de grands bouleversements dans le paysage de l'entreprise éditoriale. Ce qui le concerne, principalement pour le type de maison d'édition dont il fait partie, c'est une œuvre qui aurait déjà été publiée en papier et qui possède une licence numérique. Pour un éditeur se pose alors la question des droits, du travail qui transformera l'œuvre papier en œuvre numérique, et la distribution pour les rendre accessible aux lecteurs.
« La question de la distribution, c'est le fait d'être lisible partout et par tous les catalogues des libraires », déclare Patrick Gambache. C'est aussi une question de métadonnées (ce que l'on accroche à côté d'un fichier et qui va donner un maximum d'information sur ce titre – prix, format, etc.), une dimension qui développe avec l'aspect du numérique, intégrant aussi interview, compte-rendu de presse, photographie. Les fichiers numériques possèdent une grande latitude pour pouvoir véhiculer ces métadonnées qui sont autant d'aides à la vente, en tout cas, des aides à la découverte du titre.
Mais la grande transformation dans l'édition traditionnelle, c'est l'apport qui arrive avec les métadonnées qui, avant, restaient très succinctes. « Il y avait bien un service commercial qui récupérait des données, mais sur des délais très simples. Aujourd'hui, c'est plus complexe. Ça a transformé la chaîne du circuit du livre à l'intérieur de nos maisons d'édition. On ne le faisait pas à ce rythme auparavant », explique Patrick Gambache. « Ça a donc créé de nouveaux métiers », ajoute-t-il.
L'accès à l'œuvre : la question du référencement
Dans le cadre d'un programme lancé en 2009, Le MOTif se penche sur cette question essentielle, assez technique et cruciale, qui est celle de l'accessibilité des auteurs et des œuvres sur internet. « On parle de référencement, donc de moteur de recherche et de Google (qui détient 90 % des parts de marché de la recherche, sur internet et mobile) », annonce Mathias Daval .
Les places sont chères : « Les études montrent que seuls les 10 premiers résultats sont retenus, soit une page, et dans les 2/3 des cas les utilisateurs ne dépassent pas les 3 premiers résultats, et dans 50% des cas, le premier résultat », explique Mathias Daval. Ce qui est également constaté, c'est une prédominance d'Amazon et de la Fnac (qui détiennent 40 % des liens référencés), sans surprise d'après la taille de leurs catalogues. En revanche, l'une des surprises de l'étude du MOTif, c'est que suivent, juste derrière les « gros », des acteurs indépendants.
Evidemment, sur internet, il est primordial qu'un auteur soit référencé. Alors, comment un auteur peut faire pour être référencé ? « Il faut utiliser des mots clés, et des mots clés simples suffisent », affirme Mathias Daval. Pas de panique, tient-il à rassurer, les sites de piratages sont exclus des premières pages. Et il en va de même pour d'autres acteurs comme les librairies. Celles qui ont un site de vente sont beaucoup plus visibles sur le marché, tandis que celles qui possèdent juste une plaquette ou une vitrine sont très peu référencées (moins d'1% généralement). Et c'est souvent aussi le cas des bibliothèques, la plupart du temps du fait de la nature même de leur activité et des moyens (faibles) dont elles disposent.
« En matière de référencement, on n'est pas bon », confie Annie Brigant, « mais ce qui est important pour une bibliothèque, c'est son ancrage territorial. Et pour ça, on a un outil qui est le catalogue ». Et d'ajouter : « la question des métadonnées, on la maîtrise au sein de notre catalogue, mais on travaille sur l'enrichissement des données bibliographiques, afin d'apporter des contenus supplémentaires (des critiques, des vidéos, des images, interview) ». Ainsi, les bibliothèques assurent essayer d'utiliser toutes les potentialités du numérique pour que les catalogues soient des outils de repérage et de découverte.
Long Beach Public Library, CC BY-NC-SA 2.0
Sur la question des prêts de livres numériques, Annie Brigant (Bibliothèque municipale de Grenoble) assure que désormais plusieurs bibliothèques s'y mettent. Il y a des prêts de livres, initialement papier, qui sont mis à disposition en numérique, et des livres dépendant de plateformes uniquement numériques.
« Nous avons encore à travailler sur la meilleure modalité du prêt du livre numérique. Pour le moment, l'ensemble fonctionne comme un prêt traditionnel. Le schéma est calqué sur le fonctionnement du papier, c'est un peu dommage », déclare Annie Brigant. « Il existe un système de DRM qui autodétruit le livre sous un nombre de jours donnés. On n'exploite pas assez les potentialités du livre numérique : plusieurs lecteurs pourraient accéder au même livre en même temps. Ce sont des évolutions que l'on souhaite et que l'on discute actuellement. »
L'accès à l'œuvre : l'e-librairie
Sur ce sujet était invité Christophe Grossi, qui présentait également Epagine (prestataire de service pour la librairie en général), une librairie qui ne vend que du numérique. « On travaille pour des libraires qui ont des magasins, et qui sont aujourd'hui face à des gros problèmes pour vendre des livres papiers », explique Christophe Grossi. En effet, « Comment conserver ses clients ? » est devenu la question primordiale. Là-dessus, se pose pour certains la question de vendre des livres numériques. Pour la plupart, ils possèdent, en plus de leur magasin, des sites internet où ils peuvent vendre des livres papier, « et du coup, ils veulent proposer aussi à leur clientèle des livres numériques qui offrent une gamme complexe et variée sur différents supports ».
Pour un libraire, toutes ces questions ne lui donnent pas le moyen d'embaucher du personnel supplémentaire pour créer des sites spécialisés. Il ne possède pas non plus matériellement le temps de faire ce que fait un libraire numérique. « Epagine développe par exemple toute une gamme de produits pour permettre aux libraires de proposer à ses clients différents formats, et de mettre un pied dans le numérique. Mais évidemment ce n'est pas gagné », témoigne Christophe Grossi. En tant qu'e-libraire, Christophe Grossi dit travailler 10 à 12h par jour pour enrichir les titres qu'il reçoit, proposer un contenu un peu différent (souvent il reçoit des fiches identiques).
fugutabetai_shyashin,CC BY-NC-SA 2.0
Car l'accès à l'œuvre sur les réseaux, ce n'est plus l'œuvre en elle-même qui est mise à disposition, mais le texte plus un ensemble de données, nommées métadonnées. L'œuvre doit être enrichie d'autre chose que d'elle-même. « Et ça, c'est le rôle du libraire, et c'est aussi important pour des questions de référencement. Quand on connaît la force d'Amazon, l'achat de mots-clés auprès de Google, il faut créer des contenus originaux. »
Et d'ajouter : « Un librairie en ligne, aujourd'hui, n'est pas un libraire tout seul, c'est un ingénieur, un web designer, un codeur, un médiateur, un SAV fondamentalement différent d'un libraire physique. »
Selon Annie Brigant, le secteur du livre connaît, quoi qu'il en soit, une mutation du métier. « Cet aspect de conseil technique qui se développe pour nous renvoie à la complexité actuelle de l'utilisation de ces fichiers. Il faut aussi savoir qu'on est encore en pleine expérimentation : les livres numériques dans nos collections, c'est une toute petite partie. Le lieu, le conseil et la médiation sur place restent déterminants, mais on se heurte à des problèmes techniques avec les usagers constamment, oui. »
Néanmoins, à la question posée par Xavier de la Porte : « Est-ce que c'est vivable d'être libraire en ligne aujourd'hui ? », Christophe Grossi répond : « Non. »
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Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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