Aujourd'hui, la Cour de Justice de l'Union européenne a répondu à une question posée par la Commission européenne, une question simple : la France est-elle en infraction, en regard de la directive 2006/112/CE sur la TVA, lorsqu'elle applique un taux réduit sur les livres numériques ? Si l'on lit les annexes 2 et 3, difficile d'avoir le moindre doute.
Le 05/03/2015 à 11:50 par Nicolas Gary
Publié le :
05/03/2015 à 11:50
David Jones, CC BY 2.0
Les services fournis par voie électronique, selon l'article 56, ne peuvent pas être soumis à un taux réduit de TVA, souligne l'Europe. Annexe II, al. 3, elle souligne que « la fourniture d'images, de textes et d'informations, et mise à disposition de bases de données », est donc exclue du champ de TVA réduit. Autrement dit, en harmonisant la TVA du livre numérique avec celle du livre papier, la France contrevient bel et bien au droit européen.
Mon dieu, on va donc tous mourir ? Pas tout à fait
En soi, c'est mal, évidemment. Et les médias s'affolent de ce que la France puisse être condamnée aujourd'hui. L'arrêt de la CJUE vient d'être rendu, mais, d'ores et déjà, précisons deux choses : d'abord, c'est un arrêt déclaratif. Ensuite, les conséquences pour le pays seront... minces.
Si l'arrêt de la Cour avait été favorable à la France, chose peu probable, quand on connaît le courage dont la CJUE est capable de faire preuve, on sonnait la fin de la procédure. Et surtout, on arrêtait avec cette épée de Damoclès brandie comme un père Fouettard.
Mais l'arrêt est donc défavorable... ? À moins d'un détour incroyable, ce ne pouvait qu'être le cas. Si la Commission avait interrogé la cour sur le principe de neutralité fiscale, que défend le ministère de la Culture français ou le Syndicat des éditeurs, les libraires... en somme, toute l'interprofession, alors l'arrêt aurait été différent. C'est d'ailleurs assez astucieux, pour le pays, de combattre sur le terrain de la neutralité fiscale (un livre est un livre, quel que soit son support), quand l'attaque est portée sur l'infraction à la directive. Astucieux, mais maladroit.
La directive est en effet limpide : pas de TVA réduite pour les livres numériques. Mais alors, que se passera-t-il ?
C'est simple : désormais, la France va être appelée à prendre les mesures nécessaires pour se conformer au droit européen, le plus tôt possible. D'ailleurs, l'arrêt ne contient aucune allusion à une amende, raison de plus pour ne pas se presser. Et en substance, explique :
La Cour relève tout d'abord qu'un taux réduit de TVA ne peut s'appliquer qu'aux livraisons de biens et aux prestations de services visées à l'annexe III de la directive TVA. Cette annexe mentionne notamment la « fourniture de livres, sur tout type de support physique ». La Cour en conclut que le taux réduit de TVA est applicable à l'opération qui consiste à fournir un livre se trouvant sur un support physique. Si, certes, le livre électronique nécessite, aux fins d'être lu, un support physique (comme un ordinateur), un tel support n'est cependant pas fourni avec le livre électronique, si bien que l'annexe III n'inclut pas dans son champ d'application la fourniture de tels livres.
Pas un mot sur le timing pour rentrer dans le rang ni d'éventuelles conséquences financières, à l'exception des frais de procédures, qui sont généralement à la charge de la partie perdante. Elles n'ont cependant pas la nature d'indemnité ni de contrainte.
Dont acte.
Un arrêt déclaratif sans réelle incidence
Le pays va donc disposer d'un certain temps pour se conformer à la législation européenne, et si elle décidait de laisser traîner un peu ? Eh bien, la Commission pourrait alors introduire une nouvelle procédure, de 12 à 18 mois supplémentaires, pour infliger une amende à la France. Généralement, les États se conforment aux arrêt, et font le nécessaire, mais la question de la TVA est intrinsèquement liée à la neutralité fiscale, dans le cas présent. Et surtout, une nouvelle législation est entrée en vigueur, début 2015 : la TVA appliquée n'est plus celle du pays du revendeur, mais celle du pays de l'acheteur.
Petit exercice de spéculation, alors. L'arrêt étant défavorable à la France, il va falloir poursuivre tous les autres États : le Luxembourg, c'est déjà en cours, reste maintenant l'Italie. Mais la Commission va-t-elle perdre tout ce temps, en procédures longues et... contraires à sa volonté actuelle ?
Selon l'arrêt, la Commission prévoirait de revoir la question de la TVA, et décider, soit de réviser la directive, soit de la faire disparaître. Chose qui réglerait beaucoup de problèmes, et laisserait alors à chaque État la possibilité de mener la politique qu'il souhaite. Poursuivre les Etats serait un processus très long : il ne portera aucun fruit et pire, il est contraire aux positions actuelles de la Commission.
Et sans même parler des autres portes de sortie...
Bien entendu, il faudra obtenir l'accord des États membres. Mais si l'on ajoute qu'il n'y a aucun effet rétroactif sur l'hypothétique amende à laquelle la France pourrait éventuellement être soumise, d'ici 18 à 24 mois... Sincèrement, quelle raison de crier au loup ?
ActuaLitté l'avait en effet noté : modifier la loi française ne se fera pas en une fraction de seconde. Le procédé législatif pourrait prendre plusieurs mois, mais elle n'est pas même obligée de passer par cette modification. Iil serait encore possible de saisir une seconde fois la Cour de Justice de l'Union européenne. Une saisine qui donnerait alors aux États un délai supplémentaire – entre 3 et 6 mois, selon nos estimations – pour mener une autre action. Sauf que l'arrêt de la CJUE ne devrait pas varier d'un iota. À moins d'apporter de nouveaux arguments ?
Le SNE avait alerté ses membres, à titre informatif, que la Cour allait statuer, et que sa décision pourrait imposer à la France de rétablir un taux normal de TVA, « pour le livre numérique d'ici la fin du 1er semestre 2015 ». Un vent de panique soufflait : les éditeurs étaient en effet invités à provisionner, dans l'idée que la TVA soit plus importante, et qu'il fallait donc mettre un peu d'argent de côté.
Le lobbying est lancé : la France, sauveuse du monde
C'est alors ici qu'intervient la campagne lancée par le Syndicat national de l'édition, ThatIsNotABook. Depuis les réseaux, le SNE a choisi de solliciter les internautes, avec un message tout à la fois complexe, et simple. L'idée est de plaider pour une TVA harmonisée entre livre papier et numérique – raison pour laquelle la France vient donc d'être condamnée.
adinaplus, CC BY 2.0
Astucieusement, le projet est d'interpeller la Commission européenne, pour parler pragmatiquement de neutralité fiscale. Les internautes sont invités à diffuser des photos d'objets qui ne sont pas des livres : pour eux, une TVA forte est donc normale. Mais pour des photos de livres papier ou de tablettes affichant du texte, on souhaite faire passer le message, un livre est un livre. Donc il doit avoir une TVA de livre. Un message au demeurant tout à fait raisonnable.
La campagne est simpliciste, et efficace : personne ne déteste viscéralement les livres, le sujet est assez consensuel pour que chacun s'y engage. Et qui plus est, c'est amusant... Or, le SNE ne peut ignorer que l'arrêt rendu aujourd'hui a une incidence réduite. Mais surtout, en regard de la politique sur le livre numérique majoritairement instaurée en France, difficile de croire réellement que le Syndicat, ou MEDEF du livre, ait réellement l'intention de pousser l'ebook. L'objectif serait surtout de conserver la TVA réduite sur le livre numérique, un petit gain pour l'édition, que rien n'a contraint à répercuter la baisse de 19,6 % à 5,5 % en 2012, déjà.
La campagne profite donc d'une belle opportunité, pour attirer l'attention sur la France, comme leader du monde culturel européen. Et sous prétexte de défendre le livre numérique, et par extension, le livre, de livrer bataille pour convaincre la Commission européenne. Le public habilement invité à suivre sert de vivier pour faire porter la voix plus loin que le strict lobbying corporatiste. Ce qui pourrait, par ricochet, convaincre également... le Parlement européen, lequel a reçu le projet de réforme de l'eurodéputée, Julia Reda. Un rapport que toute l'interprofession, à l'exception des bibliothèques, rejette en masse.
On joue donc au billard, au SNE ?
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