Ce 28 février sort dans les salles le deuxième (résolument) volume du film Dune, de Denis Villeneuve. D’après l’œuvre de Frank Herbert, cette nouvelle étape suit le parcours de Paul Atréides, devenu Muad-Dib, chef de Fremen : une lutte pour reconquérir Arrakis s’en vient. Les Harkonnen, ses ennemis jurés, affronteront une armée hors norme, avec, au cœur de cette guerre, le devenir de la galaxie…
Le 26/02/2024 à 09:16 par Nicolas Gary
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Publié le :
26/02/2024 à 09:16
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À l’approche de cette sortie, plusieurs titres ont vu le jour en librairie — comme cette adaptation en bande dessinée chez Delcourt (cosignée par Lilah Sturges, Drew Johnson, Bill Sienkiewicz) ou l’ouvrage de Tom Huddleston, puisant dans les origines de ce récit — les sources écologiques, mythiques, religieuses, historiques ou scientifiques…
Depuis avril 2019, l’éditeur Lizzie propose les versions audiolivre, d’après la traduction de 1986 des textes parus chez Robert Laffont. Sept ouvrages qui représentent plus de 100 heures d’écoute : avant de se réfugier dans les salles obscures, nous avons chaussé nos plus beaux écouteurs pour plonger pleinement dans l’univers d’Arrakis…
Le Grand Œuvre de Frank Herbert a depuis été amplement décliné en sequels et prequels, que son fils Brian, épaulé par Kevin J. Anderson, a publiés dès 2000. Ce sont près de 25 ouvrages qui ont prolongé le monde et les protagonistes autour d’Arrakis. Certains mêmes ont fait l’objet d’une adaptation en audiolivres chez Lizzie.
Classique incontournable de la science-fiction, le cycle Dune appartient au catalogue de Robert Laffont, publié initialement dans la collection “Ailleurs et demain” en 1970. Son portage en audiobook s’est produit « avec le souci de rester fidèle à l’esprit original tout en intégrant des innovations », assure la maison.
Mais avant de se lancer dans cette épopée de lectures, il importe de commencer par les romans originaux. Leur découverte en format audio se fait par la voix de Benjamin Jungers, acteur belge, qui prêté sa voix à une trentaine de fictions déjà.
Pour l’ancien sociétaire de la Comédie française, il fallut tout d’abord travailler sur les vocables qu’avait inventés Herbert : mêlant arabe, anglais et même latin, le romancier aura puisé dans nombre colossal de ressources pour l’écriture de ce chef d’œuvre.
C’est que Frank Herbert y explore avec une clairvoyance remarquable une multitude de sujets d’actualité : les enjeux écologiques globaux, les systèmes politiques et religieux, la géopolitique, les conflits entre maisons princières et factions politiques, les luttes de pouvoir économiques, la gestion des ressources vitales comme l’Épice, la critique de l’intelligence artificielle et des robots, le transhumanisme, les modifications génétiques, ainsi que les thèmes du mysticisme, du messianisme et du rôle des religions dans le contrôle social…
« Projet totalement inédit », assurait le comédien, il soulignait pour sa part « un univers complètement à part et d’une densité exceptionnelle ». Car outre les introductions linguistiques, élément habituel en science-fiction, l’écrivain avait repris les éléments du modèle féodal et concentré toute l’attention des lecteurs sur cette planète entièrement constituée de sable — apportant force détails biologiques étayant ce monde aride, où la vie tente malgré tout de se frayer un chemin.
Mieux : le peuple des Fremen relève d’une invention plus extraordinaire encore. Toute leur société découle de l’adaptation à un environnement hostile, où l’eau représente un bien plus précieux que tout autre. Donner son humidité aux morts, pour désigner la personne qui pleure et sacrifie l’eau de son corps, ou encore la conception du distille, combinaison qui recycle tout fluide corporel : pratique, quand on marche dans le désert. (voir ici, tout une analyse du langage des Fremen)
Jusqu’à cette marche particulière, qu’il faut maîtriser quand on parcourt les étendues ensablées : toute progression trop rythmique appellera les vers des sables. Désagréments garantis, quand on croise la route de créatures qui mesurent jusqu’à 400 m de longueur…
Denis Villeneuve s’est attaché à adapter la première partie des romans : l’arrivée de Paul Atréides sur Dune, la trahison, la mort de son père, Leto, et la fuite dans le désert avec sa mère Jessica. Son deuxième film basculera sur la révélation des pouvoirs que l’adolescent avait en gestation et l’ascendant qu’il prendra sur les Fremen. Puis, la reconquête de la planète, en éliminant les Harkonnen, cette famille rivale haïe.
Le réalisateur a laissé entendre à de multiples reprises qu’il poursuivrait l’adaptation avec Le Messie de Dune, concluant ses relations avec Arrakis par une trilogie. Il n’est pas rare que les lecteurs se soient arrêtés aux deux premiers tomes (qui n’en forment en réalité qu’un), délaissant les cinq autres romans. Les critiques sont connues, mais la puissance de Dune se dévoile définitivement au fil de ces suites.
D’abord, la rédaction : débutée en 1965, elle s’acheva en 1985… avec un ouvrage inachevé. Son fils publia en 2006 et 2007 Les Chasseurs de Dune et Le Triomphe de Dune (trad. Patrick Dusoulier), à partir des notes, ce qui aurait été le 7e tome, et ultime, achevant la saga. Des ouvrages que les aficionados ont découverts avec plus ou moins d’intérêt : difficile de savoir si Herbert se serait contenté d’un pareil final.
Mais revenons aux audiolivres : près de 240 heures d’enregistrements (et certainement quelques jurons…), 350 heures de postproduction pour aboutir aux 114 heures d’écoute. Et surtout, un dictionnaire définissant la prononciation des termes — sorte de glossaire composé de 1889 mots, affirme l’éditeur.
Or, dès les premières minutes, l’oreille du lecteur… s’écorche : les choix opérés semblent pour certains contre-productifs : certes, prononcer le S de Atréides est une coquetterie d’érudit se souvenant que le nom même de la famille découle d’Atrée, roi de Mycènes et père d’Agamemnon et de Ménélas dans la mythologie grecque.
En revanche, pour désigner l’ordre de ces mystérieuses femmes, écrit Bene Gesserit, le choix de changer la consonne occlusive sonore en chuintante sonore ne respecte pas la prononciation latine. Certes, on dit bien gélatine en français, mais Guesserit en latin – paradoxale pour cette congrégation dont la traduction signifie « elle se sera bien comportée ».
Rien d’insurmontable pour qui audiolit les termes. Assez dérangeant pour les lecteurs traditionnels. Il en va de même pour la prononciation de Mentat — ces personnes aux pouvoirs de déduction et d’analyse fulgurante. Le T final aurait-il gagné à rester muet ? Un document de 1965 montre comment Herbert lui-même avait envisagé la prononciation des termes et tranche en faveur du choix opéré par Lizzie. Pas de quoi faire saigner les oreilles, mais étrange, tout de même.
On s’habitue à l’agréable voix du comédien, bien que les modulations vocales représentant les différents locuteurs lors d’une conversation tournent un peu sur les mêmes tons. Ainsi, l’ambiance sorcière pour certaines figures du Bene Gesserit, qui devient systématique, cristallise un peu trop les personnages.
D’autant que, si retrouver ces inflexions d’un ouvrage à l’autre au sein d’un même cycle se comprend, d’un cycle à l’autre, quand 3500 ans séparent Les Enfants de L’Empereur Dieu, et 1500 ans de plus avec Les Hératiques l’effet tombe un peu à l’eau. Ce qui, sur Arrakis, attire les truites des sables avant que ne s’enclenche le cycle du Ver…
Et cela se ressent d’autant plus que l’écoute des différents titres s’est effectuée dans une période de 10 jours : les timbres étaient plus facilement identifiés. Reste que le rythme de la lecture et les intonations fonctionnent bien : on se prend au jeu de cet univers si particulier, complexe et éblouissant en chevauchant les Vers aux côtés de Paul Atréides, de même que l’on épie le Bashar Miles Teg, cinq millénaires plus tard.
Réfractaire aux audiolivres quand il s’agit de littérature blanche, le chroniqueur est face au dilemme : tiraillé entre l’intimité de multiples lectures passées et ces voix personnelles que se fait le lecteur et les hiatus que provoquent les choix éditoriaux de l’audiolecture. Renouer avec Dune est toujours un bonheur : paradoxalement, c’est une autre œuvre que j’ai parcourue.
J’ignore si l’audiobook m’aurait autant séduit que les poches chipés dans la bibliothèque de mon père, quand j’ai découvert le cycle, voilà 26 ans désormais. Après tout, la seule trahison de l’audiolecture tient à cette voix qui n’est pas la nôtre (ou pour reprendre les propos de Leto 2, cette peau qui n’est pas la mienne). Les extraits disponibles sur la toile aideront les indécis à se forger un premier avis.
Pour le reste, les livres n’attendent que vous. Un autre extrait pour essayer (et à mon sens le plus exceptionnel des tomes, L'Empereur-Dieu de Dune)
Crédits photo : film Dune et Dune 2
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 14/02/2024
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2 Commentaires
Philippe
27/02/2024 à 08:38
Oui, l'empereur-Dieu de Dune est le plus formidable volume de la saga, juste avant les enfants de Dune.
Isabelle
27/02/2024 à 14:57
L'Empereur-Dieu est à mon sens, un livre qui nous incite à nous questionner. Leto II est un être complexe!